Missionnaires d'Afrique
France

être solidaire des blessés de la vie

Bénévole aux Captifs, la libération,
Jacques Amyot d’Inville


rencontre des personnes en situation de prostitution

 

On m’a demandé de présenter un peu ma situation de bénévole à l’association « Aux captifs, la libération ». Je veux souligner dès le début de cette présentation la situation complexe et délicate de ce dont je vais parler : en effet divers groupes existent et il faut faire attention à ne pas généraliser ; en outre une grande discrétion est parfois nécessaire.

« Fondée en 1981 par Patrick Giros, prêtre à Paris, l’association « Aux captifs, la libération » a pour mission de rencontrer et d’accompagner les personnes de la rue, particulièrement des personnes sans domicile fixe et des personnes en situation de prostitution à Paris. » Elle se présente comme une association catholique et comprend environ 50 salariés et 200 bénévoles ; elle est financée aux deux tiers par des subventions publiques et au tiers par des fonds privés.

Je ne vais parler ici que de la prostitution et je vais parfois utiliser des extraits du positionnement officiel de l’association à ce sujet. Ce positionnement a été écrit récemment en vue d’un dialogue avec le gouvernement à propos de propositions de lois.

« L’action de l’association s’articule autour de trois grands principes d’intervention :
- L’ “aller vers” : pionnière en la matière, l’association met les actions d’ “aller vers” ou de “tournée-rue” au cœur de sa mission.
- Un accompagnement global individualisé :
- La médiation sociale : l’association cherche à sensibiliser la société à ses dysfonctionnements et à interpeller les instances publiques. »

En ce qui me concerne, mon activité principale est celle des “tournées-rues”. C’est un exercice hebdomadaire qui a lieu toujours le même jour, aux mêmes heures et sur le même parcours. Il se fait à deux, normalement homme et femme. Notre tournée se fait “les mains nues”. Les attitudes fondamentales qui me guident sont respect et compassion.
Les femmes que nous rencontrons sont de cinq catégories : les Françaises et assimilées dites “traditionnelles” et souvent âgées, les Africaines, surtout nigérianes et ghanéennes, les Maghrébines, les Chinoises et les Européennes de l’Est, en général roumaines ou bulgares.
Il m’avait également été demandé de conduire des “prières-rue” mensuelles en anglais.
Ce projet rencontre de fait de nombreuses difficultés.

Les causes
de la prostitution

Voici maintenant dans sa totalité un paragraphe qui fait allusion à des raisons possibles pour lesquelles certaines personnes ont commencé à se prostituer et qui présentent très bien les difficultés diverses auxquelles une femme pourrait avoir à faire face si elle cherche un jour à sortir de la prostitution :

1- Contrainte exercée par un tiers : proxénétisme ou réseau de traite des êtres humains ;
2 - Précarité financière : survie, situation de surendettement, complément d’une activité salariée insuffisante, etc.
3 - Accoutumance au mode de vie prostitutionnel, qui peut être liée à l’absence de perspectives après de nombreuses années dans la prostitution, l’échec de tentative de sortie de prostitution, la dépendance à l’argent “rapide”, la dépendance à l’environnement social et/ou affectif de la prostitution, la peur du retour à la société « normale » et ses règles, des troubles psychologiques ou affectifs…
4- Blessure(s) identitaire(s) fondamentale(s), liée à des climats familiaux nocifs, des violences vécues, des ruptures ou des abandons, ayant altéré leur image de soi et ainsi leur construction identitaire. »

Je désire à ce sujet souligner le numéro un. Il est par exemple bien connu que les Européennes de l’Est sont entre les mains de proxénètes très bien organisés et très cruels, que des Nigérianes peuvent apprendre qu’une vengeance a eu lieu sur leurs familles si elles n’arrivent pas à rembourser de l’argent prêté et que les Chinoises ont été trompées par une mafia.

Vous nous avez manqué
Je vais maintenant présenter quelques-unes des réflexions que j’ai entendues lors des tournées-rues. « Merci de vos visites et de votre amitié » (toutes celles qui acceptent que nous échangions avec elles). « Je ne vous ai pas vus la semaine dernière ; vous nous avez manqué » (quand il arrive que nous ne pouvons pas faire une tournée-rue). « Ce que je vous dis est confidentiel et je sais que vous allez le garder comme tel » (nombre d’entre elles). « Le rôle du gouvernement devrait essentiellement et seulement consister à lutter contre tous les réseaux de proxénètes et contre les mafias car ils traitent des jeunes filles et des femmes en esclaves » (la plupart). « Pénaliser les clients serait une erreur car nous perdrions nos clients respectables (sic) et nous serions maintenant à la merci de gens très dangereux (la plupart). «

Mon meilleur ami, c’est Jésus » (une femme qui avait réussi à s’en sortir et est retournée quand son compagnon est mort après 5 ans). « Ma mère n’était pas une prostituée, ma fille ne le sera pas, quant à moi je dois envoyer de l’argent en Afrique » (une Africaine). « Mon grand souci est celui de bien éduquer mes enfants et de leur éviter d’avoir à vivre un jour ce que je vis » (celles qui ont des enfants). « Le 15 août, je me refuse à faire ce travail et je vais à la messe » (plusieurs). « Dans un an j’aurai réussi à avoir suffisamment d’argent pour quitter ce métier que je n’aime pas » (d’autres). « Je réussis à garder mon courage et je désire surtout la santé » (nombreuses). « Pourriez-vous me rendre tel service ? » (quelques-unes)…

La vraie liberté
Voici à nouveau quelques extraits du positionnement de l’association :
« La personne rencontrée n’est pas d’abord une prostituée ou une victime : elle est avant tout un être capable de poser des actes libres dans des circonstances et une histoire qui lui sont propres… À nos yeux, la vraie liberté signifie établir des choix qui vont dans le sens d’un surcroît de vie…

La sexualité vécue dans la relation prostitutionnelle est source de morcellement et pour la personne en situation de prostitution et pour le client, dans le sens où elle prétend être un acte sexuel n’impliquant que le corps et non la personne dans sa globalité avec ses émotions, ses sentiments, son désir… Le client doit être considéré comme partie prenante de la transaction et il doit prendre sa part de responsabilité. Mais, pour autant, au-delà du contrat prostitutionnel, ne s’agit-il pas plutôt d’une rencontre de deux misères qui conduit à vivre cette relation passagère ? On ne peut porter un regard unique sur l’ensemble des clients, tellement la diversité et la complexité de leurs motivations au-delà de la recherche d’un acte sexuel, sont grandes. »

Pour terminer, et cela va peut-être sembler paradoxal, je peux dire que je suis en admiration devant ce que j’entends de la plupart de ces femmes rencontrées, à cause de leur courage à vivre des circonstances très difficiles, de leur désir d’entraide et de leur lucidité. Être témoin de telles attitudes porte, me semble-t-il, à une grande humilité celui ou celle qui ne connaît pas leurs difficultés.

Les prostituées
vous précéderont…

Les paroles de Jésus en Mt 21,31-32 prennent alors également tout leur sens.
Et voici maintenant une histoire rapportée par Jean Lafrance : « Basile le Bienheureux jetait des pierres sur les maisons des riches à Moscou car il voyait les démons accrochés aux murs, et il baisait le seuil des portes des maisons des prostituées car il voyait les anges y entrer. »

Jacques Amyot d’Inville