Missionnaires d'Afrique

François Richard M.Afr

150 ANS
6500 MISSIONNAIRES

Père Michel Boisseau
(1920-1994)

Quand il arrive au noviciat de Maison Carrée, en 1948, Michel a déjà 28 ans et pas mal d’expérience derrière lui : bonnes études, scoutisme, diplôme d’une des meilleures écoles d’ingénieurs, engagement dans la résistance contre le nazisme, poste de directeur d’une fosse dans les mines de houille où il s’est intéressé aux questions sociales. Son désir est de mettre tout cet acquis au service de la mission. Il espère être nommé dans un diocèse minier. Au scolasticat de Thibar, on lui fait miroiter une telle nomination.

A sa surprise, il est nommé à la mission de Toussiana, dans un diocèse rural de Haute Volta. Déçu, il se met néanmoins courageusement à l’étude de la langue qui est difficile et non encore étudiée systématiquement. Après deux ans, il commence à peine à la maitriser quand il est nommé à Kanti, où il doit se mettre à une autre langue, le Lobi. Il trouve humiliant de rester un missionnaire débutant et balbutiant. C’est un homme habitué à commander et dont l’imagination déborde d’idées. Il a de la peine à entrer dans des programmes tout établis, où il ne peut guère utiliser sa grande créativité.

A sa demande, après quelques années, il est de nouveau nommé à Toussiana, où il participe à la vie paroissiale de première évangélisation en milieu rural, appréciant spécialement les contacts avec les plus pauvres. Surtout, étant aumônier du collège tenu par les Frères des écoles chrétiennes, il peut développer son attrait pour la pastorale de la jeunesse.

Il se lance également dans des travaux de développement, mais à sa manière, originale et sans beaucoup de concertation. Se voyant incompris par les confrères, il se sent un peu frustré, et il demande à prendre du recul. Il suit les cours de renouvellement donnés par les Dominicains à l’Arbresle. Il se sent très à l’aise dans cette nouvelle approche post-conciliaire. Il veut aussi approfondir la question du développement et s’inscrit aux cours de l’IRFED (Institut de Recherche et de Formation En vue du Développement).

Il y est comme un poisson dans l’eau et sent un nouvel appel, vers une autre style de mission. Il va à Rome pour en parler avec l’équipe générale qui décide de mieux utiliser ses talents.

A 50 ans, après 15 ans en Afrique Occidentale, .il prend un grand virage et s’envole pour le Congo.
Il se met au Kiswahili et part pour Lubumbashi. C’est là qu’il va passer les années les plus fructueuses de sa vie. Il y est nommé professeur à l’Institut des Mines. Il donne aussi des cours à la Faculté polytechnique et à l’Institut des Sciences Religieuses. Mais cela ne lui suffit pas et il s’investit aussi dans le travail pastoral, d’abord à Notre Dame de la Paix, puis à Katuba. La ville du cuivre connaissait alors une extension galopante et de nouvelles cités y voyaient le jour.

Michel y voit un appel et c’est vers les zones périphériques que se portent ses pas. Il ne tient pas en place. Il ne s’arrête pas aux cités, et visite aussi les villages. Il a de la peine à comprendre que toute l’attention des prêtres se limite aux quartiers déjà pastoralement bien desservis. Il se souvient de son engagement dans la première évangélisation à Bobo-Dioulasso. Il essaie de convaincre ses confrères et écrit des articles dans le Petit Echo pour dénoncer l’exode des prêtres vers les centres urbains, abandonnant les pauvres et les délaissés des périphéries. Son imagination est toujours au travail, il réfléchit beaucoup à ce que devrait être l’apostolat dans une Afrique en plein essor.

Nos archives contiennent de nombreuses réflexions pastorales qu’il a envoyées aux Supérieurs généraux successifs. Le Petit Echo a publié une douzaine de ses contributions sur l’engagement missionnaire. Les titres sont suggestifs : Quelle forme d’Eglise en Afrique ? Option Centres ou option Brousse ? Développement et humilité, Développement et pauvreté, Où vont nos grandes villes africaines ? Nos catéchistes, Chrétiens de première classe et chrétiens de deuxième classe, Pour un meilleur service : priorités et purifications…

Les archives de l’archidiocèse de Lubumbashi regorgent également de lettres envoyées à l’archevêque ! On sent un homme toujours en recherche, un homme qui n’arrête pas de réfléchir et d’agir. Cela a le don d’indisposer certains confrères qui le trouvent trop original, d’autant plus que Michel n’attache aucune importance à la façon dont il s’habille ; il s’habille parfois de façon plutôt cocasse, avec des chemises ou des chaussures qui le font davantage ressembler à un paysan ou à un ouvrier qu’à un prêtre des beaux quartiers. Il se sent parfois incompris par ses confrères, d’autant plus qu’il est un grand sensible. Mais cela n’arrête pas son engagement en périphérie, où il fait construire de nombreuses petites écoles et des chapelles.

