Voix d'Afrique N° 50
Mission - Jeunes

Huit jours dans le désert


Une semaine de marche dans le désert (5 à 6 h par jour) avec des chameaux pour porter les bagages. Réflexions, prières, silence... Joies de l'échange, avec des jeunes de différents pays : Voilà comment se présentait l'invitation à des jeunes de 20 ans et plus…
Je voulais tellement que des jeunes puissent voir ce que j'avais vu, sentir ce que j'avais ressenti dans le désert et entendre l'appel de Dieu qui nous dit: " Laisse tout, toi qui cherches, et suis moi!"

"Quelle folle je suis, pourquoi diable suis-je venue dans ce désert ?" Ainsi s'exprimait Florence, 20 ans, la benjamine de cette expédition dans l'erg oriental tunisien.. Mais son cri, c'était la pensée profonde de pratiquement tous
les jeunes, dans les premières heures de leur marche. La première journée en effet avait été éprouvante : lever 5 h, départ 6 h. Longue marche sous un soleil qui se faisait innocemment plus agressif au fil des heures. C'est dans l'épreuve qu'on mesure ce que l'on vaut. Ce que l'on vaut devant les autres, ce que l'on vaut devant Dieu.


Le désert est beau, le silence est grand,
mais tous les deux se méritent. Ce qui impressionne le plus au milieu du désert, c'est la dépendance. On est dépendant de l'eau, des deux gourdes d'un litre qu'on "suce" parcimonieusement à étapes régulières, Car il faut boire pour survivre. On est dépen-dant des chameliers, les seuls guides qui peuvent nous sauver la vie dans cette immensité.
Pas moyen de dire : " Je ne joue plus, je retourne en arrière". Retourner où ? On est dépendant des points de repères : la trace dans le sable de ceux qui nous précèdent, quand on a pris du retard au bas d'une dune... C'est l'éducation à la solidarité.

Le désert est si hostile qu'on ne peut compter que sur les autres, leur hospitalité, leur
partage pour survivre. Dans le désert, le nomade ne quittera jamais un puits sans y laisser corde et seau pour permettre au suivant de boire. On est donc constamment appelé à se dépasser, à compter sur l'appui des autres dans la difficulté, sur la confiance en Dieu toujours.

P. Raphaël Deillon P.B.

Quelques extraits de leur Journal de Bord.

Jeudi 23 septembre, Nouaïl
7 h 30
Nous voici rassemblés pour un petit déjeuner tonique avec, comme spécialité, du lait d'ânesse. L'accueil est magnifique.
Quelques-uns d'entre nous ont dormi dehors, à la belle étoile, en prévision de ces sept jours que nous allons vivre au désert.
13 h 20
Après une belle matinée riche de couleurs et de découvertes, le départ pour le désert est fixé pour 15 h, juste le temps
de poser la tête en cet après-midi de grande chaleur. Tout est paisible. Je prends le stylo pour noter, avant de l'oublier,
cette phrase lancée avec ferveur par un des guides au camping : "Au désert tu sens toutes les choses :
les hommes, les dunes, les chameaux... avec le cœur et non avec la tête.
Voir une petite fleur et sentir la beauté et la grandeur de la vie, bien faire attention à ne pas mettre le pied dessus".
Toutes ces paroles, tous ces témoignages font grandir en moi le désir
de passer au-delà de l'intellect pour faire l'expérience du désert.
l9 h 45
Nous voici arrivés au Camp - c'est magique. Le trajet s'est bien passé, avec quelques "secouées" sympathiques.
Répartis dans trois jeeps, deux heures de route pour arriver à la "Porte du désert" et chercher les chameliers qui allaient nous
guider durant ces huit jours. Les trouver n'était pas évident dans l'immensité du désert.
Quelle joie pour nous de voir s'envoler du sable tout à coup en l'air ! Les chameliers nous avaient aperçus d'abord
et nous montraient ainsi l'endroit de leur emplacement. Quelle joie de voir ce signe de rencontre et d'amitié!
Après avoir descendu les bagages, chacun s'est trouvé une chambre à coucher,
et ensuite nous avons pu célébrer la première eucharistie au désert,
où chacun a pu exprimer ce qui l'avait inspiré pour participer à cette marche au désert.
Pascal




Pause en haut d'une montagne,
au dessus des dunes...


