27-28 Septembre 2011
La fondation Jean-Paul II et le Père Vandrisse, par Lilla Danilecka (I & II)
Il a « donné ses lettres de noblesse à linformation religieuse »
ROME, Mardi 27 septembre 2011 (ZENIT.org) Le Père Joseph Vandrisse (1927-2010), a été correspondant du quotidien français Le Figaro auprès du Saint-Siège dans les années 1974-2002.Il a « donné ses lettres de noblesse à linformation religieuse », a pu écrire Jean-Marie Guénois.
Et cest la Fondation Jean-Paul II à Rome qui a hérité des riches archives de ce Père Blanc décédé le 31 mars 2010 : des documents recueillis durant ses 25 ans de journalisme « vaticaniste » comme disent les Italiens. La lecture de ses articles, des lettres et de ses notes privées brossent le portrait dun grand journaliste et dun témoin direct du pontificat du bienheureux Jean-Paul II ainsi que dun observateur vigilant de lÉglise catholique à la fin du XXème siècle, fait observer Lilla Danilecka.
ZENIT - Lilla Danilecka, vous êtes journaliste polonaise et vous avez eu entre les mains ces archives, dont vous mavez montré certains éléments, comme cette lettre du cardinal Ratzinger Le père Vandrisse, qui a vu naître, à Rome, le service en français de Zenit, a été pour nous un vrai maître en journalisme en même temps quun prêtre fidèle notamment au bréviaire, même pendant les harassants voyages de Jean-Paul II ! - et un missionnaire inlassable. Pouvez-vous rappeler les grandes lignes de son itinéraire ?
Lilla Danilecka - Le père Joseph Vandrisse a été correspondant auprès du Vatican à partir de 1974, sous le pontificat de Paul VI, mais cest le bienheureux Jean-Paul II qui lui avait adressé la parole-clé pour son métier de journaliste. Dans lavant-propos de son livre intitulé « Ce jour-là Jean-Paul II 50 dates qui ont marqué son pontificat », le père Vandrisse a raconté sa première rencontre avec le Pape polonais : « Rendez-vous fixé : mardi 9 janvier 1979, en la basilique Saint-Pierre. Le nouvel archevêque de Cracovie, Mgr Franciszek Macharski à qui Jean-Paul II, le jour de lEpiphanie, vient de conférer lordination épiscopale, veut bien me recevoir avant laudience qui regroupera les Polonais venus pour la circonstance. Lévêque est prêt à donner une interview au Figaro et à La Liberté, quotidien de Fribourg, en Suisse, où il avait été étudiant à la faculté de théologie de lUniversité. Avant même lentretien, il me déclare, écrit le P. Vandrisse : « Le Saint-Père passera ici dans vingt minutes. Je vous présenterai et vous pourrez lui parler quelques instants. » Le contact se révèle très facile avec Jean-Paul II. Demblée il met à laise son interlocuteur. « 'Alors, demande-t-il, expression qui revient souvent dans la conversation vous êtes journaliste et membre dun Institut missionnaire !'. Le bref entretien porte aussitôt sur la communication dans lEglise, entre celle-ci et la société, sur la rencontre des religions. Me tapant de la main gauche sur lépaule à deux reprises, il insiste 'Il faut continuer. Tout se joue aujourdhui dans la communication. Alors, tenez bon ! Mais soyez fidèle' »1.
Auparavant, le P. Vandrisse avait été longtemps missionnaire au Liban
Joseph Vandrisse est né le 30 avril 1927 à Tourcoing dans le Nord de la France. Il suffit de voir la comédie intitulée « Bienvenue chez les Chtis » de Danny Boon (2008) pour plonger dans le climat de la région natale de Joseph. Il aurait voulu étudier la médecine, mais les professeurs ont convaincu ses parents que Joseph devrait choisir plutôt le métier déducateur ou davocat. Finalement, il a répondu à lappel au sacerdoce et, en 1946, il est entré dans la congrégation des Missionnaires de lAfrique (Pères Blancs), fondée dans la deuxième moitié du XIXème siècle par larchevêque dAlger, Mgr Charles Lavigerie. Joseph a passé son noviciat en Carthage en Tunisie et il a été ordonné prêtre en 1950.
