Voix d'Afrique N°65...........

JIM, d'EIRE au MALAWI

Le château de Kilkenny (Eire)

 

Au commencement, l'Eire
Une ferme dans les collines d'Eire (Irlande), quelques bâtiments de granit isolés au milieu des prairies et des champs, des haies et des bosquets jusqu'au voisin le plus proche, à près d'un kilomètre… La famille Greene (en anglais "vert") est une famille de paysans catholiques au milieu d'une communauté de familles de paysans catholiques ; parents et enfants récitent ensemble le chapelet chaque soir. L'école, comme toutes les institutions, est catholique, à près de trois kilomètres d'une route étroite et souvent boueuse : Jim et ses frères la parcourent à bicyclette chaque jour, car en 1960, il n'y a pas de ramassage scolaire. Les fins de semaine et les vacances sont occupées par les travaux dans les champs : les moissons, les foins, les bêtes, la messe paroissiale le dimanche. Dublin, la capitale, est lointaine, et au-delà de la Mer d'Irlande, le monde est bien mystérieux !

James, le jeune Irlandais
James (Jim, plus familièrement) est un heureux garçon sans histoire ; à la fin de ses études secondaires, il décide de faire des études commerciales, dans la capitale, Dublin. Il a vingt ans lorsqu'il tombe sur une annonce dans le journal local : une invitation à un séjour d'études de quelques mois en Afrique, pour connaître l'ailleurs. Le premier africain, il l'avait rencontré à l'âge de 18 ans ! Jim commence à penser sérieusement à son avenir : voilà une occasion de s'informer sur " l'ailleurs ". Il demande à faire partie du voyage, il est sélectionné et part pour la Tanzanie.

Premier voyage, l'invitation, l'appel
Première rencontre : Dar es Saalam. Quand s'ouvrent les portes de l'avion, un souffle Tanzanie: le port de Dar es Alaamchaud frappe au visage les passagers à peau blanche ; en quelques heures, ils sont passés de 20 ° à 35 °. Le ciel est d'un bleu délavé. Le paysage est en noir et blanc : la ville est d'un blanc éclatant ; en contraste, dans les rues et sur les routes, les africains forment une foule au visage bronzé, parfois très clair, souvent plus foncé. C'est l'Afrique, le premier dépaysement, la première rencontre avec l'Autre. Peut-être était-ce la même expérience que fit Paul, dans son rêve de Troas, lorsqu'il entendit pour la première fois le Macédonien qui l'appelait : "Viens à notre secours !" (Actes des Apôtres ch.16).

Le lendemain, c'est comme une immersion dans le monde africain : le voyage en train, 24 heures pour faire les 800 km. jusqu' à Mbéya, au sud. Premier incident : Jim et ses amis admirent les montagnes et les escarpements que le train escalade lentement. "Ça vaut la photo !" Un des compagnons de Jim sort son appareil et se penche à la fenêtre : clic et clac, quelle bonne photo ! Mais un passager les aborde : les photos sont interdites. Et il faudra quelques discussions qui évoluent vite en relations cordiales, pour arriver à un compromis : il faudra remettre le film. C'est que la situation politique est assez tendue : la Tanzanie, indépendante depuis peu, est menacée par l'Afrique du Sud, le pays de l'apartheid. Les Tanzaniens sont très soupçonneux à l'égard de tout ce qui pourrait nuire à leur indépendance, et qui sait si ces européens à peau blanche, qui prennent des photos, ne sont pas des espions ? Première expérience de la situation politique dans un jeune pays indépendant.

Premiers pas
Mbeya est la grande ville du sud de la Tanzanie ; les montagnes attestent de la préhistoire, lorsque la terre, il y a des millions d'années, s'est ouverte dans une immense brèche du Jourdain au Zambèze. La pauvreté est dramatique : le pays a voulu faire face au défi de l'indépendance en ne comptant que sur lui-même pour se développer ; isolé du reste du monde, il fait la dure expérience de l'utopie socialiste. Les magasins sont vides ; les premières nécessités, comme le savon ou l'huile alimentaire, sont rares. A Irambo, la mission où Jim est envoyé pour rencontrer les Africains, deux ou trois missionnaires " Pères Blancs " ont choisi de vivre avec eux.

