Missionnaires d'Afrique

Jean-Marie Tardif M.Afr
Canada

Cardinal Lavigerie

Quand nous parlons du cardinal Lavigerie, nous nous arrêtons surtout aux étapes de sa carrière fulgurante : à 29 ans, professeur en Sorbonne ; à 31 ans, directeur de l'Oeuvre des Écoles d’Orient ; à 38 ans, évêque de Nancy ; à 41 ans, archevêque d’Alger. Nous connaissons bien aussi ses consignes missionnaires, ses intuitions d’avant-garde, ses luttes pour l’Église de France.

Lavigerie fut vraiment, comme on l’a souvent répété, un géant de l’apostolat. Au lendemain de sa mort, un journal de Rome écrivait : “Aux initiatives audacieuses du grand homme va désormais succéder le développement graduel et pacifique de ses œuvres. Il a taillé de la besogne à plusieurs générations. Comme les conquérants et fondateurs d’empires, il a fait de l’histoire pour des siècles. Les Missions, les Pères Blancs, l’antiesclavagisme, le Sahara et le Soudan, l’Afrique des Lacs, tout marchera sous le coup de l’impulsion reçue de sa main. Quand les moissons mûrissent, les semeurs s’en vont.”

Mais lui-même, qui était-il ?
À sa mort, on n’a trouvé aucun papier personnel, ni notes de retraites, journal intime, aucune note concernant sa vie spirituelle, très peu de confidences sur sa vie personnelle. “On peut soupçonner la richesse de sa vie intérieure”, dit le P. Renault, “mais nous devons nous arrêter sur le seuil de sa vie intime, sans pouvoir en découvrir toute la profondeur.”

À Alger, on sait qu’il se levait à 4 heures du matin et faisait une heure d’oraison avant de célébrer la messe. Il avait des pratiques d’une piété simple. Il portait toujours, dans la poche de sa soutane, une petite statue de saint Joseph, son fournisseur de fonds, comme il disait. On sait qu’il avait aussi une grande dévotion à Marie Reine de l’Afrique. Sur son lit de mort, il faisait ouvrir sa fenêtre et fixait les yeux sur le clocher de la basilique de Notre-Dame d’Afrique. Quand il partait en voyage et lorsqu’il en revenait, il allait prier à Notre-Dame d’Afrique.

Il aimait les belles célébrations liturgiques et il avait horreur de l’improvisé et du bâclé. Même le P. Charmetant, qui le connaissait bien, écrit qu’il était un homme de contraste et parfois déroutant. On le pensait riche et à sa mort on constate qu’il ne possédait rien.

Humilité
Il semblait chercher les honneurs comme le cardinalat, le cumul des archevêchés de Carthage et d’Alger, ce qui est contraire aux règles du droit canon. Il a fait des démarches à Rome pour que la Société n’ait pas de Supérieur général de son vivant, mais un simple vicaire général. Et pourtant, il donne bien des signes d’une vraie humilité. Après sa mort, on a retrouvé, dans une simple boîte de carton, un nombre impressionnant de décorations qu’il avait reçues et qu’il ne portait pratiquement jamais (sauf l’une ou l’autre lorsqu’il y était obligé dans des réceptions officielles). On le voit s’agenouiller devant un secrétaire qu’il avait rabroué pour lui demander pardon. Sur son épitaphe, il fera graver tous ses titres et, à la fin, il fera ajouter “et nunc cinis”, “et maintenant, tout cela n’est plus que cendre.”

À un de ses admirateurs qui lui avait envoyé un livre qu’il venait d’écrire sur lui, il répond : “J’ai fait vœu de ne pas lire votre livre pour ne pas ouvrir l’oreille à des tentations dont je ne connais hélas que trop le danger.”

Un homme respectueux de tout ce qui est humain
Nous connaissons tous son cri célèbre à l’église de Gesu, Rome, lors de sa campagne antiesclavagiste, phrase reprise d’un ancien philosophe de Carthage, Térence : “Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.” À La fin de sa vie, il laissera échapper cette plainte : “Peu de gens, bien peu de gens, ont la vocation supérieure : l’humanité”.

On sait aussi par ses écrits et consignes à ses missionnaires comment il était respectueux des façons de vivre et de faire des autres, ce que nous appelons aujourd’hui la culture. Respect des rites orientaux. En Afrique, respecter les coutumes, apprendre les langues, ne pas faire des Africains des Européens chrétiens. À ses missionnaires, il demandera de revêtir le costume des Arabes au milieu desquels ils vivaient.

Homme d’Église
Il a connu la tentation du pouvoir et des honneurs, mais on peut dire qu’il les recherchait comme des moyens plus efficaces de remplir son rôle dans l’Église et faire oeuvre humanitaire. On connaît son action dans l’Église de France, le toast d’Alger, son amitié avec Léon XIII.

Il semblait dur et énergique et pourtant il était homme d’une grande sensibilité. Il était très impressionnable. Les retards, les lenteurs à obéir l’irritent profondément et alors se colères sont fréquentes et certaines célèbres.
Je voudrais conclure avec un extrait d’un texte prophétique du Cardinal, parmi les plus beaux qu’il ait écrits.

Il parle de cette Afrique qui un jour deviendra chrétienne et il conclut en disant : “Ce jour, mes frères, mes yeux ne le verront pas dans ce monde ; mais je l’attendrai, du moins avec une ferme confiance qui me suivra jusque dans la mort.