Le jeune missionnaire a en effet travaillé dabord au Liban, où il était responsable du grand séminaire des Pères Blancs, il enseignait la littérature et il a lancé une petite revue intitulée le « Courrier Sainte Anne ». Après huit ans à Rayak, ses responsables ont décidé de lenvoyer à Rome pour compléter ses études. Puis, le père Joseph est retourné au Liban pour perfectionner son arabe, à Bikfaya. En 1963, un autre déménagement, cette fois-ci pour le travail pastoral dans la paroisse melchite de Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris.
Là, le journaliste polonais Andrzej Dobosz, qui tenait la Librairie Polonaise près de la Cathédrale Notre-Dame de Paris dans les années 1994-2008, écrivait : « Je regarde la petite église de Saint-Julien-le-Pauvre, détruite par les Normands en 886 et reconstruite dans les années 1170-1240. Saint Thomas dAquin devait y prier, ainsi que Dante et Pétrarque, peut-être aussi Villon et Rabelais venaient sagenouiller en ce lieu de recueillement. Les acteurs de la Révolution française ont transformé léglise en dépôt du sel, puis de la laine. Elle a été restaurée et rendue à lEglise seulement en 1826. Aujourdhui cest une église catholique de rite melchite, sous la juridiction du patriarche dAntioche, qui respecte lautorité du pape. Une fois jai participé à la Messe de Minuit. La liturgie qui durait quatre heures se suivait en grec, en arabe et en latin »2.
En même temps, le père Joseph était secrétaire du Centre national des vocations. Il exerçait ses fonctions à Paris dans les années où le nouveau concile se tenait au Vatican. Le jeune missionnaire vivait et travaillait entre les murs dune église millénaire de rite byzantin et il était en même temps responsable de la formation des futurs serviteurs du Seigneur. A partir de 1966, le père Vandrisse a souvent voyégé entre Paris et Beyrouth, où il était également responsable de la pastorale des vocations. Cest justement dans la capitale libanaise quil a rencontre Jean Bourdarias, correspondant du Figaro et spécialisé dans les questions religieuses. Grâce à sa recommandation, le père Vandrisse est devenu le correspondant permanent de ce quotidien auprès du Saint-Siège.
Comment résumer ce travail de chroniqueur français du pontificat polonais ?
Cest dès 1973, à lâge de 47 ans, que le père Joseph Vandrisse sest installé à la maison généralice des Père Blancs, Via Aurelia à Rome, pour consacrer le reste de sa vie au travail de chroniqueur qui traversera trois pontificats : de Paul VI, de Jean-Paul Ier et du bienheureux Jean-Paul II. Il a participé à plus de 70 voyages apostoliques de ce dernier. Le père Vandrisse touchait la réalité de son travail, non seulement avec sa plume, mais surtout avec son cur sacerdotal. Entre les lignes de ses multiples articles au Figaro, à Famille chrétienne, à La Liberté, à Ouest France, au Quotidien de Fribourg ainsi que dans les émissions diffusées sur les ondes de Radio Notre-Dame, Radio France International, Radio Espérance, etc. Nous pouvons ainsi encore lire et entendre des propos qui méritent notre gratitude.
Un des proches collègues du père Vandrisse, Jean-Marie Guénois, aujourdhui journaliste au Figaro, a écrit dans LOsservatore Romano du 3 avril 2010 : « Joseph Vandrisse était un religieux mais aussi un maître. Maître dans lart fugace mais efficace du journalisme. En écrivant presque quotidiennement et pendant trente ans, comme correspondant depuis le Vatican, pour le premier quotidien national français,Le Figaro, il a mis son talent au service de lEglise catholique. (...) Il fallait donc voir Joseph Vandrisse, assis à sa table de travail, via Aurelia, dans la maison généralice des Pères Blancs, les Missionnaires dAfrique, sa maison et sa famille, préparer ses textes, veillant aux bonnes formules mais aussi à la rigueur de linformation dont il remplissait dinnombrables carnets. Mais aussi dans les conditions les plus difficiles des quelque soixante-dix voyages où il a suivi Jean-Paul II dans le monde entier, écrire et surtout réussir à transmettre dans le temps imparti quand internet nétait même pas encore une idée.
