Voix d'Afrique N°52
Burkina Faso
Né en 1922, le P. François de Gaulle
demande, en 1940, son admission chez les Pères Blancs . Il rejoint alors le scolasticat de Thibar, en Tunisie. Ses études sont interrompues par la mobilisation en 1942. Il fait partie du premier corps de débarquement en Italie : Mont Cassin, Rome, Sienne, débarquement sur la côte française, à St Tropez, campagnes d'Alsace et d'Allemagne Ce n'est qu'en 1945 qu'il va pouvoir reprendre ses études. Il est ordonné à Carthage en 1950. La même année, il est nommé en Haute-Volta. |
Dès
la fin de l'année 1950, je suis nommé en Haute Volta (actuellement
Burkina Faso), à la préfecture apostolique de Ouahigouya qui couvrait
ce qui formera plus tard les deux diocèses de Ouahigouya et de Koudougou.
Lorsque j'arrive dans cette préfecture apostolique, il n'y a que très
peu de chrétiens à Ouahigouya. Au bout de trois ans, je suis nommé
vicaire
à la cathédrale de Koudougou. C'était à l'époque
une énorme paroisse, énorme par la surface, énorme par
le nombre d'habitants, mais assez petite au point de vue chrétienté,
avec plusieurs centaines de villages qui dépendaient de Koudougou.
Les débuts de Kokolgho
Je commence alors à tourner dans tous les villages, et en particulier
dans la zone de Kokolgho où l'évangélisation en est vraiment
à ses débuts.
À Kokolgho même se trouve déjà une petite chrétienté.
Le chef était chrétien, baptisé avec toute sa famille.
Mais en dehors du village de Kokolgho, il n'y a que trois catéchistes
: un à Pitmoaga, un à Goulouré, et un à Sakoincé.
Le nombre de chrétiens et de catéchumènes n'atteint pas
la dizaine dans ces villages.
Dans tous les autres villages, il n'y a strictement rien ni personne du point
de vue chrétien. Tous les mois, je quittais Koudougou pour passer une
petite semaine dans cette région-là. Je partais en moto, une soixantaine
de km à faire par une méchante route de terre. Le premier soir
on commence par voir les chrétiens qui sont là, on confesse les
gens qui veulent se confesser, et la soirée se passe chez le catéchiste.
Le lendemain matin je célèbre une messe qui rassemble tous les
chrétiens de la région. Ce n'est pas la grande foule, mais enfin
ils sont là. Puis on s'occupe des catéchumènes
Ensuite,
pendant toute la journée, on va visiter les gens case par case. C'est
vraiment
du porte-à-porte car, dans cette région, l'habitat est assez dispersé.
Puis le lendemain, on repart pour le village suivant
C'est ainsi qu'on visitait tous les autres villages de la région.
Parfois quelques surprises
Il m'est arrivé une fois d'avoir voulu passer une nuit à Biongo.
À cette époque, j'avais espéré que le chef pourrait
me recevoir, comme il le faisait dans le passé... Comme il était
absent, personne ne m'offre une case, personne ne m'offre à manger. J'ai
dû passer la nuit sous un arbre et le lendemain matin, je suis reparti.
Mais actuellement, plus de 40 ans après, il y a là une grande
église de plus de mille places avec une chorale, des catéchistes...
et un nombre considérable de chrétiens. J'avoue que, pour quelqu'un
qui a vécu ces situations, c'est tout à fait extraordinaire et
c'est vraiment des grands moments d'action de grâce que de pénétrer
dans de telles églises alors que, quelques dizaines d'années auparavant,
on se souvient qu'il n'y avait rien.
Les adieux à la Paroisse de Kokolgho
ou des aventures cocasses
À cette époque des débuts, on en rencontrait toujours
quelques-unes.
Une fois dans un village, j'arrive pour dormir. On m'offre une case isolée.
Alors je remercie ; j'étais, ce jour-là, avec le catéchiste
qui m'accompagnait et qui me dit :
- Non, mon Père, non, non, on s'en va. - Qu'est-ce qu'il y a ? -
C'est la case du lépreux. - Ah bon ! Alors on est reparti dans la nuit
pour chercher où dormir ailleurs.
