Voix d'Afrique N°75.....



Bruno Chupin est à Paris. Il a vécu au Congo (ex-Zaïre) depuis 1965.Il nous parle de son aventure missionnaire.

 

Ituri, Est-Congo : nous restons !

Bunia, la petite capitale de l'Ituri, à l'Est du Congo, aurait tout pour être un paradis. Mais au début du 21ème siècle, le mauvais jeu de mots est courant : Ituri, la tuerie ! C'est la guerre, les partisans d'un camp contre l'autre, les combats, les attentats, les explosions, les gens qui fuient en panique, les morts au bord de la route. Partout c'est l'insécurité : à chaque heure du jour ou de la nuit, on se demande : qu'est-ce qui va nous arriver ? Les bruits courent, contradictoires. Un matin, un camion militaire s'arrête devant la paroisse. Un officier en casque bleu de l'ONU en descend et appelle tous les pères : " Allez ! Dépêchez-vous ! Faites une valise et montez ! Un avion vous attend pour l'Europe ! " La réponse des missionnaires ne tarde pas : " Nous restons. Nous sommes chez nous ici. Les gens nous ont accueillis et ce n'est pas quand ils sont dans la tourmente et la confusion que nous allons les abandonner. " Et l'officier repart bredouille !

Nous restons !

Bruno Chupin fait partie de l'équipe missionnaire qui refuse de partir. Pour lui, ce serait déserter ces familles avec qui les pères blancs partagent tout, depuis plus d'un siècle, les joies et les deuils, les repas et les danses, les fêtes et les soucis quotidiens. " Nous restons !" "Mais vous n'avez pas peur ?" Bien sûr qu'ils ont peur, les missionnaires, mais ce qui est plus fort, c'est la conviction que leur place est là. Le Christ est là, comme autrefois sur la barque au milieu de la tempête. C'est sa voix : " N'ayez pas peur, je suis là !"

A Versailles

Bruno a été à l'école du courage et de l'aventure chez les scouts de Versailles. Sa nombreuse famille y était établie depuis des années. Il aime les défis, les longues marches, les nuits sous la tente, la cuisine sur le feu de bois, les jeux et les défis, les chants et les prières autour du feu de camp. C'est là qu'il découvre la force de l'équipe. Il peut toujours compter sur ses amis, car ses amis comptent sur lui. "Seigneur Jésus, apprenez-moi à être généreux… à donner sans compter, à combattre sans soucis des blessures… !" Au collège des Eudistes ou des Frères des Ecoles chrétiennes, il n'est pas le premier de la classe. Mais il est l'ami sur qui on peut toujours compter.

Préparation au Service

Lorsqu'il décide de devenir missionnaire, personne n'est surpris. Cela fait un peu partie de la tradition familiale. à chaque génération, on trouve un oncle ou une tante religieux ou religieuse. L'engagement chrétien fait partie de l'histoire de la famille. Un ami de la famille, Père Blanc, Michel Vidil, est au Maghreb. Bruno décide de s'engager sur la même voie ; il sera missionnaire d'Afrique.

Il part donc pour le séminaire de philosophie de Kerlois, en Bretagne, pour deux ans. La vie matérielle est dure, le climat est froid et humide. Pas de chauffage en hiver. La nourriture est très simple mais abondante. La vie de communauté est très fraternelle, entre les études de philosophie, les temps de prière, les parties de football ou de volley-ball, les travaux manuels, les grandes balades et les "pardons" bretons. En 1959, il continue à Gap sa formation spirituelle. Il est appelé à Bizerte en 1961 pour son service militaire et tombe en pleine crise entre la France et la Tunisie ; il est dans les blindés et apprend à piloter et à tirer. Piloter lui servira plus tard, mais il s'empresse d'oublier canons et mitrailleuses. Après dix neuf mois sous l'uniforme, il retourne à Carthage pour y poursuivre ses études de théologie. Le Scolasticat déménage à Vals, et c'est là qu'il prononce son serment missionnaire, en 1965.


Centre des Jeunes
Bunia (Ituri)

Au Congo en crise

Ordonné prêtre en 1965 à Versailles, il est nommé au Congo, l'ancienne colonie belge, qui vient d'accéder à l'indépendance. Il est nommé dans l'Ituri, province de l'Est, limitrophe de l'Ouganda. La mission y est florissante. Le Congo nouvellement indépendant attire déjà les convoitises, particulièrement dans les régions de l'Est. Chaque province veut garder ses mines et ses richesses. Les rancœurs et les jalousies consécutives à la colonisation, les ambitions au moment de l'indépendance sont exacerbées. Lors de la rébellion " muléliste " neuf pères blancs sont tués à Aba et à Bunia. Le pays est en crise. Le diocèse de Mahagi est relativement calme. Bruno s'initie à la langue et prend sa place comme vicaire près de la frontière ougandaise à Aru.