On a vu ce missionnaire-journaliste, juché avec sa casquette sur une mobylette, foncer, faute de taxi, à lambassade de France dune ville africaine pour transmettre son papier à lheure. Larticle est bien paru. Il fallait aussi voir ce baroudeur distingué, descendre de lavion du pape avec un lourd sac de documentation car il partait toujours très bien préparé avec tous les données possibles sur le pays et lEglise que Jean-Paul II venait visiter. Dans le cercle des vaticanistes, « Joseph » comme tous lappelaient, était non seulement reconnu comme un grand professionnel, mais respecté comme fin connaisseur du Vatican, toujours remarquablement informé, et apprécié comme confrère et comme prêtre. Joseph Vandrisse, qui avait toujours le souci des jeunes et de la formation, aura aussi encouragé une jeune génération de journalistes spécialisés dans linformation religieuse dont lauteur de cet article qui lui doit vraiment beaucoup. A ce titre, le père Vandrisse aura été un conseiller proche, actif et décisif dans la création et le développement de lagence I.Media à Rome dont je suis le fondateur ( ). Beaucoup dautres journalistes, en France, pourraient aussi témoigner de cette même fécondité, toujours à luvre, de ce prêtre-journaliste, qui a donné ses lettres de noblesse à linformation religieuse ».
Il a quitté Rome avant la fin du pontificat, mais a-t-il vraiment pris sa « retraite » pour autant ?
Le père Joseph Vandrisse a pris sa retraite en 2002 et il est retourné en France. Il ne travaillait plus au Vatican, quand le monde entier est venu pour célébrer les obsèques du bienheureux Jean-Paul II, au cours desquelles lEvangile sest refermé sur le cercueil suite à un fort coup de vent. Pourtant, deux ans auparavant, le père Vandrisse avait écrit dans la conclusion de son livre « Ce jour-là Jean Paul II 50 dates qui ont marqué son pontificat » : « Après tant de reportages, je resterai marqué par une scène si souvent répétée dun bout du monde à lautre : après avoir entendu au début de la messe le chant de lEvangile, il reçoit des mains dun diacre de tout pays, de toute race ou culture, le livre de la Parole, lélève solennellement et bénit lassemblée. Il confie à un peuple le livre trop longtemps scellé, lui demande de louvrir pour que surgisse la source. Celui qui, en dautres circonstances a pu, dans sa chapelle privée au Vatican, concélébrer la messe avec lui, sest même laissé attirer dans son silence et sa contemplation. S'élever et garder le livre de Dieu ouvert, tel est, jour après jour, lencouragement de Jean-Paul II, prêtre ami de lhomme parce que ami de Dieu, passionné de son temps parce que passionné déternité. De lhistoire bimillénaire de lEglise dont il vient décrire quelques nouvelles et brillantes pages, il laisse le livre ouvert »3.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin
1 Joseph Vandrisse, Ce jour-là Jean Paul II... 50 dates qui ont marqué son pontificat, Perrin/Mame 2003, pp. 9-10.
2 Andrzej Dobosz, W Paryzu (À Paris), dans : Tygodnik Powszechny . 2000 r.
3 Joseph Vandrisse, op. cit., pp. 223-224.
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Des lettres de lecteurs au testament de Joseph Vandrisse, le missionnaire (II)
ROME, Mercredi 28 septembre 2011 (ZENIT.org) Le Père Joseph Vandrisse (1927-2010), a été correspondant du quotidien français Le Figaro auprès du Saint-Siège dans les années 1974-2002.