Une autre fois, j'étais tout seul, le catéchiste n'était
pas là. Après une nuit dans une case, ayant avec moi une boîte
de Nescafé, je voulais prendre un café le matin. Mais je n'avais
pas d'eau chaude et je demande à une brave femme des environs de me faire
chauffer de l'eau, ce qu'elle fait très gentiment, et elle m'apporte,
avec son beau sourire, l'eau chaude dans un pot de chambre ! Je n'avais ni bol,
ni verre, ni quart, j'ai donc mélangé mon Nescafé dans
le pot de chambre...
Mais boire dans un pot de chambre, même tout neuf, ce n'est pas facile
! Enfin en m'inclinant et en aspirant, j'ai réussi à boire mon
café !
Quand une paroisse se divise en trois
En 1958, je suis nommé curé de la très
grande paroisse de Koudougou dont Kokolgho faisait partie au même titre
que beaucoup d'autres villages.
Mais de 1960 à 1972 je suis économe de la Province de France,
à Paris. Pendant mon absence, cette grande paroisse a été
divisée en trois pour donner naissance à trois paroisses :St Joseph
Mukasa de Koudougou, la cathédrale de Koudougouet la paroisse de Kokolgho.
Ces paroisses restent très importantes, la cathédrale comme Mukasa
fait plus de 100 000 habitants, et Kokolgho fait à peu près 50
000 habitants.
En juillet 1973, je deviens curé de Mukasa, cette grande paroisse de
Koudougou. En 1975 je suis, pour la deuxième fois, curé de la
cathédrale de Koudougou et,
en 1986, je suis curé de Kokolgho. Autant dire qu'après avoir
été vicaire puis curé de la grande paroisse, j'ai été
successivement curé des trois morceaux : Mukasa,
la Cathédrale et Kokolgho.
Kokolgho: procession des Rameaux, avril 2001
Quand la petite graine commence à être un arbre
Lorsque j'arrive comme curé à Kokolgho. en 1986, la chrétienté
est relativement importante avec deux églises à Kokolgho même,
dont une très grande église en dur. Une autre est en construction
à Sakoinsé, et une chapelle existe aussi à Tangen....
Au cours de ces 15 ans, la chrétienté va continuer à grossir.
Pendant toute cette période, le nombre des baptisés est de l'ordre
de 400 à 600 baptisés adultes par an. À cela s'ajoutent
les 250 à 300 bébés enfants de chrétiens que l'on
baptise par an. Je crois qu'il faut encore ajouter un nombre relativement important
de gens originaires de Kokolgho, baptisés en Côte d'Ivoire et qui
reviennent se réinstaller au pays. Actuellement donc cette chrétienté
compte environ 15 000 baptisés catholiques pour une population de 50
000 habitants. C'est une proportion importante pour le Burkina où, dans
l'ensemble, on approche des 20 %, mais là on est déjà bien
au-delà des 20 %.
Les catéchistes
Ce qui est passionnant dans cette évangélisation, c'est qu'elle
a été menée, bien sûr, par les missionnaires, mais
surtout par des catéchistes, c'est-à-dire des chrétiens
adultes qui ont accepté une formation de 4 ans à l'école
des catéchistes.
Ils y rentrent à 18, 19, 20 ans, ou même plus tard, car on souhaite
que la plupart soient mariés. Ils sont donc en famille à l'école
des catéchistes d'Imansgho. On peut dire que la chrétienté
a été bâtie grâce à leur travail, grâce
à leur foi. Ce sont eux qui assurent le plus gros de la formation catéchétique
des catéchumènes, eux qui assurent la formation des enfants de
chrétiens, eux qui surveillent les malades, eux qui président
aux enterrements. Ce sont eux qui sont les animateurs de
la chrétienté avec les membres des conseils paroissiaux, avec
tous ceux qui s'occupent de la prière, les membres des chorales, ceux
qui s'occupent des lectures d'Écriture Sainte, etc.