Michel pense surtout au futur. Il n’est pas satisfait par la formation donnée dans les séminaires, laquelle isole les jeunes de leur environnement et leur donne de fausses ambitions. Il rêve d’une autre pastorale des vocations et invente ce qui va devenir son « pro-séminaire » : Il entreprend d’aider les jeunes à découvrir et à répondre à l’appel du Seigneur. C’est en réponse à la suppression des petits séminaires, mais aussi et surtout par souci d’inventer une formule de formation mieux adaptée : Chacun resterait dans sa famille, et ferait ses études dans son collège ou son institut et continuerait à participer aux activités de sa paroisse.

L’ambition de Michel était de motiver ces jeunes à partir d’une formation spirituelle de haut niveau et d’un service effectif auprès des chrétiens des campagnes. Il les réunissait régulièrement pour une formation spirituelle et apostolique. Celle-ci était pratique, les pro-séminaristes allant animer les communautés chrétiennes de la périphérie de Lubumbashi. Les pro-séminaristes étaient tenus à observer 5 règles : un quart d’heure de prière personnelle par jour, une réunion hebdomadaire dans le cadre paroissial, la participation aux réunions générales de tous les groupes de pro-séminaristes, un engagement dans une des activités de la paroisse, et un comportement correct.

Michel paye de sa personne et les pro-séminaristes sont entrainés par son exemple de vie simple, sa piété, son enthousiasme apostolique, sa disponibilité, sa proximité, son respect pour chacun, son option pour les plus petits... Il les inspire aussi par ses articles dans la revue Mbegu. Pendant une vingtaine d’années il va ainsi animer des centaines de jeunes ; son fichier avait plus de 2000 noms. Beaucoup sont devenus prêtres, religieux, religieuses. Certains sont membres de notre Société. Le plus grand nombre a persévéré dans cet esprit dans une vie de laïcs engagés.

Michel avait sa manière personnelle de voir les choses ; ses idées sur l’apostolat et ses options personnelles n’étaient pas toujours partagées par la communauté ; mais il avait un bon sens, de l’humour et il aimait participer aux réunions des confrères de Lubumbashi. Les questionnements ne l’empêchaient pas de foncer, jusqu’à ce que, à l’âge de 74 ans, il soit rejoint par une tumeur au cerveau qui l’oblige à se reposer, chose qu’il avait oublié de faire ; n’ayant jamais été malade, il supporta assez mal son séjour à l’hôpital. A Bry, il confia même les doutes qui l’envahissaient, mais qui n’empêchèrent pas le vieux lutteur d’être fidèle jusqu’au bout.

François Richard

Tiré du Petit Echo N° 1070 2016/04

 


Missionaries of Africa

François Richard M.Afr

150 YEARS
6500 MISSIONARIES


Father Michel Boisseau
(1920-1994)


Whe arrived at the novitiate in Maison Carée in 1948, Michel was already 28 years old and had good bit of experience of the world behind him. He was a graduate of the one of the best Engineering Schools, had been involved in the French Resistance during the war, and had been a manager of a coalmine. He was interested in the Scout movement and in the social questions of the day. His wish was to put all this experience at the service of the mission. He hoped to receive an appointment to a Diocese with mines. At Thibar, such a possibility was dangled in front of him.

However, to his surprise, Michel was appointed to Toussiana, a rural area in the Diocese of Bobo-Dioulasso in Upper Volta. He was disappointed but got down courageously to the study of the difficult language, as it had not yet been studied systematically. After two years and just as he was mastering it, he was appointed to Kanti, which meant learning another language called Lobi. He found it humiliating to be in a continual state of beginning and stammering. He was a man used to commanding and his imagination was overflowing with ideas. He found it difficult to enter well-established programmes where he could not make use of his considerable creativity.

