Voix d'Afrique N°91.

Un Père Blanc noir
au Maghreb

 

Après trois ans de vie comme Missionnaire d’Afrique en Algérie, dans le Diocèse du Sahara, le Père Mwenda Bonaventura Benjamin (dit Bona), ordonné prêtre en 2007 à Njombe, en Tanzanie, est nommé pour des études en Égypte (Le Caire). Il nous partage ses expériences, aventures, convictions, souhaits.

Missionnaire africain

Pendant longtemps, les Missionnaires d’Afrique, présents dans les pays du Maghreb, venaient presque uniquement d’Europe. Nous assistons, aujourd’hui, à une arrivée de jeunes Pères et Frères originaires d’Afrique. Rendons grâce à Dieu pour cette nouveauté qui s’inscrit dans le rêve de notre fondateur, de voir l’Afrique se mettre debout pour prendre la relève des aînés. Arrivant au Maghreb, je ne me sens pas initiateur de l’œuvre de Dieu, mais en communion avec tous ceux qui cherchent et réalisent la volonté de Dieu dans ce milieu. “L’œuvre durable doit être accomplie par les Africains eux-mêmes devenus chrétiens et apôtres.” (Lavigerie)

Bien que l’arrivée d’un jeune prêtre missionnaire africain comme moi soit une nouveauté pour certains Algériens, l’accueil que beaucoup m’ont réservé reste inoubliable. Ils ont vite reconnu l’unité dans notre vision et manière de vivre la mission au Maghreb. La patience reste un remède de vie. Il faut assumer son identité au fur et à mesure. Ma présence ici a donc permis à certains autochtones de comprendre que tous les Pères Blancs ne sont pas forcément de peau blanche (Européens) ; qu’il y a aussi des prêtres Pères Blancs africains qui les aiment et travaillent pour leur bien et celui de leur société. La connaissance, l’appréciation et la confiance mutuelle s’approfondissent progressivement entre nous. Bref, je me suis senti vraiment bien accueilli en Algérie !

Mission à vivre au Maghreb

L’attention portée aux migrants subsahariensArrivé au Maghreb, mon devoir missionnaire est d’entrer en communion avec ce peuple à majorité musulmane et faire en sorte qu’il devienne lui aussi apôtre des musulmans. Prêtre en Algérie, je ne suis pas là pour convertir l’autre, mais je suis là avec mon frère, ma sœur autochtones afin qu’ensemble nous nous tournions vers l’amour universel et fraternel. J’essaie d’être un frère pour mon frère, ma sœur, qu’ils soient Algériens ou non Algériens, riches ou pauvres, pour la gloire de Dieu et le salut de tous. Mon champ d’activités est la gratuité dans l’amitié à travers des visites et des rencontres organisées en collaboration avec les musulmans du milieu, l’engagement dans les services du Centre Culturel et de Documentation Saharienne (CCDS), l’attention portée aux migrants subsahariens et, enfin, la responsabilité de la petite paroisse de Ghardaïa comme curé.

Le choc culturel

L’expérience et le choc culturel du départ me font affirmer que nos différences religieuses, culturelles, ne sont pas des menaces, mais des richesses si elles sont bien vécues. Je suis convaincu qu’il est possible de vivre et de travailler ensemble malgré nos différences. Je viens d’une petite tribu de Bena, à l’ouest de la Tanzanie, mais j’ai grandi dans le milieu côtier où vivent musulmans et chrétiens. Chaque fois que j’arrive sur une terre d’Islam, que ce soit chez moi en Tanzanie, au Burkina Faso, au Niger ou au Soudan, la façon de vivre l’Islam me semble un peu différente. Ici, en Algérie, un des chocs que je vis n’est pas en premier lieu “l’islamophobie”, mais plutôt “l’arabophobie”, et parfois la xénophobie. Par exemple, le fait de voir des musulmans de rite malékite en conflit avec ceux de rite ibadite choque un peu. Des maltraitances quelquefois envers des migrants par certains Algériens, non parce qu’ils sont migrants ou noirs (car il y a des Algériens noirs), mais parce qu’ils sont étrangers : cela choque du point de vue humain. Je crois que nous avons tous le devoir de créer un espace interculturel où chacun se sent chez lui, et de vivre ensemble comme frères et sœurs dans un amour universel. C’est un défi commun à surmonter, chrétiens et musulmans, tous ensemble ! Que nous soyons anciens ou jeunes Pères Blancs, chacun doit vivre et assumer son identité, puisant son énergie spirituelle et humaine dans le Seigneur. Tout en appréciant l’action de nos aînés, nous devons encourager les nouveaux dynamismes de ceux qui arrivent maintenant. Pendant mes trois années au Maghreb, j’affirme avoir vécu dans la joie et l’espérance nos deux grandes priorités apostoliques : la rencontre et le dialogue interreligieux et l’engagement pour Justice et Paix.

