Missionnaires d'Afrique

Difficultés et consolations de la vie apostolique
par Mgr Léon Livinhac (+)


MGR LEON LIVINHAC“La première difficulté vient du climat, des voyages, et des diverses conditions de la vie matérielle qui, plus ou moins, éprouvent les constitutions européennes. On est privé de la plupart des commodités auxquelles nous sommes habitués depuis notre enfance : le pain et vin manquent souvent.”

Bien des changements, il est vrai, se sont opérés en Afrique depuis le partage de l'Intérieur entre les puissances. Outre qu'elles font léguer presque partout une paix et une sécurité relatives, elles organisent aussi des moyens de transport.

Déjà sur quelques routes principales les communications sont assurées et même assez rapides. Ne vous y trompez pas cependant ; la vie quotidienne du missionnaire, à la période d’installation en particulier, comporte des fatigues, des désagréments, des privations. De loin, ces difficultés sont un attrait pour les âmes généreuses et je vous félicite d'en envisager la perspective sans crainte ; plus tard l'attrait devra faire place à l'endurance joyeuse et soutenue.

A côté des souffrances matérielles, il y en a d'autres certainement plus pénibles pour le Missionnaire. C'est toujours, en effet, une œuvre longue et difficile que de changer un peuple et de l'amener de l'erreur à la vérité, de la barbarie et du vice à la civilisation et à la vertu. Si donc le missionnaire arrive avec des illusions trop communes aux natures généreuses, s'il croit qu'il lui suffira de se montrer pour entraîner ceux qui l'écouteront, de leur parler pour les convertir, il se heurtera bientôt à des mécomptes qui le jetteront dans le découragement. A ce mal il n'y a qu'un seul remède, c'est l'appui de Dieu sollicité par la prière, et la ferme persuasion que ce qui est demandé au missionnaire, ce n'est pas tant le succès que la fidélité à ses saints devoirs. Avec cela on soutient jusqu'au bout le bon combat dont parle saint Paul, et lors même que, dans tout le cours d'une vie, on n'aurait sauvé que quelques âmes, on reçoit de Dieu la même récompense que les Apôtres qui, grâce au don des miracles, ont converti des multitudes.

Mais je dois ajouter que toutes ces souffrances ont leurs compensations, et quelques-unes au centuple. Au point de vue matériel, si la vie africaine est dure sous plusieurs rapports, elle est séduisante sous beaucoup d'autres. Ceux qui ont connu le ciel pur de l'Afrique, sa lumière étincelante, tout ce qu'elle présente de majestueux et de pittoresque, ne peuvent plus s'en détacher. Les hauts plateaux de l'Intérieur sont remarquables de fertilité, de grandeur, de salubrité même, et les récents explorateurs s'accordent à dire qu'il n'y a pas de pays plus riches et plus admirables sous le soleil.

Au point de vue spirituel, la moisson, dans l'Afrique équatoriale en particulier, s'annonce très abondante pour les prédicateurs de l'Évangile. Si donc le cortège de périls que je viens d'énumérer est plus effrayant, les consolations sont aussi plus grandes, et l'on y peut dire avec saint Paul : Superabundo gaudio in omni tribulatione nostra.

C'est vraiment, du reste, cette joie intérieure qui vient de la souffrance même supportée pour l'amour de Notre-Seigneur, de la conscience de travailler à l'extension de son règne dans les autres, et en soi-même, qui fait la supériorité de la vocation du missionnaire sur celle du prêtre des pays chrétiens. Sa vie, ses horizons, ses ineffables espérances sont tout autres. S'il a des épreuves à traverser, il a, du moins, de grandes choses à faire. S'il souffre de privations matérielles, il ne connaît ni les petites misères, ni l'ennui, ni les vulgaires préoccupations qui, trop souvent, assaillent un pauvre prêtre dans nos paroisses d'Europe ; il peut par moments s'attiédir sans doute, mais il a du moins la joie de se rendre ce témoignage, qu'un jour il a fait à Dieu le sacrifice héroïque de tout ce qui lui était cher, de ses habitudes, de ses affections, de sa vie même et il sait qu'il travaille pour un maître qui ne se laisse pas vaincre en générosité.