Là, si Dieu fait miséricorde à mon âme, mes prières chercheront encore à en hâter la venue. Prosterné devant le trône de l’Agneau, dont le sang a racheté tous les peuples du monde, j’unirai ma voix à celle des martyrs, des docteurs, des évêques de l’ancienne Afrique qui implorent, depuis tant de siècles, la résurrection de leur patrie.
Lorsqu’un jour ces voeux seront exaucés, ma cendre refroidie tressaillira au fond de sa tombe.”

Jean-Marie Tardif


Tiré du Petit Echo N° 1025 2011/9

 


 

Missionaries of Africa

Jean-Marie Tardif M.Afr

Canada

Cardinal Lavigerie

When we speak of Cardinal Lavigerie, we stop short at the stages of his brilliant career: Professor at the Sorbonne aged 29; Director of the Oeuvres des Écoles d’Orient aged 31; Bishop of Nancy aged 38, (the youngest bishop in France); Archbishop of Algiers aged 41. We also know of his missionary instructions, his innovative ideas, and his struggles for the Church in France.

As has often been repeated, he was a giant of the apostolate. The day after his death, a Roman newspaper stated, ‘From the bold initiatives of this great man will from now on stem the gradual and peaceable development of his works. He has carved out work for several generations. Like conquerors and founders of empires, he has made history for centuries. The Missions, the White Fathers, the Antislavery Campaign, the Sahara and French Sudan, Africa of the Great Lakes, everything will advance with the impetus received from his hand. When the harvest is ready, the planters take their leave.’

Who really was Lavigerie?
At his death, no personal papers were found, no retreat notes, no private diary, no notes concerning his spiritual life, very few confidences on his personal life. Fr. Renault wrote, ‘We can presuppose the riches of his interior life, but we have to stop on the threshold of his interior life, without being able to uncover all its depth.’

We know that at Algiers he rose at 4am and spent an hour in prayer before celebrating Mass. He had straightforward exercises of piety. He always carried a small statue of St. Joseph in the pocket of his cassock. He called St. Joseph his fundraiser. We know that he also had a great devotion to Our Lady Queen of Africa. On his deathbed, he had his window opened so he could look out on the bell-tower of the Basilica of Notre Dame d’Afrique. When he left for a journey and on returning from one, he would go to pray at Notre Dame d’Afrique.

He liked well-planned liturgical celebrations and had a horror of anything improvised and slapdash.
Even Fr. Charmetant, who knew him well, wrote that he was a man of contrasts and sometimes puzzling. He was considered well-off, whereas at his death, it was revealed that he had nothing.

Humility
He seemed to seek honours such as the Cardinalate, the holding of both Algiers and Carthage as Archbishop, which is against the rules of Canon Law. He set a process in motion at Rome whereby the Society would not have a Superior General in his lifetime, but a plain Vicar General. Nevertheless, he gave several indications of a genuine humility. After his death, an ordinary cardboard box was found with an impressive number of decorations he had received but hardly ever wore, (except one or other when he was obliged by official receptions). He was known to kneel before a secretary to beg forgiveness for having scolded him. On his epitaph, he had all his titles engraved and at the end had ‘nunc cinis’ added, i.e., ‘now all this is no more than ashes’.

To one of his admirers who sent him a book he had just written about him, he replied, ‘I made a vow not to read your book so as not to open my ears to temptations of which, alas, I know only too well the dangers.’

A man profoundly respectful of all that is human
We all know his famous cry at the Gesù church, Rome, during the Antislavery Campaign, a phrase taken from Terence, the ancient philosopher of Carthage: ‘I am a human being and I am foreign to nothing that is human.’ At the end of his life, he was to let slip this lament, ‘Few people, too few people, have the ultimate vocation: humanity.’

We also know through his writings and instructions to his missionaries how much he respected the ways of doing and living of other people, what we know today as culture. He respected the Oriental Rites. In Africa, he showed respect for the customs and learning the language, advising against making Africans into European Christians. He was to seek agreement from his missionaries for them to wear the clothing of the Arabs among whom they would live.

A Churchman
He knew the temptation of power and honours, but it could be said he sought them as the most effective means to fulfil his role in the Church and to carry out humanitarian work. He is known for his action for the Church in France, the Toast of Algiers and his friendship with Leo XIII.

He seemed to be hard and vigorous, yet he was a man of great sensitivity. He was very impressionable. Delays and slowness to obey deeply irritated him and it was at this point that his angry outbursts were frequent and some of them legendary.

I would like to conclude with an excerpt from a prophetic text of the Cardinal, among the most beautiful he has ever written.

He speaks of the Africa that will one day become Christian and he concludes by saying, ‘On that day, my brothers, my eyes will not see it in this world; but I shall look forward to it at least with a firm confidence that will follow me into death. There, if God has mercy on my soul, my prayers will still seek to hasten its coming. Prostrate before the Throne of the Lamb, whose blood redeemed all the peoples of the world, I will unite my voice to that of the Martyrs, Doctors and Bishops of ancient Africa, who have been imploring the resurrection of their homeland for so many centuries.
When one day these desires will be granted, my cold ashes will thrill with joy in the depths of the tomb.

Jean-Marie Tardif

From Petit Echo n° 1025 2011/9