Témoignages

AVEC ALAIN FONTAINE À BAMAKO

.............................Foi, Dialogue et Rencontre


Séduit par l’attitude des croyants qu’il rencontre au Mali lors de son séjour en Alain Fontainecoopération dans les années 70, Alain Fontaine décide de devenir missionnaire chez les Pères Blancs. Et c’est toujours au Mali, qu’Alain vit son engagement avec la Foi, le Dialogue et la Rencontre pour dénominateur commun.

D’abord enseignant dans un collège catholique, puis dans un séminaire, il oeuvre durant cinq ans dans une paroisse du Mali, Mandiakuy en pays Bo, et éprouve la nécessité d’apporter, et son énergie et sa foi au service du monde qui l’entoure : le monde rural. Il collabore alors, à San, à la fondation, en 1994, de radio Parana, une radio destinée en priorité au monde rural.

Depuis 2001, il est à Bamako, au Centre Foi et Rencontre.

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En 1994, après cinq ans passés en paroisse, Alain contribue à la création d’une radio rurale associative, doublée d’un centre de communication comportant une petite unité d’édition et d’impression et d’une bonne vidéothèque pour les formations… « Mon travail consistait principalement à former les techniciens de la radio. Radio Vatican et Radio France Internationale, entre autres, nous ont beaucoup aidés pour former les animateurs radio et les techniciens. J’ai aussi formé des gens pour le secteur édition et PAO. Durant six ans, je me suis consacré à plein-temps à ce travail très attachant.

Ce qui nous amène à l’année 2000. Après un temps sabbatique, j’accepte de participer à une nouvelle aventure, en compagnie de Josef Stamer, ancien du Pisai. En étroite collaboration avec l’archidiocèse de Bamako, nous initions un Centre tout à fait original, pour la rencontre et le dialogue. À l’invitation des évêques, nous élargissons nos horizons et nous n’envisageons pas seulement la rencontre avec l’Islam mais aussi avec la religion traditionnelle et nous ouvrons un espace
de dialogue oecuménique. L’Archevêque, Mgr Jean Zerbo, nous accueille chaleureusement. Il estime (et il l’a écrit et répété à plusieurs reprises) que la rencontre interreligieuse est indispensable dans le cadre de l’Église qui est au Mali ; qu’elle fait partie de sa pastorale.

L’idée est lancée, deux Pères Blancs s’y engagent avec quelques difficultés, on le devine, au départ, mais l’élan est donné et timidement, on vient dans ce Centre qui s’est d’emblée défini comme ouvert : ni une mosquée, ni une église, ni un temple… un espace de rencontre entre croyants !

Pourquoi ici au Mali et à Bamako en particulier? Y a-il un contexte ou une nécessité particulière?
Le centre Foi et Rencontre a été créé pour le dialogue entre les religions musulmanes, traditionnelles et chrétiennesLe choix du Mali est assez simple. Si l’on fait le tour de l’Afrique francophone, on remarque ceci : le Sénégal compte des communautés très influentes, comme les mourides, un tel centre aurait pu les importuner. En Mauritanie et au Niger, il n’aurait sans doute pas été facile d’ouvrir facilement cette structure. Au Burkina Faso, l’Islam n’est pas aussi représenté qu’au Mali. Le Mali, lui, a cette particularité d’être majoritairement musulman, mais adepte d’un islam convivial. Cela ne vient pas de la
religion à proprement parler, mais plutôt de la culture. Si les musulmans sont très majoritaires (80%),. les chrétiens ne représentent que 2% et le reste est à compter dans une catégorie qu’on pourrait dénommer de la sorte : adeptes de la religion traditionnelle.

Ici, l’islam est un islam de confrérie. Des familles religieuses, tant à Tombouctou qu’à Djenné, Mopti et Bamako, se réunissent autour de marabouts et de sages. Tombouctou est ainsi nommée comme la ville des 333 saints, entendons : sages et spirituels de l’islam.

Le centre a été créé, conjointement, par les missionnaires d’Afrique et l’Archidiocèse de Bamako, dans le but de favoriser le dialogue entre les religions, c’est-à-dire entre les musulmans, les chrétiens (de différentes confessions), les croyants des religions traditionnelles africaines et également les adeptes des sectes et des nouveaux mouvements religieux. Je me sentais et me sens toujours très petit devant un tel travail qui engage aussi ma foi, puisqu’il engage la foi de l’autre.

