Missionnaires d'Afrique
France

Charles Bailleul, 60 ans de serment, Bry

Une vocation missionnaire :
l’attrait pour les langues

Prenant mon tour dans la série des témoignages, j’avoue d’abord que, pour quelqu’un du Nord, l’exercice est un peu difficile, car on est généralement réservé concernant sa vie intérieure… Comme pour chacun d’entre vous, Jésus m’a appelé, appel progressivement confirmé par les éducateurs. Je lui ai fait confiance et ne l’ai jamais regretté. Sauf erreur de ma part, c’est plutôt la fonction d’ancien responsable du Centre d’études de langue bambara (CEL), son expérience missionnaire et ses convictions qui vous intéressent.

Vous avez devant vous un bon petit représentant du baby-boom P.B de l’hémisphère Nord, dans les années 1950/1960. Enfant de famille nombreuse (nous étions sept vivants), je suis heureux d’avoir retrouvé une ambiance familiale chez les Missionnaires d’Afrique. Dans le Nord de la France, la moitié d’entre nous étaient neveux de P.B, donc, déjà de la famille, si l’on peut dire. Nous avions fait du scoutisme, écologistes avant l’heure, nous intéressant aux arbres, mais aussi aux gens qui nous accueillaient durant nos randonnées. Notre gros défaut était d’être français, n’ayant pas à faire sérieusement l’apprentissage d’une autre langue de communication ou d’enseignement.

L’arrivée en philosophie, à Kerlois, en Bretagne, dans une maison aux murs suintant d’humidité, fut dure … mais plus glacial encore était le vouvoiement de rigueur : déjà un problème de langue qui favorise ou rend difficile le contact. Heureusement, quand il nous arrivait d’entrer dans le bureau du Père Supérieur (à l’époque, le P. Daniel Demassiet), le ton changeait, une fois la porte fermée. ‘Alors, Charlot, comment tu vas ?’. Ça me remettait d’aplomb pour six mois, un an.

De même, au Noviciat, à Maison-Carrée, le bon Père Blin, maître des Novices, eut des gestes qui m’ont beaucoup touché. En plein carême, il frappait discrètement à ma porte et me donnait le courrier du papa veuf de fraîche date, en me demandant d’y répondre sans tarder, alors que la règle était d’attendre Pâques. Plus tard, tant au petit séminaire, comme jeune professeur, qu’en mission, j’ai eu la chance d’avoir des supérieurs chaleureux, attentifs à ce que le nouveau ne soit pas dépassé par les événements. Je souhaite aux jeunes qui m’écoutent de faire la même expérience.

Durant ce même Noviciat, j’ai aimé l’initiation à la langue anglaise faite par le P. Thomas Keane. C’était un pédagogue qui nous a donné le goût des langues vivantes, nous amenant à prendre plaisir à écouter le ‘king’s english’ et à le prononcer correctement, insistant sur la phonétique. Jamais un mot de français pendant ses cours. Il nous a fait prendre confiance progressivement et aimer converser dans une autre langue. Grâce à lui, j’ai su, dès lors, que toutes les langues étaient belles.

Vous savez tous que Jésus en personne a appelé Paul, mais qu’il lui a conseillé d’aller voir Ananie qui lui dirait ce qu’il doit faire. Faire confiance aux supérieurs pour l’avenir part du même principe. En regardant en arrière, je peux dire que tout ce qu’ils m’ont demandé de faire a finalement rendu service plus tard en mission. … Infirmier au noviciat et un an encore au scolasticat, peut rendre compte de mon intérêt pour la pharmacopée…

Responsable du chant grégorien pendant trois autres années peut expliquer la fabrication de quelques bons balafons à Falajè, Kolokani ou Korofinna avec finalement les compliments de feu Mgr Sangaré, me disant en aparté et sans commentaire : ‘i ni ce bala ko la’ = ‘merci pour le balafon’. On peut dire que même l’étude tonale de la langue a été facilitée par une certaine aisance à mémoriser des chansonnettes, religieuses ou non…. La licence ‘lettres classiques’ qu’on me demanda de décrocher à Strasbourg, elle, ne s’intéressait qu’aux langues latine, grecque et française, mais le certificat de ‘philologie’, lui, portait sur l’étude comparée des langues indo-européennes. Notre professeur était spécialiste du ‘hittite’ et savait nous captiver…

Huit ans d’enseignement de langues au petit séminaire de Bonnelles et trois fois deux mois en Espagne pour apprendre l’espagnol en vue de comprendre les sœurs qui travaillaient au petit séminaire, tout cela m’a finalement rendu service pour apprendre et enseigner le bambara quelque douze années plus tard aux confrères et agents pastoraux qui s’inscrivaient au CEL.

Au sujet de l’étude de la langue, je résume mes convictions. D’abord, l’étude de la langue ne finit jamais. Nous avons de merveilleux moyens à notre disposition comme les magnétophones qui nous permettent de faire des interviews sur des sujets bien précis, de pouvoir ainsi employer les mêmes termes, les mêmes expressions qui parlent au cœur des gens. Nos oreilles sont peut-être bonnes, mais n’enregistrent que le dixième, et encore, de ce qu’elles entendent. Le magnétophone, lui, enregistre tout et mémorise tout et ne se lasse jamais de répéter. Mes félicitations à tous ceux qui ont récolté sur bandes des contes ou des chants traditionnels, et transcrit tant d’informations sur l’histoire de la région où ils travaillent, sur les coutumes. Quant à ceux qui ont passé 30 ou 40 ans dans une région sans rien enregistrer ni transcrire, je les supplie de faire un effort dans leurs vieux jours pour que les fichiers de leurs cerveaux (leurs bibliothèques personnelles) ne soient définitivement effacés à leur mort, qu’ils puissent servir aux jeunes. Ainsi, les nouveaux arrivés n’auront pas à toujours recommencer le même travail.