Puisque nous en sommes à cette question des avantages spirituels propres à la vocation apostolique, il nous sera permis d'insister sur les secours que procure à cet égard la vie de communauté. Tout à l'heure, nous disions qu'elle oblige à faire abnégation de ses préférences ; en échange elle écarte les dangers de l'isolement. Voici, en effet, ce que prescrivent nos Règles :

“Jamais, dans aucun cas et sous aucun prétexte, quel qu'il soit, les Missionnaires ne pourront être moins de trois ensemble, Pères ou Frères, dans leurs diverses résidences. On refusera, plutôt que de manquer à cette règle, les offres les plus avantageuses, les plus urgentes et l'on renoncera plutôt à l'existence de la Société qu'à ce point capital.”

“La vie commune étant une loi fondamentale de la Société, les Missionnaires font ensemble, sous la présidence du supérieur ou de son remplaçant, les exercices spirituels de la journée, à savoir : la prière du matin avec l'oraison, l'examen particulier, la lecture spirituelle, la visite au Saint-Sacrement et la prière du soir avec l'examen général.”

Notre vénéré Fondateur concluait en ces termes : “Examinez bien tout d'abord si Dieu vous appelle intérieurement à l'apostolat. C'est la condition première. Car si vous ne cédiez qu'à quelque imagination frivole, si vous ne cherchiez qu'un moyen, plus conforme à vos goûts naturels de dépenser l'activité de votre jeunesse dans des entreprises extraordinaires, défiez-vous de vous-même et ne courez pas à des périls où la vie de votre âme se trouverait aussi exposée peut-être que celle de votre corps. Mais êtes-vous énergiquement déterminé à vous sanctifier par la patience, par la souffrance, par le sacrifice de tout vous-même et de votre sang, s'il le faut ? Venez, vous trouverez certainement en Afrique, aussi bien que dans n'importe quel pays de mission, le moyen de rendre votre vie utile pour la gloire de Dieu.”

Ne décidez rien d'ailleurs sans avoir prié et mûrement réfléchi. Saint Paul dit qu'appelé de Dieu “il ne consulta ni la chair, ni le sang”. Vous ne négligerez pas de considérer ce que la loi de Dieu vous impose de devoirs envers les parents ; toutefois, en cette matière, prenez conseil d'un sage directeur.

Vous vous inquiéterez peut-être des qualités nécessaires : santé, talents et le reste. Le ministère apostolique suppose une bonne constitution, mais n'exige pas ce qu'on appelle une santé de fer. Ce qui importe bien davantage, c'est un caractère pondéré, ferme et plutôt joyeux. Je vous ai déjà parlé des langues à apprendre. J'ajouterai qu'on ne réussit point sans discrétion, prudence et tact, attendu que si les Africains ignorent nos délicatesses à nous, ils ne manquent ni de susceptibilité, ni même de finesse. Mais ce qu'il faut surtout, c'est une grande bonté et la patience fondée sur la foi et le zèle. “Les missionnaires, disent nos Constitutions, doivent se faire tout à tous pour gagner les âmes à Jésus-Christ et à son Église, et ne reculer devant aucune peine, pas même devant la mort, lorsqu'il s'agit d'étendre le règne de Dieu.”

POST-SCRIPTUM
Outre les Missionnaires prêtres, la Société reçoit des auxiliaires laïcs, dits Frères coadjuteurs, dont le rôle principal est de les seconder dans les travaux matériels et les diverses fonctions concernant le temporel. Le rosaire excepté, les Frères coadjuteurs portent le même costume que les Pères. Toutefois, en dehors de la chapelle, ils le remplacent par une tunique à capuchon, descendant jusqu'aux genoux, et ornée sur la poitrine d'une croix d'étoffe rouge.

Leur admission est soumise à des règles semblables à celles qui ont été indiquées pour les Clercs. Toutefois, elle suppose avant la prise d'habit un postulat de six mois, et un noviciat de deux années avant le serment. Les Frères prennent les mêmes engagements que les Pères, mais leur serment n'est que temporaire pendant une période totale de six ans. Au serment de stabilité et d'obéissance ils ajoutent celui de garder la chasteté. La Société pourvoit à tous leurs besoins sans exception. Partageant avec les Pères les exercices de la vie commune et étant associés à l'œuvre apostolique, ils en ont les avantages et le mérite devant Dieu.

+Léon Livinhac
De la Lettre à un aspirant écrite en 1921

Petit Echo N° 1008 2010/02