Quel sens donnes-tu au dialogue interreligieux?
Dans l’Évangile, Jésus s’est souvent approché des adeptes d’autres religions. Cela lui était même reproché. Cela fait donc partie de notre foi d’aller à la rencontre de l’autre. Je me comporte en disciple du Maître. Comme je le disais précédemment,
au Mali, nous sommes vraiment dans un pays de croyants, où existe une cohabitation naturelle des familles religieuses. Ce pays est remarquable de tolérance et d’harmonie religieuse. Un adage dit qu’avant d’être chrétien ou musulman, on est d’abord voisin. En 40 ans de présence (puisque je suis arrivé en 1968), je n’ai jamais rencontré un musulman qui m’ait fait une réflexion désagréable touchant ma foi. J’ai, au contraire, appris énormément à leur contact. Ma foi chrétienne a grandi en leur présence. C’est vrai qu’en voyageant ailleurs, je n’ai pas trouvé le même accueil, la même convivialité croyante. Autant dire qu’il faut encore beaucoup travailler pour rapprocher les croyants, non pas pour faire nombre ensemble, mais pour confesser des fois qui nous établissent dans le coeur de Dieu.


Le Centre Foi et Rencontre invite hommes et femmes de toutes les religions du Mali
à se retrouver pour échanger et dialoguer.

Selon moi, cette capacité à rencontrer l’autre, au Mali, vient surtout de valeurs traditionnelles. Les maliens savent dédramatiser
les choses avec humour selon le mode de la palabre africaine. L’humour et la convivialité permettent aux gens de conserver leur dignité. C’est le « senenkunya : la parenté à plaisanteries qui désamorce toute agressivité. Le djatigiya, lui, définit les termes de l’hospitalité : quelqu’un vient chez toi, tu l’accueilles et tu accueilles aussi sa foi. Tu le respectes et l’entoures d’affection. Ces valeurs sont ancrées à un point tel que, lors de la Coupe d’Afrique des Nations (Can), jouée à Bamako en février 2002, les supporters ont été accueillis dans les familles, et les quartiers ont soutenu les équipes qu’ils avaient accueillies. Quand on accueille ainsi, on devient l’autre, et tout est alors possible, y compris au plan de la foi.

Il me semble que nous pouvons nous nourrir de la foi des autres. C’est vrai que les différences existent et qu’elles sont parfois profondes, voire douloureuses. Il ne faut pas se voiler la face. Pour ma part, je crois qu’il faut éviter d’avoir un discours “lisse”, “ bon enfant”. Il faut respecter l’autre dans sa foi et engager avec lui le dialogue, s’il est prêt à le faire, et quand il veut le faire. Et j’ai pu constater qu’à Bamako certains étaient prêts à le faire. Lors d’une conférence au Centre Foi et Rencontre, un des intervenants, musulman, s’est mis un jour à pleurer. Quand on lui demanda la raison de ses pleurs, il répondit : « En vous regardant, j’ai pensé à un hadith de Mohamed qui dit que lorsque des croyants sont réunis pour échanger sur la foi, Dieu est présent au milieu d’eux » ! Une telle phrase résonne toujours dans mon coeur. Je me dis que Jésus lui aurait sans doute répondu, à voix basse : « Tu n’es pas loin du Royaume ! ».

Je trouve qu’aujourd’hui on instrumentalise trop la foi. Elle sert ici et là de liant pour des slogans, pour soutenir une campagne, pour dénoncer tel ou tel comportement qui n’engage souvent que leurs auteurs. Est-ce bien le rôle de la foi ? Ne trouvez-vous pas que l’on entretient largement, au nom de la foi souvent, une psychose malsaine ? On développe un regard dévalorisant de l’autre, au lieu de cultiver un regard positif, constructif.

J’ai opté pour un regard qui ne juge pas l’autre, qui ne le dévalorise pas, un regard vrai sur ma foi et sur la foi de l’autre.
Je ne suis pas dans l’utopie. Je sais bien les fossés qui existent et je les nomme avec l’autre, si l’envie nous en prend, mais je
prends le temps aussi de les mesurer et de voir comment, peu à peu, ils peuvent être comblés.

Certains musulmans par exemple se plaignent de ce que leur foi n’est pas suffisamment nourrie par leurs sages et leurs imams. Ils viennent nous voir, travaillent à la bibliothèque, participent aux conférences. Accueil discret, jamais excessif ou curieux !

Une école coranique traditionnelleLa foi progresse lorsque l’on se met à échanger et à dialoguer. Il faut savoir approcher l’autre, ne pas avoir peur d’approfondir sa foi (lectures, rencontres, films, etc.), de se confronter à l’autre et immanquablement à soi-même. Ce dialogue, cette attitude, peuvent être troublants, parfois, interrogateurs, propices à l’effacement des certitudes. Tout est question de relation : à partir du moment où nous sommes en relation véritable avec l’autre, l’étrangeté de sa foi se change en interpellation de ma propre foi, et tous les deux, nous grandissons !