Le rôle de ces catéchistes est fondamental. Ils sont nommés
par les curés en dehors de leur village d'origine, ils ont la possibilité
de prendre leur retraite, c'est-à-dire de cesser le travail de catéchiste
titulaire, à 50 ans ou après 25 ans de travail. A ce moment-là,
ils reviennent dans leur propre village où ils sont des anciens pleins
de foi et d'ardeur qui contribuent beaucoup à l'évangélisation
de la région.
Ce sont des gens totalement volontaires et qui ne sont pas payés. Ils
vivent sur le travail de leurs mains. On les loge, les logements sont propriété
de la paroisse,
mais ils travaillent, soit comme agriculteurs, soit comme tailleurs, soit comme
réparateurs de bicyclettes ou réparateurs de pneus. Ce sont des
chrétiens actifs, intelligents et pleins de foi.
La cloche de Tangen, Paroisse de Kokolgho
Les vocations
Un autre aspect qui est très important, c'est le développement
de vocations, non seulement de catéchistes, mais de religieuses et de
prêtres.
Quand je suis arrivé à Kokolgho, il n'y avait plus de religieuses
de l'Assomption
Il y avait eu une première communauté qui n'est pas restée
très longtemps. Ce sont des Surs de l'Immaculée Conception
(SIC) qui sont donc venues s'installer, ensuite les surs de St Gildas,
avec leur noviciat. La zone de Kokolgho va donc voir toute une série
de vocations féminines.
Les vocations sacerdotales aussi ont été nombreuses. Pour une
paroisse qui a été ouverte en 1969, il y a maintenant presque
une dizaine de prêtres originaires de Kokolgho.
La majorité est dans le clergé diocésain de Koudougou,
mais plusieurs sont incardinés en Côte d'Ivoire où la population
Burkinabè est très importante. Ils sont en relation relativement
fréquente avec nous. Nous avons même, depuis cette année,
un prêtre originaire de Kokolgho, qui est "fidei donum"
au Niger. Il est parti pour aider à la fondation du nouveau diocèse
de Maradi.
Le développement
La paroisse s'occupe non seulement de l'évangélisation, de la
catéchèse proprement dite, mais aussi du développement,
car tout cela va ensemble : le développement de l'homme, de tout l'homme.
Nous avons essayé d'améliorer les conditions de vie de la population.
La population reste toujours fondamentalement paysanne et donc cultive pendant
la période des pluies. Mais il pleut relativement peu dans ce pays, et
pendant un temps relativement court ; les toutes premières pluies tombent
en mai, l'hivernage ne se développe vraiment qu'à partir des mois
de juin-juillet. En octobre tout est fini. On est donc essentiellement sous
le régime de la monoculture du mil, avec un peu de maïs, un tout
petit peu de riz, culture aussi du haricot. Mais les gens ne connaissaient pas
la culture potagère, et n'avaient pas l'habitude de faire des jardins.
Voilà donc une chose qu'on a voulu développer, cette culture des
jardins qui peut se faire en période sèche. Pour cela, il a fallu
construire des barrages. Le diocèse de Koudougou a mis sur pied toute
une équipe pour la construction de barrages. Puis on a fait creuser des
puits permettant de donner de l'eau pour la boisson, pour les animaux, mais
aussi pour des jardins.
Et là je voudrais spécialement remercier les organismes donateurs,
le plus important ayant été le Secours Catholique français.
Chapelle du village de Saam-Nindaga, paroisse de Kokolgho |
La chorale passe...et les gens aiment enregistrer |
Comme les gens faisaient aussi beaucoup de travaux à la main, on a essayé
de développer la culture attelée. L'ensemble des transports de
marchandises se faisant à têtes d'homme, et quand je dis têtes
d'homme, c'est beaucoup à têtes de femme ! On a beaucoup travaillé
à l'amélioration du transport par des petites brouettes, genre
brouettes chinoises, mais aussi par des charrettes, charrettes métalliques
tirées par des ânes. La paroisse de Kokolgho dans les quinze dernières
années en a commercialisées près de 700. Ce sont des chiffres
importants.
