Voix d'Afrique N°51

L'Invité

Comme une forme d'Apostolat...


 

Père Duval, un Père Blanc écrivain, cela fait un peu désordre, non ?

C'est vrai que ce n'est pas notre premier charisme, même si le cardinal Lavigerie ne cessait d'inviter les premiers missionnaires à soigner leurs diaires pour le renseigner lui-même et renseigner ceux qui bientôt les rejoindraient au cœur de l'Afrique. Mais, écrire ne fut pas ma première préoccupation, chez les Pères Blancs Ma première nomination fut même une relative déception. Je rêvais du Mali ou du Burkina Faso et je me retrouvai à Strasbourg, suant sur le grec et le latin qui ne m'intéressaient guère; heureusement, on y découvrait aussi la littérature française pour laquelle je sentais plus d'attirance. Puis, ce fut le professorat, sept années qui me furent longues, en France et en Espagne. Longues un peu par ma faute, car je ne vivais pas assez le moment présent. Mon esprit était en Afrique. Je n'avais pas encore compris qu'on peut servir l'Afrique et les Africains de mille manières, où que l'on soit.

N'est-ce pas cette période qui te donna le goût d'écrire ?

A vrai dire, non. Ce goût, je l'ai depuis l'enfance. J'étais " fort en rédaction ", comme on disait au petit séminaire; je rimaillais, j'animais une revue d'élèves. Mais à l'époque où j'étais professeur à Bonnelles, le Père Laridan nous suggéra d'écrire des livres pour une collection des éditions Casterman destinée aux enfants. Ce fut peut-être le déclic. Je choisis le Docteur Lumière, une petite biographie du Père Goarnisson, parce qu'il était Breton et qu'il avait exercé son métier de médecin au Burkina Faso. Ce livre illustré fut ma première publication.

Elle fut suivie de beaucoup d'autres ?

Oui, mais pas tout de suite, car nommé en Espagne, au séminaire de philosophie de Logroño, en 1960, il me fallut " m'inculturer " pour enseigner en castillan. Puis, en 1963, enfin, je partis pour l'Afrique, au Congo-Kinshasa et là, durant 21 ans, j'ai été comme tant d'autres, le spectateur impuissant de la dégringolade de ce pays splendide, dont l'histoire récente n'est que tragédie. En 1964, la révolution mouléliste qui vit la mort de plus de 225 missionnaires, dont une douzaine de Pères Blancs; en 1967, la révolte des mercenaires blancs et mon expulsion vers la France; en 1972, la " zairianisation " de Mobutu et le désastre économique qui s'ensuivit. Dans ce contexte, on n'avait ni le goût, ni le temps d'écrire. Cependant, je collaborais, durant ces années-là, à la Revue du Clergé Africain, tenue par les Jésuites du Bas Congo.

Tu es resté au Congo-Zaire 21 ans sans interruption ?

Non, en 1967-1968, comme on ne pouvait plus guère travailler au Kivu, on m'envoya à Jérusalem, comme bibliothécaire et pour aider à la publication de l'excellente revue Proche Orient Chrétien. Mais ignorant des problèmes religieux et politiques de la région, j'étais astreint à des tâches purement matérielles: corrections d'épreuves, expéditions... Par contre, quelle chance de vivre à deux pas de Gethsémani, du Saint Sépulcre, de l'esplanade du Temple ! Cela compte dans une vie sacerdotale... Il y eut une autre interruption, de 1974 à 1978, quand je fus nommé à la revue Peuples du Monde, comme secrétaire de rédaction. Là, j'eus davantage l'occasion d'écrire, l'un ou l'autre reportage, des articles ou recensions de livres.


L'évangile de Quim









C'était Une Grande Fidélité

Au Congo, l'ex-Zaïre, quelles furent tes principaux ministères ?