Ce qui frappe Jim, c'est de voir ces missionnaires qui ont donné leur vie, toute leur vie, au service des Tanzaniens. Ce ne sont pas seulement des volontaires, qui offrent deux ou trois années, voire cinq ou six, de leur vie avant de retourner dans leur pays d'origine. Les missionnaires, c'est pour la vie. L'Afrique, c'est leur famille ; ils y sont chez eux. Jim réfléchit et prie ; et la question de pose, inéluctable : "Et moi ? "

La Formation
De retour en Irlande, il commence à répondre doucement à l'appel : il est accepté comme candidat au séminaire du 1er cycle. Les études philosophiques ne sont pas trop sa tasse de thé, mais heureusement il trouve des professeurs qui l'aident à réfléchir sur des problèmes de base : la vie, le bonheur, l'amour, Dieu, l'aventure humaine. La situation irlandaise est cruciale. Des membres de l'IRA , en lutte contre l'Angleterre, sont emprisonnés et font la grève de la faim, une grève très dure ; certains y laissent leur vie, et toute la population, en particulier les jeunes, est solidaire de la lutte de leurs frères du nord. Quels sont les chemins de la Paix, de la Justice, de la démocratie ? À travers tous ces débats, il commence à y voir plus clair dans son histoire à lui. Pour Jim, au-delà des luttes politiques, l'Evangile est un message de Liberté.

La formation continue : après quelques années en Irlande, il est appelé à l'année de formation spirituelle en 1982 : c'est à Fribourg, en Suisse. C'est une expérience toute nouvelle : faire face à sa liberté personnelle, organiser sa vie selon son désir profond, fréquenter l'Evangile et commencer à découvrir dans le prophète de Nazareth le Sauveur ressuscité, toujours vivant, ici et aujourd'hui. C'est aussi l'expérience de la vie de communauté avec d'autres étudiants, venus d'Europe et d'Afrique. Une vingtaine de jeunes franchissent les frontières de cultures et de langues pour partager le même idéal : suivre le Christ pour que le Monde, l'Afrique en particulier, vive dans la liberté et l'amour.

Stage au Malawi
Nouveau voyage : Jim est envoyé au Malawi pour un stage de deux ans de vie missionnaire, afin d'approfondir et de concrétiser la formation spirituelle reçue à Fribourg. C'est d'abord l'apprentissage de la langue, un vocabulaire et une grammaire tellement étranges. Il est de beaucoup le plus jeune, mais il n'est pas perdu au milieu des vétérans. C'est la rencontre de l'autre, d'abord à l'intérieur de la communauté missionnaire, puis la rencontre des pauvres de l'Afrique.

 

Fondation
Il reprend en Angleterre ses études qui le conduiront à l'engagement missionnaire et à l'ordination. Et il retourne au Malawi en 1988: il n'est plus en terre inconnue. Il se met à la tâche. Il s'agit de fonder une nouvelle paroisse, chez des ruraux qui ont été expulsés de leurs villages pour laisser place à une nouvelle capitale. La terre qui leur a été allouée en réparation est très pauvre, et leur vie est misérable. Les missionnaires passent cinq jours par semaine avec eux et commencent à mettre sur pied l'organisation des petites communautés, de chrétiens et de catéchumènes.

A l'écoute des pauvres au bord du lac
Malawi Nkhota-Kota au bord du lacJim est nommé à Nkhota-kota, au bord du lac. On y voit encore l'arbre vénérable où Livingstone a palabré avec le chef local, au milieu du 19ème siècle. Après vingt ans d'indépendance, la région est en plein développement ; en plus de la culture traditionnelle du maïs, du manioc et du riz, le tabac est introduit sur des centaines d'hectares. La terre a été donnée à quelques loyaux serviteurs du régime dictatorial, à charge pour eux de la faire fructifier. Les travailleurs saisonniers arrivent en masse, car, dans le sud du Malawi, la surpopulation réduit les terres disponibles. Ce sont des pauvres, déplacés, illettrés pour la plupart, parqués dans des camps d'herbe et de tôle. Leur situation est aggravée par la mentalité fataliste séculaire : "Si Dieu a voulu que je sois pauvre, je n'y peux rien !" Ce qui est grave, c'est que ce sont des Malawites qui exploitent leurs frères. La communauté de missionnaires ne peut pas ne pas se poser la question : " Si Jésus revenait ici, aujour-d'hui, que ferait-il ?" .

