Voix d'Afrique N°95.

La Diva n’est plus…


La chanteuse capverdienne, Cesaria Evora, s’en est allée le samedi 17 décembre 2011 des suites d’une longue maladie. Elle avait 70 ans. Depuis septembre, elle avait mis fin à sa carrière de chanteuse, affaiblie par une opération à cœur ouvert subie un an avant, et était rentrée dans son île natale de Sao Vicente du Cap-Vert. Elle disait alors : « Je vais arrêter, un jour, mais pas que ça. En fait, j’arrête tout. Je n’ai pas de force, pas d’énergie. Je veux que vous disiez à mes fans : excusez-moi, mais maintenant, je dois me reposer. Je regrette infiniment de devoir m’absenter pour cause de maladie, j’aurais voulu donner encore du plaisir à tous ceux qui me suivent depuis si longtemps. » Cesaria Evora, avec ses 15 albums, était un grand nom de la world music. Elle a fait connaître dans le monde la morna, musique du Cap-Vert. Avec sa voix rauque et profonde, elle est l’une des voix les plus intenses et des plus émouvantes.

Enfance

Elle a fait connaître l’archipel du Cap-Vert, et rendu familier le mot morna. Sa renommée a redonné de la force au développement touristique et économique de son pays, ce qui ne manque pas d’ironie : Cesaria Evora venait des bas-fonds et, jusqu’à 50 ans, elle a mené une vie proche de la misère. Mais surtout une vie de femme libre, indomptée jusqu’à son dernier souffle.

Cesaria ne cachait rien de ses premières années. Née le 27 août 1941 dans la petite ville portuaire de Mindelo au Cap Vert, elle était fille d’un musicien et d’une cuisinière, dans une fratrie de sept enfants. Son père joue du violoncelle pour nourrir la famille, et meurt, usé par la vie de bohème, alors qu’elle n’a que sept ans. Sa mère la confie alors à un orphelinat. Elle est élevée par les sœurs qui lui apprennent à coudre et broder.

Dès l’âge de 16 ans, Cesaria Evora chante dans des bars mal famés du quartier du Lombo où échouent les marins et dans des soirées privées. Elle émerveille le public et gagne un peu d’argent en chantant des chansons tristes, sur l’amour, la pauvreté, la mer. Elle chante aussi dans la rue, le blues, la “sodade” - le spleen, la tristesse... Elle connaît l’alcool, les amours éphémères. Elle aura quatre enfants, tous de pères différents, et absents : jamais mariée, elle a toujours vécu chez sa mère. Elle était indifférente aux commentaires sur sa vie dissolue et son penchant pour la bouteille.

En 1975, l’indépendance du Cap-Vert porte un coup à la vie nocturne : les colons portugais s’en vont, l’activité du port ralentit et le parti unique marxiste réglemente le quartier des plaisirs. Cesaria Evora cesse de chanter, devient une sorte de fantôme. Elle sombre dans une grave dépression et renonce au chant pendant près de 10 ans. On la dit folle, ou victime d’un mauvais sort.

Son succès

En 1985, elle reçoit une invitation de l’Union des femmes du Cap-Vert de Lisbonne. Elle accepte et rencontre alors un homme qui sera son mentor et son producteur, le Franco-Capverdien José Da Silva. Son destin se joue là. José lui offre de se produire à Paris. Elle sort son premier album en 1988, “La diva aux pieds nus”, un nom qui va lui coller à la peau. Puis vont se succéder albums et concerts où amour, “sodade”, révolte, dureté et beauté des îles, sonorités africaines et cubaines, s’harmonisent par enchantement. Evora a un style unique, envoûteur, langoureux.

En 1992, c’est Miss Perfumado et son chef d’œuvre “Sodade”, avec deux triomphes au Théâtre de la Ville à Paris, puis deux Olympia à guichets fermés. La renommée de Cesaria Evora se bâtit sur cette chanson très politique, qui évoque le travail forcé organisé par le pouvoir colonial portugais, obligeant des Cap-Verdiens à travailler dans les plantations de cacao de São Tomé et Princípe, autre île africaine occupée par Lisbonne.

