Voix d'Afrique N°88.

Témoignage
Guy Bourgeois M.Afr

 

AFRIQUE DU SUD
TRENTE ANS DÉJÀ


Du Malawi, j’arrive en Afrique du Sud le 6 mars 1980. Nous sommes alors au sommet du régime de ségrégation, avec la création des bantoustans et le déploiement des forces militaires et policières pour assurer la su-prématie des Blancs. En même temps, de tous cô-tés, manifestations, révoltes, attentats, à tous les niveaux de la société, civile et religieuse, industrielle et rurale, nationale et internationale, pour finalement aboutir aux premières élections démocratiques le 27 avril 1994, avec Mandela, élu Président.

Nous sommes aujourd’hui en 2010. Trente ans déjà ! J’ai vécu, jusqu’à la fin de 2008 trois différentes expériences : 7 ans dans ce qui était les homelands des Basotho, 12 ans sur le territoire des Ndebele et 10 ans à Orange Farm, une création de la nouvelle Afrique du Sud. Depuis janvier 2009, je suis à Diepsloot, dans la région nord-ouest de Johannesbourg. Diepsloot est un nouveau champ d’action de notre Société des Missionnaires d’Afrique dans l’archidiocèse de Pretoria. (1) Quelques réflexions sur ces années, leur action sur ma vie et mon action sur cette vie.

Diepsloot et ses bidonvilles

Le SIDA
Ténèbres et lumières

Aujourd’hui, nous enterrons, au milieu de chants, de prières, de pleurs, Sibongile (nom fictif), qui a donné 4 ans de sa vie pour le soin des sidéens dans sa Township. Trente ans, mère de deux enfants, sans époux, et sa famille vit à 100 kilomètres d’ici.

Elle a fait une formation de six mois pour le soin des sidéens. Elle était bien encadrée par l’équipe du projet. L’information était à sa portée, les soins médicaux gratuits et accessibles. L’infirmière la voyait régulièrement. Elle ne s’est pourtant jamais avancée pour les soins, pour le dépistage. Pourquoi ? Qu’est-ce qui bloque l’ouverture ?

La prise en charge de sa vie ? Le soin de ses enfants ? On dira à ses funérailles : « C’était son heure. » « Le Seigneur la voulait. » « Va en paix, Sibongile. » La vie continue avec le SIDA encore à la hausse, ici en Afrique du Sud. Et avec de plus en plus d’orphelins.

Il y a quelques jours, je visitais un cimetière où sont ensevelis les paroissiens d’Orange Farm. Ouvert le 1er janvier 2006, on y trouve déjà des milliers et des milliers de tombes en moins de 4 ans. Jouxtant à ce cimetière, l’autre cimetière qui a plus de soixante ans de service, et qui est loin, loin derrière, pour le nombre de morts ensevelis en cet endroit. Tout cela et bien d’autres images et souvenirs se sont incrustés en moi en ces 10 ans de travail auprès des sidéens.

Aujourd’hui, remise de diplôme pour 28 bénévoles qui ont fait les 6 mois de formation pour le soin des sidéens. Quatre Frères des Écoles Chrétiennes font partie de ce nombre. Célébration très joyeuse ! Ils sont tous dans leur « robe universitaire » de collation des diplômes. Chants, musique, témoignages, danse, remerciements, messages et repas.

Après la fête, une des bénévoles vient me dire tout confidentiellement : « Père, si vous n’aviez pas été là, je ne serais pas ici aujourd’hui. » Je n’avais jamais réalisé aussi profondément que ma vie avait servi à faire vivre quelqu’un d’autre. C’était le cas aussi pour tous ces bénévoles dont le travail, les soins, les visites, la prière et le chant témoignent d’une humanité encore compatissante, généreuse, dévouée, active, remplie d’espérance. Comme l’on dit ici : « Ça va s’arranger, ce sera mieux demain. » Lumière et ténèbres ! Mort et vie ! Un monde brisé ! Une espérance en marche !

La Violence

Oui, énorme ! « J’entends violence et destruction. Oui, la violence oppresse mon peuple. » Traversant toutes les classes, adultes et jeunes, riches et pauvres. Pas d’isolement possible. Pas de murailles assez hautes. Pas de clôtures électriques assez puissantes. Oui, violence partout, personnes et nature. « J’entends violence et destruction. Oui, la violence oppresse mon peuple. »

Ceux et celles avec qui j’ai travaillé en ont été victimes. Nos églises et nos centres ont été visités à maintes reprises. Funérailles de personnes assassinées pour un portable, pour une montre, pour une voiture ! Querelles de toutes sortes qui se terminent par des coups de feu ! Disparition de personnes, surtout des jeunes, jamais retrouvées !

« Ne résistez pas aux violents. » C’est peut-être la force de cette parole qui me permet d’écrire ces quelques mots au-jourd’hui ! Je suis évidemment marqué par cette violence : pirateries, attentats, la nuit des “cock-tails Molotov”, les carreaux qui volent en éclats, les rideaux qui brûlent dans ma chambre ; laissé dans la campagne après une promenade forcée avec ceux qui s’en vont avec ma camionnette ! En exil pour 3 mois !

Mon corps n’aime pas les pas de personnes qui s’approchent de l’arrière... ou la main qui semble aller chercher une arme à feu ! Et aussi l’imagination ! Quelle inutilité ! Pas toujours sous contrôle dans la nuit, même avec le “In manus tuas, Domine” (Entre tes mains, Seigneur).

« Ne résistez pas aux violents. » Apprendre à vivre dans ce monde, car il n’y en a pas d’autre. Support, sérénité, lucidité, intelligence avec l’apport de la communauté, de l’Eucharistie, des célébrations... et du travail manuel. Même sur ce terrain, l’habitude rend les choses plus viables ! Et vivre avec l’éventualité du départ !

Quelques Paroles fortes qui illuminent ma vie

«Le Seigneur aide les veuves et les orphelins. » Je me mets à sa disposition pour permettre au Seigneur d’être fidèle à sa parole. Et aussi celle-ci : « Le Seigneur aide l’orphelin qui n’a nulle part où se tourner. » Devenir un endroit où l’orphelin peut se tourner.

Dans ce monde des petits, des orphelins, brisés, abusés, abandonnés, rejetés, vendus et tués, résonne la parole de Jésus : « Quiconque accueille un de ces petits enfants à cause de moi, c’est moi qu’il accueille. Si vous ne vous convertissez et vous ne devenez comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume. »

Dans les jardins d’enfants, les tout-petits chantent : « Njalo, Njalo… Toujours, toujours, nous prions, nous offrons, nous louons. » Merci.

Quand j’atteindrai - si je l’atteins - la Nouvelle Jérusalem, je demanderai la permission d’organiser un PEPFAR, President Emergency Plan for Aids Relief, avec tous les sidéens qui sont passés par la grande tribulation. Notre objectif : agir de façon que les générations d’orphelins réalisent qu’ils ont un endroit où « ils peuvent se tourner ».

Guy Bourgeois
M.Afr.


(1) Le P. Guy Bourgeois faisait communauté avec le P. Louis Blondel qui a été assassiné le 6 décembre 2009


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