Vendredi 24 septembre
15 h
Après un repas bien venu, chacun est parti pour une sieste... et quelques réflexions sur la première matinée de marche.
Ce fut parfois dur, on s'est chacun demandé à un moment : "Mais qu'est-ce que je fais ici ?" Le désert et les dunes
nous ont réservé des surprises. Pour moi, la plus grande a été de voir toutes ces traces sur le sable.
Nous n'avons presque pas vu d'animaux, mais il y avait des traces à chaque pas, un peu comme Dieu que l'on ne voit pas
mais qui "sème" des traces dans nos vies ; à nous de savoir les repérer et les identifier.
Cécile

Dimanche soir, 26 septembre
Un cri autour du feu, un saut en l'air Amor, un de nos chameliers, vient de se faire piquer par un scorpion.
En moins de 10 secondes, on court chercher une pierre noire, mais dans les deux minutes qui suivent,
tous sont autour du pied d'Amor. Une incision bien ajustée avec une lame de rasoir fait gicler le sang à l'endroit de la piqûre.
On applique la pierre noire sur la blessure. Elle s'y colle et reste collée tant que le venin est encore présent
et elle tombera d'elle-même. Pendant ce temps, Laure, infirmière de métier, lui fait une piqûre au ventre, la trousse de secours étant
toujours prête sous la main. Ce qui nous a impressionnés, c'est de voir comment tous les chameliers se sont aussitôt précipités
comme un seul homme autour de leur frère pour le réconforter, le coucher sur un matelas, le couvrir de couvertures pour qu'il transpire,
lui enfiler le pied dans un sac en plastique, pour qu'il ait chaud, et lui demander à tout moment où en était le mal et s'il allait mieux.
Et puis, quand Amor sentit redescendre le mal dans sa jambe "vers le pied", alors ils ont commencé à danser au son du tobal
et de la reita (tambourin et flûte). Quel formidable exemple de fraternité !
Raphaël



Le soir, dans le désert,
une eau calme,
comme un miroir...


Tout au long de notre marche dans le désert, une multitude de choses sont remarquables, mais j'aimerais bien méditer
sur la présence et l'absence de l'eau dans le désert. Lorsque nous avons passé une journée sans goûter de l'eau fraîche (inodore),
il y a eu des récriminations, bien entendu, des mécontentements exprimés, heureusement dans un climat de fraternité :
"Dieu que j'ai soif! " "Oh! quand est-ce que l'eau fraîche va venir ?" Et voilà de l'eau fraîche qui nous arrive le soir
et puis tout le monde commence à danser de joie. Réfléchissons donc ensemble: notre vie ne ressemble-t-elle pas parfois
à un désert où "quelque chose" manque? Cette expérience dans le désert me montre qu'il y a quelqu'un qui écoute nos désirs,
qui nous donne tout ce dont nous avons besoin. Ces petites choses faites les uns pour les autres, telles que la fraternité, la générosité,
le partage, le service, manifestent la présence de "l'eau fraîche" dans notre désert.
Bonaventure

Lundi 27 septembre
Un moment que nous n'oublierons pas, c'est bien ce lundi à 9h45. Au sommet d'une dune, nous voyons plusieurs arbres et des roseaux.
C'est le lac. Nous nous installons pour le repas et, à peine la dernière bouchée terminée, certains d'entre nous sont dans l'eau.
Dieu, que c'est bon ! Bien sûr, le fond est un peu vaseux, et l'odeur parfois "curieuse", mais on se régale.
Pendant et après la sieste, on replonge, on se lave les cheveux et l'on s'entraide pour le rinçage. C'est impressionnant de trouver un lac
au milieu du désert. Nous pouvons remercier les forages pétroliers qui ont permis de découvrir cette source d'eau soufrée
à plus de 80 m de profondeur, il y a plus de trente ans ! Elle n'est pas très agréable à boire, mais ce sera,
en alternance ou mélangée, notre boisson pendant un jour et demi !
Cécile



P. Raphaël Deillon, Suisse,
originaire de Viry (haute Savoie)
a été oronné prêtre en 1970.
Longtemps missionnaire au Sahara,
Il est maintenant Provincial de Suisse.
Ici, il célébre la messe en plein désert,
pour un groupe de jeunes.