Je crois qu’avec les confrères qui travaillent dans ce sens à Bamako, notre rôle est bien là : créer des ponts, faire découvrir
la foi des autres, s’enrichir, s’interpeller, prier. Pour moi, l’amour prend le pas sur tout et relie les divergences. Ma vie, non seulement se nourrit, mais s’articule autour de cette quête de foi. C’est comme si nous mendiions notre foi et nous mettions en débiteurs de l’autre qui nous partage la sienne.

Après ce détour passionnant et incontournable par ta foi et tes convictions, peux-tu nous en dire plus sur le projet du Centre Foi et Rencontre et de l’IFIC?
Le Centre est un lieu d’échange de savoirs, de réflexions et de formation. Nous essayons de nous retrouver, à dates régulières, autour de pasteurs, d’imams, de prêtres et de laïcs, pour échanger nos points de vue et nos expériences de
croyants. Parfois quand les circonstances le permettent, on prie en écoutant la prière de l’autre. C’est un pasteur qui prie, un imam qui chante, l’un d’entre nous qui lit un psaume.

Parmi les nombreux intervenants qui se sont succédé depuis la fondation en 2001, on peut citer cette chercheuse francoaméricaine du Centre national de recherche scientifique (CNRS) qui étudie l’enseignement de l’islam dans les medersas
au Mali. Une autre fois, c’est un pasteur qui commente régulièrement le thème de la Semaine pour l’Unité ; une autre fois encore, une conférence à deux voix, faisait intervenir un chercheur musulman et un prêtre autour du thème du pèlerinage. Toutes ces contributions sont soigneusement imprimées, dans le texte intégral et aussi sur un dépliant en français facile, pour une partie de l’auditoire qui peut ainsi retenir l’essentiel et s’en nourrir.

Nous essayons également d’apporter une éducation religieuse en permettant aux croyants d’améliorer la connaissance
de leur propre foi : beaucoup de chrétiens se sentent démunis et incapables de bien répondre aux questions qu’on leur pose. Des musulmans apprécient aussi le contenu de notre bibliothèque, et de temps à autre, on en trouve un au travail dans nos murs.

Le centre fournit de l’information et de la documentation. Nous avons imprimé une plaquette qui compile des prières de toutes les confessions religieuses s’adressant au Dieu unique. Elles peuvent être priées aussi bien par un chrétien, qu’un musulman ou un adepte de la religion traditionnelle. D’autres plaquettes abordent des thèmes qui font souvent l’objet de débat, comme celui
du Paraclet. Enfin, on peut aussi signaler, qu’en lien avec des équipes au Niger et du Burkina Faso, nous avons édité un « guide pour un chrétien vivant en milieu musulman. »… 16 fiches touchent un peu tous les domaines de la vie: convergences, divergences, réflexion. Ce précieux petit guide en est à sa seconde édition, tant la demande est grande, du côté chrétien, mais du côté musulman aussi!

Pour terminer, il faut parler du petit frère du Centre qui vient tout juste de naître : l’IFIC (l’Institut de Formation Islamo Chrétienne). Le principe est calqué sur celui du Pisai à Rome, quand ce dernier offrait des années pastorales. L’idée a germé de délocaliser cette initiative et d’offrir quelque chose de semblable à Bamako. L’IFIC, pour des raisons de commodité, est actuellement hébergé dans les locaux du Centre Foi et Rencontre. La première promotion de 8 étudiants(es) vient de terminer brillamment son année pastorale de formation. Ils venaient du Burkina, du Mali, du Cameroun, du Niger, du Bénin et du Togo. Cet Institut, à la différence du Centre Foi et Rencontre, est totalement pris en charge par les Pères Blancs. Parmi les étudiants de cette année, on comptait aussi un pasteur presbytérien.

On le voit, à Bamako, on n’est pas en reste en matière de dialogue et de rencontre. C’est une chance que l’on saisit et
un défi pour les Pères Blancs et leurs collaborateurs engagés dans cette belle aventure de la foi qui se partage. Pour le Centre, nous avons passé le cap des 5 premières années; pour l’IFIC, c’est la première bougie qui a été soufflée en juin 2008. Longue vie à ces deux institutions ! Qu’elles demeurent toujours inventives, jamais administratives, toujours croyantes !

Propos recueillis auprès d’Alain Fontaine

Texte et photos tiré du Lien 249

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