Et cest la Fondation Jean Paul II à Rome qui a hérité des riches archives de ce Père Blanc décédé le 31 mars 2010 : des documents recueillis durant ses 25 ans de service de presse auprès du Vatican. La lecture de ses articles, des lettres et de ses notes privées brossent le portrait dun grand journaliste et dun témoin direct du pontificat du bienheureux Jean Paul II ainsi que dun observateur vigilant de lÉglise catholique à la fin du XXème siècle, fait observer Lilla Danilecka dans ce second volet de cet entretien.
Zenit Il a, à plusieurs reprises, évoqué ce géant quil a côtoyé : quest-ce quil retenait de ce pontificat, lui qui était missionnaire?
Lilla Danilecka En mai 2005, alors que le livre de la vie du pape venu « du pays lointain » était déjà définitivement refermé, P. Joseph Vandrisse a donné une large interview à la revue missionnaire « Peuples du monde », où il disait : « Au moment où le pape Jean-Paul II est rentré en scène en 1978, je me demande qui entendait parler du monde slave, de lEglise slave, des catholiques slaves. Attention : la Russie faisait partie de cet ensemble. Alors Jean-Paul II, pour cette raison, a lancé lencyclique (dont on ne parle jamais, mais qui est symbolique de la personnalité de ce pape), « Slavorum apostoli ». Lobjectif : de nous montrer cette liaison des cultures et de la foi. Nous nous rappellons tous lhistoire de ces deux moines byzantins au IXe siècle qui sont envoyés par le patriarche de Constantinople, qui était la grande Eglise, pour évangéliser les slaves. Cela commence par lUkraine actuelle, puis ils sen vont en Moldavie, etc... Bref, cest là que toute la pensée du pape se forge pour essayer dunifier ces mondes. Il savait très bien que ça ne pouvait passer que par une visite et des accords avec la Russie. Il y a bien au plan cumenique quelques ponts avec la Russie mais aussi un dissentiment si lourd entre Polonais et Russes... Et puis force est de reconnaître que les Russes ont toujours freiné une intervention du pape en Russie. Si le pape pardonnait facilement, la réciprocité, en loccurence, nétait pas vérifiée. Et puis, disont les choses comme elles étaient : le pape était systématiquement soupçonné de prosélitysme en terres orthodoxes russes » 1.
Comment voyait-il évoluer la grande question de linculturation de la foi dans les cultures ?
Toujours dans la même interview, le P. Vandrisse a en effet relevé cette autre question, non moins importante du point de vue missionnaire de linculturation : cétait une notion relativement nouvelle dans lEglise postconciliaire et le bienheureux Jean-Paul II se rendait compte de lurgence de diriger la reflexion missionnaires sur la bonne voie. Le P. Vandrisse noubliait pas que cest bien lEglise de France qui avait envoyé, pendant des siècles, des légions de missionnaires et qui ne cesse de réaliser des grands projets missionnaires sur tous les continents : « Linculturation est aussi une des grandes idées de la nouvelle évangélisation. Je crois que la première fois quil a prononcé le mot dinculturation cétait en Pologne et non en Afrique. Cependant assez vite, il a pensé à un synode « noir ». En 1985, alors que jaccompagnais la visite pontificale en route vers le Kenya, je minterrogeais. Comment lEglise sest-elle acculturée en passant du monde de Byzance au monde Slave pour rester aussi en contact et même pétrie du monde Latin ? Alors que nous sommes en Afrique ne devrions-nous pas jouer par rapport aux peuples africains le rôle que Cyrille et Méthode ont joué par rapport à nos frères slaves ? Le pape voulait mettre laccent sur la foi. On la dailleurs trop souvent présenté comme un philosophe, comme un ami. Or, lui affirmait sans cesse : « Je suis dabord croyant en Jésus-Christ ». Cétait un discours très bien reçu par nos frères dAfrique qui sont naturellement tournés vers la prière. Et de fait, bien souvent les problèmes attribués à linculturation des Eglises le sont davantage par les théoriciens occidentaux que par nos frères travaillant sur le terrain.