Mercredi 29 septembre
Rien n'a été écrit. Nous avions tous assez à faire face à la chaleur et à la fatigue. Ces pages-là sont écrites dans le cœur de chacun

Jeudi 30 septembre
On est à quelques enjambées de chameau de la fin de notre parcours dans le désert Il fait toujours aussi chaud (37-38°).
Mais une brise légère (rahma Allah : la miséricorde de Dieu) souffle sous la tente où nous sommes entassés à douze
pour un peu de fraîcheur. On est plein de sable, de sueur, mais les rires fusent au début de la sieste après un repas froid :
salade de riz à l'oignon et au citron vert. La boucle est bientôt bouclée. Elle a failli ne pas l'être, car des murmures dans la caravane
rappelaient ceux du peuple d'Israël qui regrettait les oignons d'Égypte et réclamait à Moïse une source d'eau.…
Raphaël

Ce qu'ils ont retirés de cette marche dans le désert.

J'ai pris la chaleur "dans la gueule"...


J'ai senti d'abord au fil des jours, qu'ici au désert il fallait accepter tout ce qui se présente et abdiquer, en quelque sorte. Abdiquer devant une logique de la nature que personne ne peut changer : la chaleur de l'après-midi fut pour moi l'exemple parfait. J'ai pris la chaleur "dans la gueule"... Il m'a fallu bien du temps pour me dire que Dieu est aussi là-dedans, qu'il avait quelque chose à me dire à travers elle. Et ce quelque chose, c'est que je ne dois pas tricher, esquiver la difficulté, mais bien l'affronter et chercher ce que Dieu veut me dire, même à travers ce que je n'apprécie pas. C'était humiliant : ici je fais tellement comme je veux. Cette expérience d'acceptation me permet maintenant d'aller au bout de mes "oui" ou de mes "non", sachant que Dieu m'accompagne partout, dans ce qui me fait plaisir comme dans ce qui me coûte. Au fil des jours dans le désert, j'ai acquis un nouveau regard sur les choses. Tout, absolument tout prend de la valeur dans la précarité. Ce "rapport aux choses" me permet de discerner le nécessaire du superflu, ici en Suisse, et d'apprécier à sa valeur ce dont j'ai besoin pour vivre.
Ce qui m'a frappé aussi, c'est la noblesse des personnes rencontrées dans le désert. La pauvreté matérielle fait mieux ressortir la richesse que la personne porte en elle. J'ai senti dans les chameliers des êtres pacifiants, intérieurement unis et dont les gestes traduisent une sagesse des âges intemporelle.
Dans le désert, nous avons pris le temps de vivre, d'écouter. J'essaie de prendre ce temps ici, sachant que la manière d'être au monde est plus importante que ce que j'y produis. L'unité est en soi, mais il faut la retrouver et donc la chercher, à travers la prière et l'adoration qui contrebalancent l'attraction perma-nente à vivre de manière pulsionnelle et aveugle. Le désert tout entier était lieu d'adoration: on passe du tout au rien...
Pascal

Une retraite extraordinaire

Je crois que toute ma vie et mon être resteront marqués par ces deux semaines que j'ai voulues comme "une retraite extraordinaire". L'expérience du désert, au-delà de tout romantisme, est fondamentale et unique. Je voudrais dire l'émerveillement de l'immensité: celle du silence, celle du ciel étoilé, celle de l'océan de sable avec ses vagues de dunes "toujours recommencées". Immensité aussi de la grande paix qui dit la présence de Dieu, le Très Haut et le Très Proche. Je voudrais dire aussi l'intensité de tout ce qui a été vécu dans ce qui fait la trame de la vie de chaque jour : la gorgée d'eau, le regard et le sourire fraternels, l'ombre de la bâche aux heures chaudes du repos, le chant et le geste de l'offrande à l'heure de la prière. Dire enfin comment le désert est une école de vérité avec soi-même : dans le dépassement avec l'autre et l'accueil réciproque de ses richesses et de ses limites ; avec la nature belle, austère et toujours surprenante !

Solange