Missionnaires d'Afrique

François Richard M.Afr

150 ANS
6500 MISSIONNAIRES

Père David CLEMENT
(1922-1986)

J’ai tout aimé dans notre Afrique, son passé, son avenir, ses montagnes...» disait Lavigerie. Et il continuait en disant : «Aimez-la vous aussi avec ses souvenirs, ses légendes, ses traditions….»

Dès le début, notre fondateur nous a en effet invités à nous intéresser à tout ce qui concerne l’Afrique. Lui-même a étudié l’histoire de l’Afrique du Nord et a demandé à certains de nos premiers confrères, qui étaient pourtant bien peu nombreux, de consacrer toute leur vie à l’archéologie et à l’histoire. C’est ainsi que, par exemple, le Père Delattre a passé toute sa vie à mettre à jour les ruines de l’ancienne Carthage punique, romaine et chrétienne.

Beaucoup d’entre nous ont marché sur ces traces et ont constitué des collections de vieilles pierres, d’outils de travail, d’ustensiles de cuisine, d’instruments musicaux, de sculptures, de proverbes, de contes, d’insectes, de plantes médicinales etc. etc. Certains ont mis sur pied des centres culturels importants, et même parfois des musées renommés. Pensons aux musées de Carthage, de Mua, de Djelfa, de Jérusalem, de Mbala, de Sikasso… Voici par exemple l’origine du musée Sukuma de Bujora (Tanzanie)

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Musée de Bujora

Mgr Blomjous, évêque de Mwanza, au bord de Lac Victoria, en Tanzanie, avait compris tout l’intérêt des études ethnologiques pour enraciner l’Évangile (aujourd’hui on parlerait d’inculturation). Aussi fut-ce avec plaisir qu’au début des années 50, il put demander à un jeune père canadien, David Clément, récemment arrivé, et qui avait déjà acquis une bonne maitrise du kisukuma, de commencer à travailler dans le secteur de Bujora, à 17 kms à l’est de Mwanza et de s’intéresser à la culture locale. Le premier objectif consistait à jeter les bases d’une future paroisse. Ce sera l’œuvre de sa vie. Il commence par s’insérer dans la population, à se faire connaître et à se faire des amis. Voulant se rendre utile, il commence par construire une dizaine d’écoles primaires qui servent aussi de succursales. Débrouillard et habile de ses mains, il travaille avec les gens et réussit à les faire participer aux travaux. Puis il construit une église à Bujora même.

Il cherche à entrainer la population vers l’Eglise. Il se jette corps et âme dans son travail missionnaire en s’adaptant le plus possible à la mentalité locale. Il devient très populaire et a une influence énorme. Tous l’aiment, les chrétiens comme les païens. Dès que les enfants des environs voyaient un père sur une moto, ils criaient « Padri Klementi », même si ce n’était pas lui !

Peu à peu Clément, se passionne pour la culture des Sukuma. Il y décèle des valeurs qui peuvent transmettre l’Évangile. Avec les encouragements de son évêque, il transpose en kisikuma les hymnes liturgiques et y adapte des mélodies et des rythmes locaux. Plus tard, quand le swahili devient la langue liturgique il met des paroles swahili sur la musique kisukuma. Il compose aussi beaucoup d’hymnes à partir de textes bibliques. Il en arrange la musique en collaboration avec la chorale Ste Cécile qu’il a fondée en 1954 et qui deviendra un mouvement important. De ces chants Klementi est arrivé à composer des jeux bibliques et religieux entièrement dans l’esprit de la culture sukuma, illustrant la naissance et la passion du Christ, le jugement dernier, Esther, Suzanne, Job, les Martyrs d’Ouganda… Musique et danse étant les composants naturels de la culture des Basukuma, ces pièces de théâtre rencontrent un accueil inouï. Pour la fête du St Sacrement et pour la Sainte Cécile, ce sont des foules qui se pressent à Bujora. La chorale Ste Cécile comptera jusqu’à 500 membres et sera renommée bien au-delà de la paroisse. Elle fera même une tournée au Danemark et en Suède.