Bunia Ituri : Centre des Jeunes.
Bruno à l'ordinateur avec un "technicien"

Le Vivant

Après quelques années, il profite de son retour en France pour suivre les cours de théologie de l'Arbresle, chez les Dominicains. Ce n'est plus la théologie dogmatique du séminaire, mais un approfondissement de son expérience de foi au Congo. Le Christ est vivant, Il est Le vivant, le Compagnon d'épreuves des pauvres, des victimes des cupidités internationales, des réfugiés chassés de leurs villages, errant sur les pistes, dormant dans les forêts. C'est sa voix au milieu des tempêtes : "Pourquoi avez-vous peur ? C'est moi, je suis là !" Il n'ordonne pas de miracles, mais ce qui est spectaculaire, c'est le courage d'aller plus loin, la volonté de vivre, d'aimer et de pardonner, malgré tout.

Jérusalem

Il repart pour cinq ans encore au Congo, appelé alors Zaïre. Comme beaucoup de missionnaires, il est invité à un pèlerinage à Jérusalem : pendant trois mois, il suit Jésus pas à pas sur les chemins de Palestine, de Jérusalem au Lac de Galilée. Il suit le cheminement de la grande retraite de trente jours. Une très grande grâce. De là, il est nommé en France : pendant quatre ans, il travaille à faire connaître la mission dans la région parisienne Puis il prend de nouveau l'avion pour le Zaïre.

Kinshasa

Mais un autre dépaysement l'attend : il est envoyé à Kinshasa, la capitale, à l'autre bout du pays, à 2000 km de l'Ituri. Après la brousse, c'est la grande métropole, les foules, l'agitation perpétuelle, la circulation et les bruits dans un climat plus chaud et plus humide que celui de Bunia. Les paroisses de St. Cyrille, puis de St. Etienne et enfin de Ste Félicité sont très animées. Les milliers de chrétiens se retrouvent entre eux dans les "petites communautés de base" animées par des laïcs, les Mokambi. Avec Louis Vernhet (voir Voix d'Afrique n° 69, décembre 2005) il organise rencontres et sessions à leur intention, il les visite et les encourage, partage les difficultés, aide à trouver des solutions, construit des églises et célèbre le Corps du Christ, le pain et le vin, toute la vie et le travail des hommes et des femmes de Kinshasa.


Petit groupe de formation de Kinshasa :
pendant une réunion communautaire.


Des livres contre les mitraillettes.

Il repart à Bunia au début du nouveau millénaire, avec une priorité : les jeunes qui ont toutes les peines du monde à sortir de l'ambiance de guerre, issus de dizaines d'ethnies différentes, appelés à " vivre ensemble ". Une bibliothèque est ouverte ; des livres sont offerts pour lutter contre les armes. Par miracle des milliers d'ouvrages sont sauvés du désastre : un ancien bâtiment laissé à l'abandon menaçait de tomber. La jeunesse des écoles est embrigadée pour une journée ; ils emportent les livres vers de nouveaux locaux avant l'arrivée des pluies. La nuit suivante, un gros orage éclate et le toit s'effondre, sur des rayonnages vétustes heureusement vides, " Merci au Seigneur des orages ! ". Le succès de la nouvelle bibliothèque est immédiat ; ils sont 3000 abonnés qui ont accès à 15000 livres, romans, encyclopédies, bandes dessinées et livres scolaires, sans oublier documents d'études avancées. Devant ce succès, une bibliothèque universitaire est créée, avec l'aide de la Coopération française. Chaque année de nouveaux inscrits de présentent ; ce n'est pas le dollar de cotisation qui les décourage. La jeunesse de l'Ituri n'est plus mobilisée pour la guerre, mais pour l'amitié, la communion, le travail pour reconstruire une société plus juste. De cette réalisation, les médias internationaux ne parlent pas, mais c'est là que se construit un peuple nouveau.

N'aie pas peur !

Bruno est un ami précieux. En 2003, ses confrères le choisissent comme animateur des missionnaires d'Afrique de la région. En 2006, la Société envisage la formation de futurs missionnaires africains à Kinshasa, Bruno est envoyé pour aider la dizaine de jeunes aspirants à discerner et approfondir leur vocation. C'est encore une nouvelle aventure. Il a du revenir en France pour des soins médicaux. Nouvelle épreuve encore, mais il garde le sourire. Plus obstinée que jamais la voix du Maître retentit, plus forte que toutes les tempêtes : " N'ayez pas peur ! C'est moi ! ".

Voix d'Afrique


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