After some years, Michel asked to return to Toussiana. It was a parish where pastoral work was primary evangelisation. He especially appreciated the contacts with the poorest of the poor. He was also chaplain of a college run by the De la Salle Brothers. He had a gift for pastoral work with young people. He also launched himself into development work. However, he did it his own way without too much discussion. Feeling that the confreres misunderstood him, he felt frustrated and he asked to take some time off. He followed a renewal course at l’Arbresle

He felt more at home in the Post-Vatican II Church and the new approaches emerging. He also wanted to get a better understanding of the development question. He registered for a course at IRFED (Institut de Recherche et de Formation En vue du Développement) which was run by the Dominicans. He was as happy as a fish in water and felt a new call to another style of mission. He went to Rome, to talk thing over with the General Council who decided to make better use of his talents.

Michel was now 50 years old and he had spent 15 years in West Africa. Now he took a radical change of direction and flew off to the Congo. He left for Lubumbashi and got down to learning Kiswahili. It was here that he was to spend the most fruitful years of his life. He was appointed Professor at the Institute des Mines. He also gave courses at the Polytechnic Faculty and at the Institut des Sciences Religieuses. However, all that was not enough and he also devoted himself to pastoral work in the Parish of Notre Dame de la Paix and then in Katuba. This city of copper was undergoing a galloping expansion and new suburbs were springing up all over the place. Michel saw an opportunity here and felt called to these zones on the peripheries.

He was unable to stand still. He did not stop in the housing estates; he also went to the villages. He could not understand why all the attention of the priests was focussed on the districts that were already well served pastorally speaking. He remembered his experiences of primary evangelisation in Bobo-Dioulasso. He tried to convince his confreres and wrote articles in the Petit Echo denouncing the exodus of priests towards urban centres thereby abandoning the poor and forsaken on the peripheries. His imagination was always in top gear. He reflected a lot on what kind of apostolate was required for an Africa in full expansion.

Our archives contain numerous reflections that he sent to successive Superior Generals. The Petit Echo published about a dozen of his contributions on missionary commitment. The titles are suggestive: “What type of Church in Africa,” “Options for the city or the bush,” “Development and humility,” “Development and poverty,” “In what directions are the big cities of Africa going?” “Our catechists, First class Christians or Second class Christians,” “Towards a better service; priorities and purification.”

The Archives of the Archdiocese of Lubumbashi are full of his letters sent to the Archbishop. One senses that he was a man always searching, who never stopped thinking and acting. He had a gift of upsetting some confrères who found him a bit off the wall. This was not helped by the fact that Michel attached no importance to the way he dressed. He could dress in a peculiar way with shirts and shoes which made him look like a peasant or a worker rather than a priest coming from an upper class neighbourhood. He felt that the confreres did not understand him, a hurt that was made worse because of his sensitive nature. However, that did not prevent him from his commitments on the periphery where he built many small schools and chapels.

Michel was especially thinking towards the future. He was particularly unhappy with seminary training, which cut the young men off from their environment and gave them unrealistic hopes. He dreamed of another way of promoting vocations and invented something that was going to become a pro-seminary. He undertook to help young people to discover and to respond to the call of the Lord. This was in response to the closing of the Junior Seminaries but it also came about because of his desire to discover a formula of training that was more adapted to the situation of young people.

Michel’s ambition was to motivate young people through a spiritual formation of a high level and through service to Christians in the countryside. He gathered them together on a regular basis for spiritual and apostolic formation. This was more practical, the pro-seminarians were sent to animate the Christian communities on the outskirts of Lubumbashi. They were bound by five rules: a quarter of an hour of personal prayer every day, a weekly meeting within the parish framework, participating in general meetings of all the pro-seminarian groups, a commitment to one of the parish activities and an undertaking to be of good behaviour.

Michel led by example and the pro-seminarians were inspired by his example of a simple life style, his piety, his apostolic enthusiasm, his availability, his closeness to people, his respect for each person and his option for the poorest. He also inspired them by his articles in the Mbegu magazine. (Mbegu means Seed) He was to pursue this path of inspiring young people over a period of twenty years. His card index had more than 2,000 names. Many became priests and religious. Some are members of our Society. Most have persevered in this spirit by a life as dedicated laypeople.

Michel had his own very personal view on life. The community did not always share his ideas on the apostolate and his personal options. Nevertheless, he had a good sense of humour and he liked coming to meetings of the Lubumbashi confreres. The questionings never slowed him down and it was only when he was diagnosed with a tumour on the brain at 74 years that he was obliged to rest. It was something he had often forgotten, as he was never sick. He hated being in hospital. At Bry-sur-Marne, he confessed to the doubts which assailed him but which never prevented this old warrior from being faithful right to the end.

François Richard

Tiré du Petit Echo N° 1070 2016/04