L'industrie du Tabac au MalawiJim et ses compagnons se lancent dans une campagne d'écoute, des semaines de rencontres dans les concessions. Les ouvriers paysans : quels sont leurs soucis ? quelles sont leurs préoccupations ? de quoi parlent-ils entre eux ? C'est d'abord la famine, surtout au moment de la soudure en janvier, quand les provisions sont terminées, quand le grenier est vide, alors que la nouvelle récolte n'est pas encore mûre. Ensuite, il sont touchés par les maladies et l'absence de service médical, et enfin préoccupés par l'éducation de leurs enfants ; la scolarité n'est pas gratuite, et en plus de la taxe à l'inscription, il faut acheter l'uniforme et toutes les fournitures scolaires. Comme ils sont illettrés, les propriétaires ont tout le loisir d'abuser d'eux : quand leur tabac est pesé, ils ne savent pas lire les chiffres, et lorsque le contremaître fait leurs comptes entre les avances consenties et le profit de leurs récoltes, ils se retrouvent avec un profit dérisoire ; ils ne comprennent pas et n'osent pas réclamer, car ils sont illettrés ! Ils ignorent leurs droits, sont incapables de calculer et donc de réclamer leur dû.

Je suis avec vous …
La question des missionnaires évolue ; le "Si Jésus venait ici, que ferait-il ? " devient un acte de foi : "Jésus est là, avec eux, aujourd'hui ; que dit-il ? que fait-il ?" Les malades, les pauvres, les possédés sont là, sur notre chemin. "Va, ta foi t'a sauvé !" signifie qu'il faut rendre aux hommes et aux femmes de Nkhota-kota la foi, en eux-mêmes d'abord. Créés à l'image de Dieu, ils sont appelés à la liberté, sans laquelle aucun amour n'est possible. Des rencontres sont organisées : la charte des droits de l'homme est traduite, étudiée et discutée, avec les conséquences concrètes. Ils apprennent à lire et calculer leurs relevés de comptes et arrivent à déjouer les ruses.
Depuis la visite de Jean Paul II au Malawi, l'évangélisation est mieux comprise comme un effort de croissance de " tout homme et tout l'homme " (Paul VI) vers la liberté authentique. Le pauvre est blessé sur le bord de la route, et nous sommes le Samaritain qui s'arrête pour le soulager : c'est là la première urgence. "J'avais faim… j'avais soif… j'étais nu… et tu m'as aidé. Ce que vous faites aux plus petits d'entre vous, c'est à moi que vous le faites… "
Pour le carême 1992, les évêques du Malawi publient une lettre pastorale pour appeler les gouvernants à la démocratie et tous les citoyens à prendre en charge la croissance du pays. Ce fut un séisme au Malawi. A Nkhota-kota, les missionnaires sont encouragés dans leur effort d'évangélisation. Un mouvement s'est mis en marche pour sortir de la misère, travail de longue haleine, avec son lot de succès et d'échecs, d'espoirs et de découragements. Mais la certitude accompagne toute l'Eglise des pauvres : "Je suis avec vous !"

Jim, au centre (Conseil Général

A Rome !
Personne n'a été surpris que Jim ait été envoyé par ses confrères au chapitre des missionnaires d'Afrique à Rome, au printemps dernier ; et personne n'a été surpris qu'il ait été élu comme assistant du supérieur général. Il a refait ses cantines et repris encore une fois l'avion pour partir du Malawi et s'établir à Rome. De là, avec le conseil général, il pourra continuer à visiter et encourager les missionnaires à travailler pour que vive l'Afrique.

Gérard Guirauden
Missionnaire d'Afrique

Pour Plus Interview de Jim durant le Chapitre Général