Certes lautonomie des Eglises est nécessaire, mais le pape la rendait possible parce que cadrée dans lunicité garantie par luniversalité de la famille catholique. Si cest bien Paul VI qui fut le premier à parler de linculturation, de nouvelle évangélisation, cest quand même Jean-Paul II qui a donné un nouveau départ à cette démarche. A cette occasion, il a remis laccent sur lEglise Communion. La communion dans lEglise des croyants avec la hiérarchie des évêques, mais aussi les Eglises en communion et en communion entre elles. Cétait la grande idée développée constamment : lEglise nest Eglise que si elle est inculturée, cest-à-dire adaptée et façonnée par les gens qui la constituent. Dautre part cette Eglise nest Eglise catholique universelle que si elle est en lien avec les autres Eglises, avec lEglise de Rome. Nous sommes en plein dans le rôle de Pierre, dans sa mission : « Confirme mes frères et fais lunité, pais mes agneaux, pais mes brebis » (cf. J 21,16-17) ».
Dans la conclusion de ses réflexions sur le pontificat de Jean-Paul II, le P. Vandrisse a souligné ce qui lui le prêtre-missionnaire était particulèrement cher : « La mission ne peut faire découvrir la richesse de la foi que si elle est proche de lhomme. Le pape insistait beaucoup sur ce point. Cest le service de lhomme qui fait peut-être que beaucoup plus de gens que nous ne pensons sont proches du royaume de Dieu. Cest lEvangile, Jésus le dit constamment : « Tu es plus proche du royaume de Dieu que tous ces Pharisiens qui discutaient pendant des heures » (cf. Mt 12,34). Chez le pape il y avait ce sens de lhomme, extrêmement poussé. Ce qui me subjuguait chez Jean-Paul II, moi comme beaucoup dautres, cétait son humanité et sa bonté.
Dautre part, ce service de lhomme trouve sa plénitude quand il y a la reconnaissance de Dieu. Cest le pape qui montrera que la mission doit être dabord au service de Dieu. (...) Complétant ce que lon peut dire sur les perspectives offertes, le pape disait encore que lEglise à laube du troisième millénaire na pas à chercher forcément des méthodes nouvelles, elle a dabord à être elle-même : à vivre sa foi. Moi, qui ai été dans le monde byzantin, je peux dire que les orthodoxes ont beaucoup à nous apprendre : parce quune liturgie reste une liturgie, on ne fait pas un mélange... Jean-Paul II homme de Prière nous a montré la voie ».
Ce missionnaire, ce professeur, était aussi très pédagogue dans ses relations à ses très fidèles lecteurs : comment entretenait-il le dialogue ?
Les fruits du travail journalistique du père Joseph Vandrisse occupent plusieurs rayons dans les archives du Centre de la Documentation et de lEtude du Pontificat de Jean-Paul II à Rome. Parmi les classeurs y conservés, il y a deux particulièrement précieux qui contiennent la correspondance de lauteur avec ses lecteurs, ses amis, ainsi quavec les ministres de lEglise et de lEtat. Quand est-ce quil trouvait le temps pour tout cela ? Doù une aussi excellente mémoire de personnes ? Il ny a point dexagération dans la constatation que si lon veut connaître le cur de quelquun, il faut lire des lettres quil avait écrit. Peu importe si le destinataire des lettres du père Vandrisse sappellait cardinal Paul Poupard ou bien Madame Geneviève Durand, une infirmière dun des hôpitaux parisiens, chaque lettre était longue et respectueuse, motivée par le bien des personnes et de lEglise. Avec beaucoup de patience il expliquait à ses lecteurs ce que des médias hostiles à lEglise avaient faussé. Et combien dhumilité à reconnaître une erreur ou son incompétence face à tel ou autre spécialiste dans le domaine traité ! Combien dengagement à soccuper des problèmes confiés, quil aurait pu bien mettre de côté faute de temps, mais il ne la pas fait. La lecture des lettres du P. Vandrisse montre quil prenait ses correspondants au sérieux.
