Voix d'Afrique N°62

UNE LONGUE PERSEVERANCE

Joseph Billot : s'il est missionnaire, c'est bien parce qu'il l'a voulu, et qu'il a insisté !
Sa vocation est le récit d'un dialogue persévérant, entre lui et Dieu.
A la maison de retraite de Tassy, dans les montagnes du Haut Var, il se souvient.

 

 

L'Afrique, il y est tombé dedans

L'école primaire de Kasba-Tadla, dans l'Atlas marocain : au milieu des écoliers berbères, Joseph est le seul Français, Breton de St.Malo. Son père est officier dans un régiment de Tirailleurs Marocains. Pendant que les grands font la guerre (nous sommes en 1941), les enfants apprennent le français en classe, tapent sur le ballon, se disputent et se réconcilient aussi vite que le vent qui souffle des montagnes, mélangeant l'arabe et le français selon les humeurs.
La guerre terminée, il rentre en France avec sa famille, à St. Malo. Il est le troisième de sept enfants. L'Afrique, il y est tombé dedans ; il rêve du ciel bleu de son enfance, des palmiers et des dunes, de rencontres et d'amitiés, de vie partagée avec l'étranger. Il passe son baccalauréat à Rouen. "Joseph la Vapeur" a toujours quelque chose à bricoler ; il est passionné par tout ce qui se compresse et explose, tout ce qui tourne, les engrenages et les différentiels ; les moteurs le passionnent… et il demande à entrer chez les Pères Blancs ; il est accepté et part pour Kerlois, près de Lorient, pour commencer sa formation missionnaire.

Premières épreuves

Première douche froide : "Cursus philosophicus - Carolus Boyer", deux grosses briques, plus de mille pages de latin, de thèses, objections, arguments, solutions, dans une langue morte qui n'était qu'une occasion de torture pendant les études secondaires. Chaque jour que le Bon Dieu fait, il faut suivre deux heures de cours de philosophie moyenâgeuse et rester des journées entières devant les gros bouquins, alors que les hirondelles et les rossignols volent dans le parc de Kerlois. Ils sont une quarantaine de jeunes à vivre déjà ensemble les débuts de l'idéal communautaire et missionnaire. Les deux ans d'expérience éprouvante se terminent par une première déception : il n'est pas accepté pour le noviciat. Fin du rêve !

Aventure

Fin du rêve… mais commencement de l'aventure. Nous sommes en 1953, elle aboutira à son but en 1969 ! Le désir missionnaire est plus obstiné que tous les jugements des formateurs patentés.
Il devance l'appel et fait son service militaire. Son père est en Indochine et son frère aîné est également militaire ; il reste donc en France, à Saint Maixent. Il est plus à l'aise dans la mécanique, le cambouis et les moteurs que dans la philosophie scolastique ! Ses formateurs : les vieux sous officiers mécaniciens ont remplacé les vénérables pères.


Hydroglisseur : Tchad Janvier 1960

Il aime ça ! Ajuster valves et pistons, aligner axes et pignons, calculer les chevaux vapeur, il est dans son élément, si bien qu'il devient à son tour instructeur pour les troupes et les gradés.


Nouvel essai

Mais le désir missionnaire est toujours là ; dès sa libération à Noël 1956, il enfourche sa bicyclette et repart pour Kerlois ; de nouveau il frappe à la porte, de nouveau il essuie un refus. Il reprend le vélo en pleine nuit, le cœur gros, avec pour seule lumière la parole du vieux professeur : "Joseph, si le Bon Dieu veut que tu sois missionnaire, Il saura s'arranger !" Il est 2 h. du matin quand il arrive chez lui ; sa mère l'attend. Elle soupçonne son désarroi : "Mon petit, il vaut mieux avoir des pépins quand on est jeune."

Au travail

C'est la seule issue. Il part pour Paris et se fait embaucher pour monter des voitures dans les usines Simca. Ses camarades sont des ouvriers Marocains avec qui il fraternise spontanément : ne sont-ils pas les frères de ses anciens camarades de Kasba-Tadla ? Mais il ne faut pas tourner en rond ; il s'inscrit pour suive par correspondance les cours du Centre National des Arts et Métiers.

L'Afrique noire

Ça ne peut plus durer, ce qu'il lui faut, c'est l'Afrique, la Mission. Tout bêtement, il consulte le Bottin dans la poste voisine, un peu au hasard : il tombe sur l'adresse des Oblats de Marie. Il se présente à l'adresse indiquée ; il est accepté, envoyé au Noviciat. Pendant deux mois, il vit en soutane et col romain, très peu pour lui. Il part pour le Tchad

Réunion anciens Tchad et Koudougou Eté 1990

comme missionnaire laïc : trois ans de nouveau dans les moteurs, à bricoler, rafistoler, ajuster, démonter, assembler et remonter des pièces et des morceaux de vieux moteurs pour que les missionnaires puissent parcourir la brousse et évangéliser. Trois ans de chaleur, de moustiques, de nourriture frugale, avec la joie de rendre service, de contribuer à la croissance du Royaume de Dieu lorsqu'il voit un missionnaire partir joyeux au volant de sa camionnette hors d'âge qui tourne vaillamment. Oui ! il est chez lui en Afrique, dans la Mission. Le soir, les grillons et les crapauds animent la nuit tropicale, il allume sa lampe et travaille ses cours de résistance des matériaux et de génie civil. Au loin des tamtams rythment une danse alors que la Croix du Sud monte doucement dans le ciel, fidèle comme Celui qui l'accompagne.

