Père
Duval, un Père Blanc écrivain, cela fait un peu désordre,
non ?
C'est vrai que ce n'est pas notre premier charisme, même si
le cardinal Lavigerie ne cessait d'inviter les premiers missionnaires
à soigner leurs diaires pour le renseigner lui-même et
renseigner ceux qui bientôt les rejoindraient au cur de
l'Afrique. Mais, écrire ne fut pas ma première préoccupation,
chez les Pères Blancs Ma première nomination fut même
une relative déception. Je rêvais du Mali ou du Burkina
Faso et je me retrouvai à Strasbourg, suant sur le grec et
le latin qui ne m'intéressaient guère; heureusement,
on y découvrait aussi la littérature française
pour laquelle je sentais plus d'attirance. Puis, ce fut le professorat,
sept années qui me furent longues, en France et en Espagne.
Longues un peu par ma faute, car je ne vivais pas assez le moment
présent. Mon esprit était en Afrique. Je n'avais pas
encore compris qu'on peut servir l'Afrique et les Africains de mille
manières, où que l'on soit.
N'est-ce
pas cette période qui te donna le goût d'écrire
?
A vrai dire, non. Ce goût, je l'ai depuis l'enfance. J'étais
" fort en rédaction ", comme on disait au petit séminaire;
je rimaillais, j'animais une revue d'élèves. Mais à
l'époque où j'étais professeur à Bonnelles,
le Père Laridan nous suggéra d'écrire des livres
pour une collection des éditions Casterman destinée
aux enfants. Ce fut peut-être le déclic. Je choisis le
Docteur Lumière, une petite biographie du Père Goarnisson,
parce qu'il était Breton et qu'il avait exercé son métier
de médecin au Burkina Faso. Ce livre illustré fut ma
première publication.
Elle
fut suivie de beaucoup d'autres ?
Oui, mais pas tout de suite, car nommé en Espagne,
au séminaire de philosophie de Logroño, en 1960, il
me fallut " m'inculturer " pour enseigner en castillan.
Puis, en 1963, enfin, je partis pour l'Afrique, au Congo-Kinshasa
et là, durant 21 ans, j'ai été comme tant d'autres,
le spectateur impuissant de la dégringolade de ce pays splendide,
dont l'histoire récente n'est que tragédie. En 1964,
la révolution mouléliste qui vit la mort de plus de
225 missionnaires, dont une douzaine de Pères Blancs; en 1967,
la révolte des mercenaires blancs et mon expulsion vers la
France; en 1972, la " zairianisation " de Mobutu et le désastre
économique qui s'ensuivit. Dans ce contexte, on n'avait ni
le goût, ni le temps d'écrire. Cependant, je collaborais,
durant ces années-là, à la Revue du Clergé
Africain, tenue par les Jésuites du Bas Congo.
Tu
es resté au Congo-Zaire 21 ans sans interruption ?
Non, en 1967-1968, comme on ne pouvait plus guère travailler
au Kivu, on m'envoya à Jérusalem, comme bibliothécaire
et pour aider à la publication de l'excellente revue Proche
Orient Chrétien. Mais ignorant des problèmes religieux
et politiques de la région, j'étais astreint à
des tâches purement matérielles: corrections d'épreuves,
expéditions... Par contre, quelle chance de vivre à
deux pas de Gethsémani, du Saint Sépulcre, de l'esplanade
du Temple ! Cela compte dans une vie sacerdotale... Il y eut une autre
interruption, de 1974 à 1978, quand je fus nommé à
la revue Peuples du Monde, comme secrétaire de rédaction.
Là, j'eus davantage l'occasion d'écrire, l'un ou l'autre
reportage, des articles ou recensions de livres.
L'évangile de Quim
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C'était Une Grande Fidélité
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Au
Congo, l'ex-Zaïre, quelles furent tes principaux ministères
?
Très peu de pastorale paroissiale, malheureusement; le professorat
encore au Grand Séminaire de Murhesa, l'aumônerie d'un
lycée, d'une école d'infirmières et de la congrégation
zaïroise des Filles de Marie, reine des Apôtres. Mais chaque
dimanche, j'allais dans une paroisse ou une chapelle-école.