Vous pouvez citer un exemple ?
En 1986, cette infirmière dun grand hôpital au centre de Paris lui a confié sa préoccupation pour les pauvres et pour son service : dans son milieu de travail, il ny avait aucun aumônier catholique même auprès des agonisants, tandis que les répresentants de sectes y circulaient facilement. Le P. Vandrisse a répondu à Madame Durand : « Ne croyez pas que jai égaré votre lettre de la mi-novembre. Elle ma beaucoup impressionnée et elle rejoint tellement ce que je pense. Tout récemment encore, lusage abusif de ce que lon a fait des interventions du pape Jean Paul II sur la pauvreté (message de Noël) vont tellement à contre-sens de ce quil a voulu dire que lon peut penser de procès dintention. Ce nest pas en terme de classe que parle le Saint Père et, comme vous le dites, la pauvreté nest pas toujours là où lon croit la trouver. Les récents documents de lEglise ne parlent plus doption préférentielle pour les pauvres (expression politisée), mais « damour de préférence » pour les pauvres. Il faut aller vers toute faiblesse, toute misère, cachée ou non, toute souffrance (qui est le lot de tous). Comment notre regard pourrait-il être exclusif ? Notre force cest notre faiblesse, notre pauvreté, cest cela qua dit Jean Paul II en se référent à François dAssise et en citant saint Paul. Ce que vous me dites sur les malades que vous côtoyez, catholiques de formation devenus durcis, repliés sur eux-mêmes, matérialiste ou désespérés devrait nous obliger, nous, prêtres, à un rude examen de conscience : quavons-nous fait de nos frères ? Lors de lannée jubilaire 19822 sur la réconciliation, javais lancé un appel à lun ou lautre évêque français de lancer un appel en ce sens. Ils nont pas cru bon ou nécessaire de le faire. Ceut été pourtant au cur du message évangélique : Convertissez-vous. Dire clairement que malgré la meilleure volonté du monde et parfois par souci missionnaire il y a eu depuis vingt ans en France tant de tâtonnements, derreurs, dincompréhensions, cela aurait aussitôt soulagé beaucoup de catholiques. Et ceut été la vérité qui libère ! Et quand, à notre place dinformateurs religieux, nous osons le dire, cest pour voir aussitôt la levée des boucliers de lintelligentsia des médias catholiques ! Je crois que beaucoup de gens comprennent notre langage mais cela est souvent ponctuel, sporadique et les problèmes de fond restent. Dans la revue Famille chrétienne à laquelle je collabore, le rédacteur en chef, Michel Denis écrivait récemment, à propos des manifestations détudiants de Paris : Cest bien dune nouvelle évangélisation quil sagit, dune nouvelle annonce. Cest cela quil faut encourager avec courage. La mort de ce jeune cadre, frappé de leucémie, ma beaucoup frappé. Jy pense constamment. Dimanche soir, célébrant lEucharistie avec un petit groupe de Français de Rome, nous avons prié pour lui, pour sa femme. Sil vous était possible de revoir cette personne, dites-le lui de ma part. Jai cité dans mon article de la Toussaint ce mot de Paul Claudel qui ma toujours frappé : Ce peuple de tous les morts avec moi, ces âmes lune sur lautre... Tenez bon ! Mes amis de Rome dont je viens de parler me disent quà la paroisse Notre-Dame dAuteuil, un prêtre (il a un cancer des os qui évolue lentement) se consacre au travail auprès des grands malades. Il sagit de labbé Daniel Favre. Vous pourriez éventuellement le contacter... ».
Dans le même style, le P. Vandrisse écrivait en 1987 à son collègue éminent du Figaro, Renaud Matignon (+1998) : « Je crois que beaucoup de gens attendent ce courage, quand, constamment, on voit revenir Ponce-Pilate ». Aussi dans sa lettre du 19 mai 1993 adressée au card. Paul Poupard, il lui partageait une réflexion amère : « La difficulté au journal où, finalement, passe quand même bien des informations cest quil ny a aucune hiérarchie des nouvelles. Mon collègue Elie Maréchal et moi-même nous trouvons le matin un article (ridicule) sur lOpus Dei sans que nous ayons été consultés. Cela tient à lignorance crasse de nos chefs de rubrique (service des Informations générales). Problème de la sous-culture, cette-fois ! ».
