Témoignages

À Tassy, Émile Devieux, 65 ans de serment

Mali, Rwanda, Verrières, Tassy…


Emile Devieux


Après mon ordination, en 1942, je dois passer à pieds joints jusqu’au 15 mai 1945, à Marseille : avec le Père François Boinot on s’embarque pour Dakar sur un vieux bateau, ‘le Marrakech’ plein à craquer. Si nous avions coulé, (il y avait encore quelques sous marins allemands qui rodaient dans les parages), ça aurait été pire que le radeau de la méduse!

Arrivée à Dakar, le 26 mai. Trois jours après, le Père Boinot et moi prenons l’express Dakar Bamako: 1200 km, 24 heures de voyage dans des compartiments transformés en fours, et une machine à vapeur, chauffée au bois qui crachait derrière
elle des gerbes d’étincelles.

Nous arrivons à Bamako, accueillis par Mgr. Mollin, Vicaire Apostolique. Je suis nommé par lui à Niono-Kolongo, au nord de Ségou. À Niono, je vais tenir compagnie et travailler avec le Père Meiller qui y est seul depuis deux ans.

Découverte de l’office du Niger, avec ses canaux, ses `casiers’ de riz et de coton. Pour la langue Bambara, on m’a confié à un jeune. Avec lui j’ai rempli deux cahiers de contes Bambara. Que sont-ils devenus ? Après mon examen, écrit et oral
de langue, à Bamako par le Père Bouvier, je retourne à Niono avec le pouvoir de confesser et de prêcher.

Visite des villages, tournées en brousse. 1947-1949 : Je suis nommé professeur au petit séminaire de Faladyé : Français, Latin, Grec ! Au bout de deux ans, reconnu comme bon professeur, mais devenu casse-pieds, je suis muté à Ségou avec
le Père Redoublez, le Père Landon et le Frère Zacharie.

1952 : Premier congé en France, première grande retraite prêchée à Mours par le Père Blin. J’étais crevé. J’y ai passé presque la moitié de mon temps à dormir avec l’assentiment du Père directeur de la retraite.

1953 : Plusieurs crises de coliques néphrétiques. En décembre, je suis rapatrié à la clinique Jeanne d’Arc de Lyon . On m’extrait le gros calcul qui me bouchait le rein droit. Mais, en janvier 1954, il faut recommencer et me faire l’ablation du rein. À l’hôpital, je me retrouvai dans la même chambre que le Père Dubernay qui avait été renversé par un cyclomoteur. Il avait été longtemps à Ségou et racontait beaucoup d’histoires. Le soir, les Soeurs de la clinique venaient lui demander s’il n’avait
besoin de rien, mais c’était surtout pour l’entendre raconter ses souvenirs.

En raison de nouveaux problèmes dans mon unique rein, je quitte de nouveau le Mali en 1967. Je savais que c’était définitif : grande nostalgie. Je me retrouve en France à Ste Foy. Un Père du Rwanda, en congé, me dit : « Pourquoi ne demandes-tu pas le Rwanda’ ? C’est un climat qui t’irait très bien ! » Je demande le Rwanda. On m’envoie comme économe du grand séminaire de Bujumbura, au Burundi. Ce n’était pas mon job, mais si j’avais refusé je serais resté en France. J’ai accepté en me disant : « À la grâce de Dieu ». J’y resterai six mois. Puis, j’ai demandé à faire le stage de Kirundi à Muyangé. On me l’a accordé.
J’y acquis un petit bagage de langue Kirundi qui me permit d’aller en paroisse à Musigati et à Masango et d’y faire les tournées comme les autres Pères.

C’est en 1979 qu’on m’annonça que j’étais nommé, par le Provincial de France, à Paris pour l’accueil rue Friant. J’y serai jusqu’au mois de décembre 1980. Quelle valse !
Puis, le 15 décembre 1980, je suis nommé à Verrières-le-Buisson comme socius des aumôniers successifs de la maison de retraite des Soeurs Blanches. J’y resterai 17 ans : tous les jours messe pour les Soeurs malades, Vie montante, équipe
Notre Dame, visites.
6 novembre 1997 : j’arrive à Tassy où je suis encore.

Quand je revois le film de ma vie, j’y vois dans ma grande valse, tout un enchaînement, une unité programmée par le Seigneur. Il n’a pas cessé de me raboter, pour faire de moi, malgré moi, un instrument utile entre ses mains. J’y vois un signe d’amour très fort, vrai, décapant, et pour moi, et pour ceux dont j’ai eu à m’occuper.
Merci Seigneur !

Émile Devieux, Tassy