Tizi Ouzou : La marche continue
Algérie
La présence des Pères Blancs dans les montagnes de Kabylie remonte aux premières années de la fondation de la Société des Pères Blancs. Cette présence était très visible il y a quelques décennies, grâce aux écoles et aux centres de formation professionnelle. Depuis la nationalisation, la présence a pris d’autres formes. Pour ceux et celles qui ont étudié dans les écoles et centres des Pères, la question se pose souvent de savoir s’il y a encore des Pères ou non dans la région.
Ils étaient si bien !!! », « comme ils nous ont aidés !!! », « ce que je suis, je le leur dois !!! »… autant d’éloges et de bons souvenirs qui lient encore les Pères Blancs à une certaine couche de la population de la Kabylie. Il est étonnant d’entendre parler de la présence des Pères Blancs en Kabylie au passé, mais cela arrive très souvent, comme si la page était tournée quelque part. Beaucoup de gens ont connu les Pères à travers les écoles et les centres de formation professionnelle. D’autres les ont connus à travers les œuvres caritatives qu’ils faisaient dans la Kabylie de l’époque.
Les années ont passé, les temps ont changé, des générations se sont succédé, mais la marche continue. L’esprit reste toujours le même, avec moins de personnel, mais toujours dans la même vaillance.
Il n’est pas rare d’entendre certaines réflexions à propos de la jeunesse de la communauté actuelle de Tizi Ouzou. Une communauté de jeunes Pères Blancs de pays et d’origines divers, mettant ensemble leurs énergies pour la pérennisation de l’œuvre déjà entreprise.Que font les Pères de Tizi Ouzou ? Comment vivent-ils ? De quoi peuvent être faites leurs journées ? Le fondement de tout est notre vie de prière communautaire, avec au centre la messe quotidienne. La vie paroissiale occupe une grande part de nos activités, où de plus en plus de chrétiens algériens et d’étudiants étrangers demandent à être nou-ris dans la vie spirituelle pour les soutenir dans leur cheminement aussi bien personnel que communautaire au sein d’une paroisse multi culturelle, qui voit se vivre au cours de toutes ses célébrations des expériences de la Pentecôte. L’aumônerie estudiantine marque la vie des Pères de Tizi. Il vous suffit d’y faire un tour et de vous rendre compte du fourmillement qui donne sens à notre dynamisme.
Deux dimensions sont à noter dans l’engagement de l’aumônerie : un pôle pour les étudiants étrangers vivant à Tizi, qui savent qu’ils peuvent compter sur des aînés pour les épauler dans leur quotidien ; et le plus prenant qui est le pôle qui nous ouvre à fond sur notre milieu de vie algérien à travers notre bibliothèque. Elle était déjà en projet au sein de la communauté des Pères assassinés en 1994. Leur mort n’a pas mis un point final au projet. Ils ont été comme la graine tombée en terre. Elle a germé, elle a donné du fruit dont nous profitons allègrement de nos jours.
Récemment, un monsieur m’a interpellé sur le fait que les photos des Pères disparus ont été enlevées du hall d’accueil de la maison en ces termes : « C’est dommage que vous ayez décroché ces photos. Elles nous parlaient tellement ! ». Ma réponse fut celle là : « Nous vous invitons à vous tourner avec nous vers le futur et de marcher ensemble. Ils ont vécu ces Pères, ils ont donné leur vie, ils ont aimé la Kabylie, mais la marche continue. »
Tombe des Pères, Charles Deckers, et ses compagnons, assassinés en 1994
Certains verront cela comme un manque de respect pour les aînés, d’autres comme de la non considération pour ce qui s’est fait jusque là. Il n’en est rien du tout. Tout le travail que nous faisons dans ce sens est d’amener les gens à avoir un regard positivé, un regard qui sache voir aussi du bien là où l’on est, un regard qui sache apprécier le bien et le beau qui se vit tout autour de nous. Nostalgiques, nous le sommes tous en des moments précis de notre vie, mais la nostalgie ne doit pas prendre le dessus.
Les Pères Blancs de Tizi Ouzou, ce n’est pas du passé. À entendre les gens, à consulter la riche documentation qui est l’œuvre de nos prédécesseurs, à voir le respect que les gens ont pour eux, nous ne pouvons que tirer le chapeau. Quelques-uns sont presque « idolâtrés » tandis que d’autres tombent dans les oubliettes. Ils n’ont pas eu la même carrure, nous n’avons pas non plus aujourd’hui la même carrure, ni les mêmes dons, les mêmes capacités. Néanmoins, nous sommes tous engagés comme témoins de l’Église dans un contexte où les débats passionnés autour du fait religieux surgissent assez souvent, et où la différence religieuse n’est pas la chose la plus simple à vivre et à concevoir.
La spécificité de Tizi-Ouzou fait couler tant d’encre et de salive. Que n’a-t-on pas lu dans la presse concernant les activités de « conversion » au christianisme qui s’y passent ? Loin de nous l’idée d’un quelconque manque de respect à la différence religieuse. La question qui se pose et qui doit être la bonne est celle-ci : Que faire de quelqu’un qui vient me demander de lui parler du christianisme ? Dois-je le mettre à la porte au nom d’un sacro-saint respect de son identité ? Non.
Nous sommes là en tout premier lieu pour le dialogue inter religieux. Mais pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait deux ou plusieurs parties en présence. Notre identité religieuse peut paraître handicapante à certains égards ; réconfortante et avantageuse à d’autres. C’est là que nous pouvons voir le reproche de certains de nos frères évangéliques qui « sont amers » face à la « passivité » des catholiques en Algérie. Passivité vous dites ?
L’accueil est une part de notre quotidien tizi ouzien. Le va et vient ne prend fin que quand la nuit s’annonce. Et c’est à ce moment que, portant le poids de la journée, nous nous retrouvons pour passer du temps soit dans le partage, les discussions, les échanges, offrant tout cela à Celui qui est notre Guide, notre Inspirateur et notre Soutien.
Guy Sawadogo
M. Afr.
communauté de Tizi Ouzou
Algérie