Cest Mgr Riocreux qui a présidé les obsèques du P. Vandrisse. Qua-t-il mis en relief en évoquant cet ami ?
Le 3 avril 2010 Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Pontoise, a effectivement présidé les obsèques de lun de meilleurs vaticanistes français. Il disait alors : « Celui qui signait "Joseph Vandrisse" dans ses articles du Figaro, était avant tout prêtre et missionnaire. Le Seigneur lui a donné un talent d'écriture et il l'a exercé. Logeant chez les Pères Blancs, Via Aurelia, à Rome, et à la rue Friant à Paris, il était à la fois un confrère comme un autre, mais les Pères Blancs savaient que son ministère était ailleurs, pour ceux qui liraient ses articles précis, concis. Mardi soir, après la messe chrismale à la cathédrale Saint-Maclou, rencontrant un autre célèbre Père Blanc, le Père François de Gaulle, missionnaire pendant 55 ans au Burkina, il répondit à ma question sur la santé du Père Vandrisse: "Il est très fatigué". En fait, il vivait ses dernières heures, puisqu'il mourait paisiblement dans son sommeil, Mercredi Saint, aux aurores. Nous célèbrerons ses funérailles le Mardi de Pâques, en rendant grâce pour cette belle figure de prêtre mort durant cette semaine sainte de l'année sacerdotale. J'ai sous mes yeux son admirable testament de deux pages qui commence par cette phrase du tropaire de Pâques: Christ est ressuscité des morts! Aux morts, il a donné la vie. Il dit que "sa vie aura été marquée par la presse". "J'ai aimé ce travail, écrit-il, je m'y suis donné avec au coeur la lourde passion de l'Eglise et du métier".
Aussi un de ses collègues de La Famille chrétienne du 1er avril 2010 a écrit que le Père Vandrisse était un vrai pédagogue et passeur comme sur les eaux du Styx en temps de crise. « Le Père Vandrisse a pratiqué son métier avec passion. Pour éclairer, convaincre et aussi transmettre. Il savait donner un coup de pouce aux jeunes générations. Aux apprentis journalistes. Un jour, il ma ouvert sa porte à Rome, lorsque je faisais mes premiers pas dans la profession. Un jour pur et sans nuage, saturé dazur. Dans cette grande maison généralice des Pères blancs qui culmine sur une des collines de Rome. Son bureau était vaste, sa bibliothèque aussi, sans oublier son carnet dadresse Pour le novice, il ny avait rien dautre à faire quà boire ses paroles. Car Joseph Vandrisse parlait comme un livre, avec une musique profonde et rassurante. En souriant. À Paris, quelques années plus tard, jai pu encore étancher ma soif. Désormais à la retraite, il navait pas vraiment le cur à ranger sa plume. Ni à se lancer dans une psychanalyse collective avec ses confrères. Il voulait porter du fruit (un fruit romain) jusquau bout ».
Homme fort et passionné pour son travail auprès du pape fort et passionné pour lEglise, courant sans cesse entre son bureau et laéroport « car le Saint-Père ne nous laisse pas chômer » - disait-il. Mais avant tout le prêtre fidèle au Christ. Il était capable de reconnaître quil sétait trompé parfois de détails dans ses correspondances envoyées en vitesse et il nattendait pas que toutes ses opinions allaient plaire à tout le monde. Peut-être est-ce justement grâce à cette attitude paisible quil pouvait continuer et tenir bon, sachant quil travaillait pour le Seigneur.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin
1 Peuples du monde, nr 390 (5/2005), propos recueillis par Loïc Kerraoul, pp. 8-14.
2 Il semble que lauteur sest trompé de date; le contexte indique quil sagissait plutôt de lAnnée de la Rédemption 1983.