On entre dans une période bénie pour les travaux écrits grâce aux ordinateurs. On peut disposer, en langues africaines et sans problème, de caractères spéciaux. On peut éditer facilement bien des choses agréables ou utiles à lire, dans n’importe quelle langue. Avec un peu d’imagination, on peut même atteindre une clientèle, qui dépasse de loin nos petits groupes de catéchumènes et amener à la connaissance de l’Évangile beaucoup plus de monde. Quelques contes ont paru récemment, destinés aux classes de morale ou d’éducation civique. N’hésitez pas à m’envoyer les vôtres, surtout s’ils peuvent être mis en parallèle avec des textes bibliques.

Enfin, j’ai encore aimé chez nos éducateurs P.B cet art de se mettre à la portée de tous, le souci de tenir compte de ceux dont les facultés d’abstraction n’étaient pas leur charisme, ou qui avaient des difficultés dans l’apprentissage d’une langue. Leur patience a permis à de nombreux candidats de devenir des missionnaires de valeur, dont les noms sont encore dans les bouches des gens pour louer leurs qualités d’accueil et de bonté envers eux. Sans doute certains ne sont-ils jamais arrivés à rouler les ‘r’ du bout de la langue, ou à distinguer un ton haut d’un ton bas ou modulé, mais ce furent de bons pasteurs, aimant leurs brebis telles qu’elles sont, non pas telles qu’ils auraient voulu qu’elles soient.

Puissions-nous être ceux dont les gens disent : ‘le père Untel était gentil, il accueillait tout le monde de la même manière, aussi noblement les pauvres que les riches ou les puissants.’ Paul disait déjà, ‘quand je connaîtrais toutes les langues du monde, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien !’

A titre d’exemple et en conclusion, je vous laisse une phrase entendue en confidence. Je ne la donne pas pour nous décourager, mais au contraire pour nous examiner sur notre comportement de personne très instruite, parfois impatiente ou irritée de voir que ça n’avance pas plus vite dans tous les domaines … ‘Un tel parle bien notre langue, il prêche bien même, mais on dirait qu’il ne nous aime pas !’ Cela m’a laissé rêveur, car pour les malades et les éclopés, le confrère faisait beaucoup. En réfléchissant, de fait, avec les bien-portants, son attitude pouvait laisser à désirer. Il était beaucoup trop dur. Que Dieu nous ouvre les yeux sur nous-mêmes!

Dernier mot : si vous avez l’adresse e-mail de là-haut, soyez gentils, donnez-la-moi, que je puisse leur faire savoir que j’ai encore quelques petits projets quinquennaux d’édition, utiles pour le bien de la Mission ou le développement du Mali. Merci !

Charles Bailleul

(Témoignage donné en 1994, à Sebeninkoro (Mali), lors d’une rencontre des missionnaires de la province du Mali et du Supérieur Général de l’époque : le P. François Richard).

 

Post scriptum de 2013 (85 ans)

Aucun de mes auditeurs ne m’a finalement donné l’e-mail du paradis, mais Jésus a sans doute entendu l’appel adressé il y a près de 20 ans. Les éditions se sont poursuivies à leur rythme.

2000 réédition remaniée du dictionnaire bambara-français de1996 (éd. Donniya. Bamako)

2000 Fais-toi des amis / Taa teri nyini (conte sur l’amitié en un seul livret) (éd. Donniya)

2002 Le mariage de Sabou / Sabu ka furuko (joli conte traditionnel sur le mariage en 2 livrets séparés : bambara et français) (éd. Donniya)
2005 Cours pratique de bambara (éd. Donniya) (dernière mise en forme du Cours.)

2005 Sagesse bambara (plus de 4000 proverbes et sentences traduits et expliqués) (éd. Donniya)

2007 3° édition du dictionnaire bambara- français, revue et augmentée de 1000 entrées (éd. Donniya)

2008 Lancement du site internet bamanan.org (sur la langue et la culture bambara)

2009 Richesses médicinales du Bénin, Burkina-Faso, du Mali (recettes de pharmacopée traditionnelle, utilisant 126 espèces) (éd. Donniya)

Projets d’impression pour 2013 (en exil en France).

/ Espèces arbustives spontanées du Burkina-Faso, Mali : présentation sous forme de livre des 1014 diapositives du P. Tiquet (décédé en 2008), accompagnées de leur bref commentaire. (ouvrage précieux pour les forestiers et les enseignants). 261 espèces.

L’impression de 3000 exemplaires reviendrait à 20 000 €. Écologistes ! Au secours !

Un livre de contes bambara sur ‘les mille et un tours de Sonsannin, le lièvre futé’ en deux livrets, l’un français, l’autre bambara.

Illustration de
Svetlana amegankpoe
dans le conte
“Mariage de Sabou”
de Charles Bailleul