Être prêtre au Maghreb

JVivre le tout à tous, chaque joure vis ma vocation de prêtre en tâchant de rester fidèle à ma foi en Jésus Christ qui m’appelle chaque jour, “Faites ceci en mémoire de moi”, pendant la consécration du corps et du sang du Christ. Ce mémorial me transforme et m’aide à porter un regard positif sur l’autre, à l’aimer et à prier pour et avec lui. Pour moi, la célébration eucharistique est non seulement mon devoir le plus sacré, mais surtout le besoin spirituel le plus profond de mon être.

Elle exprime la communion qui est la vocation fondamentale de tout homme. Je situe mon sacerdoce au niveau de son être et je le définis par la proximité avec l’autre, quelle que soit son appartenance religieuse. Ce qui compte pour moi, ce n’est pas seulement cette minorité de chrétiens catholiques qui sont en face de moi, mais tout le peuple de Dieu, et les musulmans en font partie. Saint Augustin disait : “Si tu veux aimer le Christ, étends ta charité à toute la terre, car les membres du Christ se trouvent dans le monde entier.” Ma joie de prêtre est que je reste toujours en contact avec la sainteté de Dieu et que je suis signe d’espérance et témoin du Christ et de son Évangile, ici en Algérie, en vue du Royaume.

Joies et difficultés

Heureux celui qui a un cæur d’enfant !Ma joie se retrouve dans la rencontre, l’écoute et l’amitié qui se tissent avec les Algériens, majoritairement musulmans, les migrants et les étudiants subsahariens et les chrétiens venant de partout dans le monde. Travailler avec une telle diversité de peuples et les rencontrer est une richesse pour moi. C’est une manière de vivre la catholicité de notre Église et l’universalité du peuple de Dieu. Cette vie me permet d’approfondir mon désir de témoigner de ma foi et de ma vocation de prêtre tout en cheminant avec tous ceux que je rencontre sur mon chemin et qui cherchent des valeurs d’amour, de paix et de justice. Pour moi, la mission est un chemin de la rencontre de et avec l’autre dans un enrichissement mutuel, avec Jésus comme guide. C’est mon témoignage de foi à l’autre pour faire vibrer et vivre en lui des valeurs du Royaume de Dieu.

Les défis sont nombreux, en particulier voir que beaucoup vivent discrètement leur foi, malgré la place importante que nous avons dans cette société maghrébine suite à ce que nous avons vécu et fait dans le passé et à ce que nous vivons et faisons maintenant. Un autre grand défi est celui de savoir quoi faire, de quelle manière aider, que dire… devant une jeunesse autochtone découragée qui a le grand désir de partir ailleurs. Le paradis se trouve ailleurs, est-ce vrai ?

L’avenir de notre présence au Maghreb

La perspective d’avenir, selon moi, pour nous au Maghreb, est d’essayer de maintenir, selon no-tre disponibilité et nos moyens, la mission de la rencontre au nom de l’Évangile avec le monde ma-ghrébin tel que l’a façonné son histoire. Essayer aussi d’être ouverts à l’Esprit et nous laisser conduire par lui, sans préjugé, dans l’avenir que lui seul connaît.

Je rêve aussi d’un avenir avec plus d’engagements dans ce que nous vivons et faisons actuellement. La bonne volonté ne suffit pas. Il nous faut de nouvelles stratégies pastorales, un investissement en personnel, la patience et une bonne dose de confiance dans la jeunesse qui arrive. Il faudra aussi élargir d’une façon concrète les chantiers de nos engagements pastoraux selon les priorités de notre Société. Comme nous ne sommes pas seuls dans la mission ici au Maghreb, une grande collaboration et communion avec les autorités de l’État et de l’Église locale sont nécessaires.

J’ai la conviction que l’engagement missionnaire de notre Société et de l’Église au Maghreb est nécessaire. Ce n’est pas une perte de personnel, comme certains le disent. Nous ne devons pas laisser tomber les trésors que porte l’Église en Algérie ou ailleurs. J’ai le grand espoir que la présence active des missionnaires en terre algérienne portera des fruits en abondance : ils sont déjà visibles.

Apprendre encore !

Si je pars aujourd’hui aux études, c’est à cause des besoins qui se présentent, ici au Maghreb, besoins qui sont aussi ceux de la Société des Missionnaires d’Afrique. Mon grand souhait est de revenir au Maghreb. Mais, l’avenir ne dépend pas seulement de moi, il y a Dieu et mes supérieurs bien sûr.

Bonaventura Benjamin Mwenda
M. Afr.

 

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