Le succès des albums de Cesaria Evora est extraordinaire : Miss Perfumado (515 000 ventes), Café Atlantico (1999) (770 000 exemplaires). Ils continuent d’être achetés ; ils n’ont jamais été supprimés des catalogues. A ce jour, 4,5 millions de disques ont été vendus, dont 2 millions en France.

En 2003, elle reçoit un Grammy Award américain pour son album Voz d’Amor (400 000 exemplaires) et une Victoire de la musique française, la deuxième, après celle de 1999 pour Café Atlantico. En 2009, ce sera la Légion d’honneur, de la part du président Jacques Chirac.

Mais sa santé donne des signes inquiétants. En 2008, la chanteuse est victime d’un accident vasculaire cérébral après un concert à Melbourne. Diabétique, la chanteuse indisciplinée, qui n’a pas renoncé à la cigarette, avait interrompu le régime qui lui interdisait graisses et chocolat.

Son style

Un brin provocatrice, Cesaria Evora arrivait sur scène pieds nus. Assise pendant la moitié du concert avec son paquet de cigarettes et sa bouteille de cognac posés sur un guéridon, elle chante avec une sorte de lassitude détachée qui la rapproche des grandes du blues, Billie Holiday en tête. Mais avec un timbre chaud, lisse, enveloppant, de berceuse maternelle.

Amoureuse de la France, elle y venait régulièrement et avait collaboré avec Bernard Lavilliers en 2004, Cali en 2006 et les Nég’ Marrons en 2008. Son fan-club s’est enrichi des plus grands noms : Madonna, Caetano Veloso, Aznavour… En lui offrant Ausencia, sublime tango du manque, sur la Bande Originale du film Underground, Goran Bregovi achève de la mondialiser.

Son activité se développe sur un rythme triennal : CD, tournée, un peu de repos, puis rebelote. La machine se grippe à deux reprises avec des incidents cardiaques, puis repart. En mai 2010, elle est opérée à cœur ouvert six heures durant. L’alerte est sérieuse. Elle annule une vingtaine de concerts, mais elle n’arrête pas la scène, sa “drogue”, selon elle. En avril 2011, elle apparaît en forme sur les planches du Grand Rex, à Paris. Mais son cœur fragile, qui a “flanché” plusieurs fois, la pousse à renoncer à son addiction, la scène, le 23 septembre.

Silence

Son décès est annoncé par le ministre de la Culture, le chanteur Mario Lucio. Deux jours de deuil national sont décrétés avant ses obsèques. Parmi les témoignages du monde entier, l’un revêt un sens particulier : sur les terrains de foot portugais, où jouent de nombreux Cap-verdiens, a été observée, le jour même de sa mort, une minute de silence. L’hommage aurait ému Cesaria, qui n’avait jamais caché sa passion amoureuse pour les footballeurs.

Le premier ministre José Maria Neves a rendu un vibrant hommage, estimant que Cesaria Evora ne « mourra jamais parce qu’une icône et une star ne meurent jamais. Elle restera à jamais dans la mémoire du Cap-Vert et de tous les Cap-Verdiens ».
« La vie continue, je suis venue vers vous, j’ai fait de mon mieux, j’ai eu une carrière que beaucoup aimeraient avoir », avait-elle confié alors au quotidien français Le Monde.

« Elle ne marche pas, elle ondule. Lentement, posant à peine ses pieds nus au sol, Cesaria Évora a glissé sur la surface du globe depuis des décennies, avec ce même pas encombré, cette même voix chaloupée qui saisit en un souffle, et cette terre qui brûle en elle. Ce pays rude fait de soleil, de sel et d’exil, le Cap-Vert.»

(L'archipel du Cap-Vert se trouve dans l'océan Atlantique, au large des côtes du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie.)

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique

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