J'avais une bonne connaissance de la langue, le kiswahili, mais si
je l'écrivais assez bien, j'étais moins à l'aise
pour comprendre le parler usuel des gens. Ils me disaient: Unasema
kiswahili cha sarufi - Tu parles le kiswahili de la grammaire. Déformation
de professeur. Heureusement, ils affirmaient me comprendre parfaitement
et c'était l'essentiel. De 1978 à 1984, après
un nouveau passage par le grand séminaire de Murhesa et la
paroisse urbaine de Bagira, on me nomma directeur du Centre Interdiocésain
de Catéchèse, Pastorale et Liturgie.Outre
la formation des catéchistes et des animateurs de communautés,
on nous demandait de publier catéchismes, manuels, livres de
prière...
Là, il s'agissait de le faire en kiswahili;
je m'y risquai, notamment par des manuels d'alphabétisation
et des recueils d'homélies à l'usage de ces précieux
auxiliaires de notre apostolat que sont les catéchistes. Nous
avons fait là, avec quelques religieuses espagnoles et zaïroises,
du très bon travail, je crois.
Tu es
alors parti au
Mexique ?
On m'a un peu arraché à ce Centre pour m'envoyer là-bas.
Le chapitre de 1980 avait décidé de présenter
la vocation de Missionnaire d'Afrique Père Blanc aux jeunes
d'Amérique latine et le Mexique fut choisi comme lieu d'implantation.
Je fis partie de la première équipe et travaillai deux
ans à Querétaro et à Mexico City. Puis, revenu
en Espagne, je fus invité à relancer la revue Africana,
mais surtout, à la demande des Carmélites Missionnaires
Thérésiennes, qui avaient travaillé avec moi
à Bukavu, j'entrepris, pour leurs jeunes surs originaires
de divers pays d'Afrique francophone, la traduction en français
des uvres de leur fondateur, le mystique catalan, Bienheureux
Francisco Palau; j'écrivis sa biographie, puis
celle d'une sur de la congrégation dont la cause de canonisation
est aussi introduite, et en ce moment, je mets au point la traduction
de l'histoire de leur congrégation, deux énormes briques
qui me donnent bien du souci. Cela a occupé tous mes loisirs,
depuis quinze ans.
Alors, comment expliquer la floraison de livres qui
paraissent à un rythme soutenu ?
L'idée m'en est venue en contemplant les chaises vides de nos
églises d'Europe. A Massy, (1,5 % de pratiquants) ces trois
dernières années, je célébrais le dimanche
soir une messe proposée aux fidèles de tout le secteur
( quelque 65.000 habitants) et me retrouvais devant 80 à 120
personnes. Je me suis dit que, par l'écrit, je pourrais peut-être
en atteindre davantage. Alors j'ai commencé à chercher
des éditeurs, car si j'ai publié sept livres en quatre
ans, plusieurs étaient en gestation depuis longtemps.
As-tu
l'impression que cette vocation d'écrivain t'a éloigné
de ta vocation de Père Blanc ?
Pas du tout. J'aime l'Afrique, les Africains et la Société
des Pères Blancs. Ça, c'est quelque chose de viscéral
et de permanent: ils sont présents dans tous mes livres et
mon engagement envers l'Afrique est irrévocable. C'est plutôt
une forme d'apostolat peu commune chez les Missionnaires d'Afrique,
une autre manière de proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus
Christ. Et je suis reconnaissant à mes supérieurs de
m'en avoir facilité l'exercice. J'équilibre ma vie missionnaire
par une activité pastorale constante.
Depuis douze ans, c'est la pastorale de la santé, en hôpital,
en maisons de retraite, à domicile, qui m'occupe ; je vis près
des malades ou des personnes isolées: c'est un ministère
éminemment évangélique, et il me préserve,
je crois, d'élucubrations fumeuses qui n'intéresseraient
personne, donne sens à mon action, à ma prière,
comme à mes écrits.
P. Duval, à Mbagira (RDC), avec Le P. Cavé
et le
futur évêque de Kasongo, Mgr Timothée Pirigisha
Armand
Duval P.B.