Il n’avait aucune formation anthropologique, et il le regrettait. Cependant, travailleur acharné, il s’efforçait de comprendre et d’incarner l’Evangile dans le langage symbolique sukuma. Ses contacts chaleureux avec les anciens lui permettaient de découvrir des coutumes avant d’arriver à une compréhension plus synthétique. Souvent mal compris pas ses confrères, il travaille assez seul, mais il est soutenu par son évêque qui s’intéresse de près à ses recherches et l’a même mandaté pour un usage ad experimemtum du Kisuma dans la liturgie.

Toujours en quête de mieux connaitre les Basukuma il mit sur pied un groupe destiné à mener des recherches dans tous les aspects de la vie locale. Chaque membre commence à rassembler divers objets utilisés traditionnellement dans la vie du village : outils, ustensiles de cuisine, instruments de musique, emblèmes royaux… Ce fut le début d’une collection qui devait donner naissance au musée Sukuma qui comptera une douzaine de pavillons, chacun étant consacré à un sujet : Le pavillon de la vie familiale, le pavillon royal, le pavillon des forgerons, le pavillon de la dance, le pavillon de l’histoire de l’Eglise, le pavillon des guérisseurs… Ce musée, qui sera inauguré officiellement par le Président Nyerere, atteindra une grande réputation et attirera de nombreux visiteurs.


Padri Klementi au musée de Bujora

Le dynamisme bouillant de Klementi indisposait les confrères qui ne comprenaient pas toujours ce qu’il faisait et le critiquaient ouvertement. Très peu acceptaient de le rejoindre à Bujora. Il se trouvait isolé et en souffrait, mais il gardait le cap. Quand il fut nommé dans une autre paroisse, il le vécut comme un exil. Il confiera plus tard qu’il traversa alors une crise dont il ne sortit que grâce à l’amitié et aux conseils d’un vieux catéchiste qui l’encouragea à persévérer dans sa volonté d’inculturer l’évangile chez les Basukuma. Heureusement, avec les avancées du Concile Vatican II concernant une approche positive des cultures et des religions non chrétiennes, Mgr Renatus Butibage comprit l’atout irremplaçable que représentait le travail de Padri Klementi et il le renomma à Bujora

Il se remit vite au travail. Avec le groupe de recherche il continua à se pencher sur le vocabulaire précis qu’utilisaient les anciens pour désigner la flore et la faune, et aussi sur une collecte de proverbes et de contes, ainsi que sur la mémoire orale de l’histoire. Tout ce qui concernait les basukuma le passionnait. Il n’était pas animé par une curiosité d’intellectuel africaniste, mais par l’amour d’un pasteur pour son peuple et tout ce qui le concerne, un amour actif qui voulait que les Bakusuma puissent vivre l’évangile sans abandonner leurs riches traditions. Il ne s’agissait pas de les enfermer dans leur passé, mais d’intégrer leur héritage dans la vie du XXème siècle. C’est ainsi qu’il mettait aussi sur pied une école artisanale ou étaient enseignées aussi bien les techniques traditionnelles comme la sculpture, la vannerie, la poterie, la forge… que des techniques modernes comme la menuiserie, la couture, la soudure, la mécanique…


Monument érigé pour le centenaire de l'arrivée des M.Afr

Son intérêt ne se limitait pas aux activités de Bujora. Non loin de là, se trouvait Kageye, qui avait été un port important sur la rive sud du lac Victoria : Stanley s’y était embarqué, Speke et Mackay y étaient passés. C’est de là aussi que nos confrères de la première caravane, les Pères Livinhac, Girault, Lourdel, Barbot et le frère Amans s’étaient embarqués pour l’Ouganda. Le site était abandonné, Clément décide d’y construire un mémorial et, en 1978, d’y célébrer dignement le centenaire de l’arrivée des premiers Pères Blancs. Il y organise une grande exposition qui fut inaugurée par le Président Nyerere et par le nonce apostolique qui faisaient partie de l’immense foule venue célébrer l’évènement.