Retour en France

Mais il n'est pas fait pour être religieux, comme les Oblats de Marie, et le rêve missionnaire "Père Blanc" revient avec obstination. Il rentre en France pour terminer ses études d'ingénieur. Il potasse les maths, à raison de 10 heures par jour, sept jours par semaine, et finit par décrocher sa 'peau d'âne', dans la spécialité 'grues et engins de levage'. Il part pour Paris où l'attend un poste d'ingénieur… Où l'attend surtout le Seigneur, mais il ne le savait pas ! Dans le métro, station Châtelet, il repère un barbu en soutane, chaussettes blanches, manteau noir et bérêt : pas de doute, c'est un Père Blanc. L'impulsion est soudaine : "Où qu'il aille, je le suis !" Descente à la station St.Paul, la rue St.Antoine, la Place des Vosges, la rue Verlomme. Le vieux Père Grimaud, assistant du Supérieur provincial, un ancien de Haute Volta (aujourd'hui le Burkina Faso) , se retourne vers ce jeune homme qui le suit. Comme autrefois, quelque part près d'un lac en Palestine : "Qu'est-ce que vous désirez ? Entrez !" Joseph se souvient : "Je ne sais pas ce que j'ai bafouillé ; il m'a écouté, pendant très longtemps, puis il m'a pris la main : "Monsieur Billot, c'est la Providence qui vous envoie. En Haute Volta on a besoin de vous pour enseigner, à Koudougou" Et c'est parti !"

Nouveau départ

Le 29 août 1962, il débarque au petit séminaire de Koudougou : 23 heures de cours par semaine, préparations, corrections des devoirs… et un coup de main ici et là pour réparer une moto ou une camionnette. Le Diocèse de Koudougou est en plein développement ;


Clocher de Ste Thérèse de Kokolgo Burkina mars 1983

les chantiers de construction demandent un architecte, un "matheux" pour calculer charpentes et fondations, béton armé et tôle ondulée. Joseph ressort règles à calcul, équerres et crayons pour dessiner des bâtiments qui résisteront à des vents de tornades de 200 km/h.

Un soir, il dessine le projet d'un autel pour la nouvelle église de Koudougou ; de sa table d'architecte, il voit par la fenêtre un vieux missionnaire qui récite son chapelet en arpentant l'allée de flamboyants. Le désir refait surface, tenace, plus intense que jamais. "Seigneur, quand me donneras-tu de partager ton Corps pour la vie du monde, pour l'Afrique ?" Et il prend sa décision : "Je serai Père Blanc !".

Je serai missionnaire !


Quelques mois après il rentre en France ; il est accepté au noviciat. De Koudougou à Gap, du Sahel aux Hautes Alpes, quelle distance ! et quel chemin parcouru depuis onze ans en Afrique ! Ses camarades de noviciat sont plus jeunes que lui de dix ou quinze ans, à peine sortis de l'adolescence. Et puis, le paludisme l'a suivi depuis Koudougou et le froid de Gap ne facilite pas l'acclimatation ; après des crises répétées, il jette l'éponge et rentre chez lui… pour repartir bientôt pour Koudougou remplacer un frère missionnaire et construire une église.


Eglise Ségénega Burkina, une des 60 églises construites par le P Billot

Mais avant de partir, il écrit au Père Devriendt, celui qui l'avait encouragé lorsqu'il avait dû partir de Kerlois. La réponse, adressée en Haute Volta, fait poche restante, tarde à refaire surface six mois plus tard : elle est positive ; le père est prêt à l'accueillir à Toulouse pour un parcours de formation personnalisée. Noviciat et théologie en même temps, entre quatre murs ! Mais les jeudis, ce sont des partages et des discussions passionnantes au cours de marches mémorables dans la forêt de Bouconne. C'est le temps de Vatican II, et le vieux maître déborde d'enthousiasme de partager "l'aggiornamento", la mise à jour et l'ouverture de l'Eglise : Joseph potasse Chenu, Congar, de Lubac, discute, réfléchit et prie pendant deux ans.
Mais il n'est pas encore au bout de ses peines : le vieux Droit Canon est encore en vigueur et les anciennes règles s'opposent à son admission ! "Continue, ne te décourage pas !" insiste le Père Devriendt. Premier geste symbolique : l'économe de la communauté de Toulouse lui remet de l'argent de poche, un petit pécule qui montre qu'il a déjà un pied dans la société des missionnaires.

L'aboutissement

Enfin, en Novembre 1969, les difficultés sont aplanies, les dispenses sont accordées ; il est appelé à faire le serment missionnaire d'Afrique. Monseigneur Bayala, le nouvel évêque africain de Koudougou lui impose les mains : enfin, il est prêtre missionnaire, au service du Corps du Christ, sur l'autel et dans le monde. Et il repart pour Koudougou, chez lui ! S'ouvrent trente ans de bonheur, dont vingt dans une paroisse grande comme le Bretagne, à découvrir les merveilles de l'image de Dieu au cœurs des hommes et des femmes de toutes races, langues et religions, trente ans de pèlerinage dans la sagesse africaine qui remonte au fond des âges.


Joseph et Billot et Laurent baptisé à 87 ans

Trente six ans de voyage, St. Malo, Kasba Tadla, Rouen, Kerlois, Paris et les usines, le Tchad, le Haute Volta, Gap, Toulouse, guidé par l'unique désir, l'appel missionnaire insistant, la fidélité du Maître de la vigne.
Aujourd'hui, Joseph est chez lui auprès des missionnaires dans la maison de retraite de Tassy, dans le Haut Var. Sa barbe est grisonnante mais abondante ; son regard est perçant, son sourire généreux. Sa voix tour à tour enthousiaste ou émue, continue de résonner comme un Magnificat : "Son amour s'étend d'âge en âge... "


Voix d'Afrique