Très peu de pastorale paroissiale, malheureusement; le professorat encore au Grand Séminaire de Murhesa, l'aumônerie d'un lycée, d'une école d'infirmières et de la congrégation zaïroise des Filles de Marie, reine des Apôtres. Mais chaque dimanche, j'allais dans une paroisse ou une chapelle-école. J'avais une bonne connaissance de la langue, le kiswahili, mais si je l'écrivais assez bien, j'étais moins à l'aise pour comprendre le parler usuel des gens. Ils me disaient: Unasema kiswahili cha sarufi - Tu parles le kiswahili de la grammaire. Déformation de professeur. Heureusement, ils affirmaient me comprendre parfaitement et c'était l'essentiel. De 1978 à 1984, après un nouveau passage par le grand séminaire de Murhesa et la paroisse urbaine de Bagira, on me nomma directeur du Centre Interdiocésain de Catéchèse, Pastorale et Liturgie.Outre la formation des catéchistes et des animateurs de communautés, on nous demandait de publier catéchismes, manuels, livres de prière...

Là, il s'agissait de le faire en kiswahili; je m'y risquai, notamment par des manuels d'alphabétisation et des recueils d'homélies à l'usage de ces précieux auxiliaires de notre apostolat que sont les catéchistes. Nous avons fait là, avec quelques religieuses espagnoles et zaïroises, du très bon travail, je crois.

Tu es alors parti
au Mexique ?

On m'a un peu arraché à ce Centre pour m'envoyer là-bas. Le chapitre de 1980 avait décidé de présenter la vocation de Missionnaire d'Afrique Père Blanc aux jeunes d'Amérique latine et le Mexique fut choisi comme lieu d'implantation. Je fis partie de la première équipe et travaillai deux ans à Querétaro et à Mexico City. Puis, revenu en Espagne, je fus invité à relancer la revue Africana, mais surtout, à la demande des Carmélites Missionnaires Thérésiennes, qui avaient travaillé avec moi à Bukavu, j'entrepris, pour leurs jeunes sœurs originaires de divers pays d'Afrique francophone, la traduction en français des œuvres de leur fondateur, le mystique catalan, Bienheureux Francisco Palau; j'écrivis sa biographie, puis celle d'une sœur de la congrégation dont la cause de canonisation est aussi introduite, et en ce moment, je mets au point la traduction de l'histoire de leur congrégation, deux énormes briques qui me donnent bien du souci. Cela a occupé tous mes loisirs, depuis quinze ans.



Alors, comment expliquer la floraison de livres qui paraissent à un rythme soutenu ?

L'idée m'en est venue en contemplant les chaises vides de nos églises d'Europe. A Massy, (1,5 % de pratiquants) ces trois dernières années, je célébrais le dimanche soir une messe proposée aux fidèles de tout le secteur
( quelque 65.000 habitants) et me retrouvais devant 80 à 120 personnes. Je me suis dit que, par l'écrit, je pourrais peut-être en atteindre davantage. Alors j'ai commencé à chercher des éditeurs, car si j'ai publié sept livres en quatre ans, plusieurs étaient en gestation depuis longtemps.

As-tu l'impression que cette vocation d'écrivain t'a éloigné de ta vocation de Père Blanc ?

Pas du tout. J'aime l'Afrique, les Africains et la Société des Pères Blancs. Ça, c'est quelque chose de viscéral et de permanent: ils sont présents dans tous mes livres et mon engagement envers l'Afrique est irrévocable. C'est plutôt une forme d'apostolat peu commune chez les Missionnaires d'Afrique, une autre manière de proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Et je suis reconnaissant à mes supérieurs de m'en avoir facilité l'exercice. J'équilibre ma vie missionnaire par une activité pastorale constante.

Depuis douze ans, c'est la pastorale de la santé, en hôpital, en maisons de retraite, à domicile, qui m'occupe ; je vis près des malades ou des personnes isolées: c'est un ministère éminemment évangélique, et il me préserve, je crois, d'élucubrations fumeuses qui n'intéresseraient personne, donne sens à mon action, à ma prière, comme à mes écrits.


P. Duval, à Mbagira (RDC), avec Le P. Cavé et le
futur évêque de Kasongo, Mgr Timothée Pirigisha

Armand Duval P.B.