Du point de vue du développement, c'est quelque chose d'extraordinaire
parce que les gens partent de la culture à la main pour passer à
la culture attelée et passer finalement à la traction. Avec ces
charrettes en particulier, on transportait l'eau, le sable, le fumier, le grain,
le bois etc. au lieu de tout transporter sur la tête. Du jour au lendemain
on transporte beaucoup plus et bien mieux.
D'une certaine façon, c'est tout le développement qui commence.
Il ne faut pas, dans un premier temps, arriver avec des tracteurs de 500 ou
1000 chevaux. Les gens sont incapables de les acheter, incapables de les conduire,
incapables de les amortir. En réalité, il faut partir des possibilités
de chacun.
Ce développement à la base a été important et porte
du fruit. Je crois que c'est quelque chose de tout à fait valable.
Multiplication des églises
Pour la communauté chrétienne, la création des lieux de
culte est quelque chose de nécessaire. Au début, ce sont des petits
lieux de culte, simples abris en paille, quelques fois avec un mur de terre
ou des piliers de terre.
À Kokolgho, il y a encore plusieurs constructions de ce type, totalement
réalisées par la population locale.
Mais au fur et à mesure que la chrétienté
se développe, il faut passer à des constructions un peu plus importantes,
en terre sèche. Là aussi la population faisait la totalité
des briques pour la construction et l'on couvrait ces chapelles en tôles.
Mais on arrive très vite à des limites. Les chapelles de ce type
ne peuvent pas recevoir plus de 200 personnes. On est donc obligé de
passer à des lieux de culte plus importants, de 500, de 1000 ou 2000
places. Pour cela,
il est très important que les gens se mobilisent, comme ils l'avaient
fait pour les constructions plus modestes.
Sortie de la messe, après la bénédiction
de l'église de Sa
Tout le monde est mobilisé
On a réussi dans la paroisse une mobilisation
tout à fait extraordinaire pour la création de ces nouvelles églises.
La totalité des matériaux, le sable, le gravier, les pierres étaient
récoltés par des bénévoles, stockés
et transportés par des bénévoles. Mais l'eau aussi. En
Europe c'est facile, on ouvre un robinet et puis l'eau coule. Dans toutes ces
régions, quand on veut construire, il faut de l'eau, beaucoup d'eau,
et la totalité de l'eau va venir sur des bicyclettes, sur la tête
des gens, ou avec des charrettes à âne, pour arriver tout au long
de la construction à fournir l'eau nécessaire. Les maçons
seront presque toujours des maçons de Koudougou, eux seront payés,
ainsi que les spécialistes du fer, les portes les fenêtres et les
charpentes. Mais on ne va que très rarement utiliser les grands moyens.
À Kokolgho, tout a été fait à la main, sans grue,
sans bétonneuse. Et l'on peut arriver ainsi à des constructions
importantes. La dernière église construite, celle de Sa, a vu
la mobilisation de la totalité de la paroisse ; les villages à
5, 10, 20, 30 km, venant pour apporter leur aide. Une journée on a même
compté 504 volontaires pour venir apporter, certains du sable, certains
du gravier, des briques, d'autres de l'eau, etc.
Kokolgho, mars 2001. Le P. de Gaulle salue
le président
de la Caisse Populaire, lors de son inauguration.
La vie ecclésiale est l'affaire de tous
Cette mobilisation de tous pour la construction des églises est importante,
car elle va servir à l'organisation même de la chrétienté.
Les chorales se développent au même rythme. Toutes ces églises
ont des chorales de 20, 30, 40, 50, 60 et davantage d'exécutants, et
souvent des chorales de jeunes. Mais en même temps se développent
aussi tous les groupes de lecture d'Écriture Sainte, des groupes de catéchèse,
etc. La Bible est traduite en morë depuis longtemps. Elle est maintenant
diffusée à des prix relativement bas, puisque la Bible entière
en morë est vendue 3500 F.CFA, c'est-à-dire 35 FF.
Et les gens essayent de continuer à se former. C'est très beau
de voir cette population qui fait de sa vie ecclésiale son affaire, qui
n'attend pas que tout vienne d'ailleurs, qui est capable de s'organiser, et
de se former elle-même au point de vue chrétien.
P. François de Gaulle P.B.