Toujours en mouvement, ayant toujours une nouvelle idée en tête, Clément prenait très peu de repos. A un ami qui lui disait qu’après tout ce travail il devait se sentir fatigué, il répondit : « Pourquoi ? Je ne fais que commencer. J’ai encore plein de projets »

Et pourtant, la maladie le guettait : C’est au Danemark, où il était allé se reposer chez des amis, qu’il tomba gravement malade, d’une lésion au cerveau due à une infection virale. Transporté d’urgence à Montréal, il y mourut le 15 mars 1986, à l’âge de 63 ans, incapable de réaliser son dernier vœu, celui de reposer dans la tombe qu’il s’était préparée à Bujora. La consternation y fut grande quand la nouvelle de son décès y arriva, mais, comme nous pouvons le penser, Padri Klementi fut quand même honoré par des funérailles plus qu’ordinaires.

François Richard

 


Missionaries of Africa

François Richard M.Afr

150 YEARS
6500 MISSIONARIES


Father David CLEMENT
(1922-1986)


“I liked everything about our Africa: its past, its future, its mountains...” is the phrase undoubtedly the best known of Cardinal Lavigerie. He continues by saying, “Love her with memories, her legends, her traditions of respect and faith.”
From the beginning, our founder invited us to get interested in everything that concerned Africa. He had studied the history of North Africa and had ordered some of our confreres, even though they were few in number, to devote their lives to the study of Archaeology and History. This is how Fr. Alfred-Louis Delattre (+1932) spent his whole life excavating the ruins of Punic, Roman, and Christian Carthage.

Many of us have followed the same path and have amassed collections of old stones, work tools, kitchen utensils, musical instruments, sculptures, proverbs, stories, insects and medicinal plants. Some have set up important cultural centres and even famous museums. We can think of the museums of Carthage, Mua, Djelfa, Jerusalem, Mbala and Sikasso. This indeed was the origin of the Sukuma museum of Bujora in Tanzania.

Bishop Jozef Blomjous (+1992), Bishop of Mwanza on the shores of Lake Victoria in Tanzania had understood the importance of Ethnology if the Gospel was to take root. Today we talk about Inculturation. Therefore, in the early 50s, he had the pleasure of appointing a recently arrived young Canadian father, David Clement who had already acquired a good knowledge of Kisukuma, to start working in the Bujora area, about 17 kms east of Mwanza and to take an interest in the local culture. The first objective was to create a base for a future parish. It was to become his lifework.

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Bujora Museum

He began by fitting into the local population to make himself known and build friendships. As he wanted to be useful, he began by building dozens of primary schools, which also served as outstations. Resourceful and handy with his hands, he worked with the people and got them to take part in the work. Then he built a church in Bujora itself.
He looked for ways to get people interested in the Church. He threw himself body and soul into his missionary work and adapted himself as close as possible to the local mentality. He became very popular and had a huge influence. Everybody loved him, Christians, as well as pagans. As soon as the children heard a piki-piki, they cried “Padri Klementi” even if it was not him at all!

Little by little, Clement got very enthusiastic about Sukuma culture. He discovered values, which could be used to transmit the Gospel. With the encouragement of his Bishop, he translated liturgical hymns into Kisukuma and transposed the melodies into local rhythms. Later, when Kiswahili became the liturgical language, he put Swahili words to Sukuma music. He composed many hymns based on biblical texts. He arranged the music with the collaboration of the St. Cecilia choir, which he had founded in 1954. This choir would become very important eventually. From these songs, Klementi succeeded in writing biblical and religious plays that completely incorporated the Sukuma culture. There were Nativity plays, plays about the Passion of Christ, the Last Judgement, on Esther, Suzanne, Job and the Uganda Martyrs. Music and dance were the natural components of the Basukuma. These little pieces of theatre received an unheard of success. For the Feast of Corpus Christi and St. Cecilia large crowds flocked to Bujora. The St. Cecilia choir had more than 500 members and gained recognition far beyond the parish. They even made a tour of Denmark and Sweden.


Padri Klementi at the Bujora Museum

Clement had no anthropological training and this was his big regret. However, he was a relentless worker and he tried to understand and to incarnate the Gospel into the symbolic language of the Sukuma. His warm contacts with the elders allowed him to discover the true nature of the customs before arriving at a synthetic understanding of them. His confreres often misunderstood him and he more or less worked alone. However, Bishop Blomjous supported him and he took an interest in his researches. He even mandated David to use Kisukuma in the liturgy (ad experimentum of course) as this was before Vatican II.

Fr. Clement was always on the lookout for ways to know the Basukuma better. He founded a group with the aim of doing research into all aspects of local life. Each member began by assembling various objects used traditionally in the life of the village. They collected tools, kitchen utensils, musical instruments and royal emblems. It was the beginning of a collection that was to give birth to the Sukuma museum. The complex would eventually have 12 pavilions. Each pavilion is consecrated to one subject: Royalty, family life, the blacksmiths, healers, dance, and history of the Church. President Nyerere officially opened this museum. It was to have a renowned reputation and attract a large number of visitors.

The impetuous dynamism of Klementi upset the confreres who did not always understand what he was about and they openly criticised him. Very few accepted to join him in Bujora. He found himself isolated and suffered accordingly. However, he stuck to his task! When he was appointed to another parish, it seemed that he had been exiled. Later, he confided that he went through a period of crisis and only came through it thanks to the friendship and advice of an old catechist who encouraged him to persevere in his desire to acculturate the Gospel among the Basukuma. Happily, Vatican II changed all that by its advocacy of a more positive approach to non-Christian cultures and religions. Bishop Renatus Butibage, successor to Bishop Blomjous in Mwanza understood the irreplaceable asset that was the work of Padri Klementi and he reappointed him to Bujora.

David quickly got down to work. With his group of researchers, he continued to study the vocabulary that the elders used for the flora and fauna. He also collected proverbs, stories, and the oral tradition of history. He was passionate about anything to do with the Basukuma people and culture. This was not an intellectual curiosity about things African, but the love of a pastor for his people and anything concerning them. It was a proactive love that aimed at allowing the Basukuma to live the Gospel without abandoning their rich traditions. It was not a question of imprisoning them in their past but to integrate their heritage into XX° century life. In order to do this, he founded a craft school, which incorporated traditional techniques such as sculpture, basketwork, pottery and metalwork with modern techniques such as carpentry, needlework, welding and mechanics.


Monument erected for the centenary of the arrival of the M.Afr.

However, Fr. Clement did not limit his activities to Bujora. Not far away is the village of Kageye, which was an important port on the southern coast of Lake Victoria. Stanley embarked on boats there to cross the lake and Speke and MacKay passed by as well. Our confreres on the first caravan, Frs. Livinhac, Girault, Lourdel, Barbot and Bro. Amans boarded boats there to take them to Uganda. The site was derelict. In 1978, Fr. Clement decided to build a memorial and to commemorate in a dignified way, the centenary of the arrival of the first White Fathers. He organised a big exhibition, which was inaugurated by President Nyerere and the Apostolic Nuncio. Large crowds came to celebrate the event.

David was always on the move because there were always new ideas in his head. He took very little rest. To a friend who remarked that after all that work, he ought to feel tired, he replied, “why? I am only just beginning; I still have lots of projects.”

Nevertheless, disease ambushed him. It was in Denmark where he went to have a holiday with his friends. He fell seriously ill with a lesion on the brain and a viral infection. He was flown urgently to Montreal but died on the 15th May 1986 at the relatively young age of 63 years. He was denied his last wish to be buried in the tomb he had prepared for himself in Bujora. There was considerable dismay in Bujora when news of his death reached there. However, they still celebrated his life in a funeral service that was more than just ordinary.

François Richard