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L’Europe concrète rêvée par le pape François (texte complet)

Prix Charlemagne 2016, pour un nouvel humanisme


Le pape François reçoit le Prix Charlemagne des mains de Marcel Philipp et Jürgen Linden, L'Osservatore Romano

Posted by Anita Bourdin on 6 May, 2016

« Avec l’esprit et avec le cœur, avec espérance et sans vaine nostalgie, comme un fils qui retrouve dans la mère Europe ses racines de vie et de foi, je rêve d’un nouvel humanisme européen, d’«un chemin constant d’humanisation», requérant «la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine». Je rêve d’une Europe jeune, capable d’être encore mère », déclare le pape François.


Dans un grand discours à la fois enflammé et concret, le pape François revient sur cette Europe qui l’avait conduit à Strasbourg le 25 novembre 2014, spécialement au Parlement et au Conseil de l’Europe où il s’est adressé à 900 millions d’Européens.

Cette fois-ci c’est l’Europe qui vient à lui dans les personnes du maire d’Aix-la-Chapelle, Marcel Philipp, et de l’ancien maire, Jürgen Linden, et des plus hauts responsables des institutions européennes : Martin Schulz, président du Parlement européen, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et Donald Tusk, président du Conseil, en présence, notamment, de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du roi Felipe d’Espagne, le président du Conseil italien Matteo Renzi.

Or, justement, le pape François est le premier non-européen à recevoir le prestigieux Prix Charlemagne en raison de son engagement pour une Europe plus unie, et fidèle à ses valeurs fondatrices. Mais dans son discours il revendique ses origines européennes.

Le pape cite aussi bien Elie Wiesel que le grand jésuite allemand d’origine polonaise Erich Przywara (1889-1972), Robert Schuman et Alcide de Gasperi, saint Jean-Paul II – également Prix Charlemagne – et Benoît XVI.

Le pape souhaite une Europe ayant « la capacité d’intégrer », « la capacité de dialoguer » et « la capacité » d’être féconde.

Voici le texte intégral du discours du pape François, propre à inspirer la célébration de la Journée de l’Europe, le 9 mai prochain: le pape cite deux fois la Déclaration du 9 mai 1950.

A.B.

Discours du pape François

Honorables invités,

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence. Je suis reconnaissant, en particulier, à Messieurs Marcel Philipp, Jürgen Linden, Martin Schulz, Jean-Claude Juncker et Donald Tusk pour leurs aimables paroles. Je voudrais redire mon intention de dédier le prestigieux Prix, dont je viens d’être honoré, à l’Europe : en effet, nous ne sommes pas en train d’accomplir un geste de célébration ; nous saisissons plutôt l’occasion pour souhaiter ensemble un élan nouveau et courageux à ce cher continent.

La créativité, le génie, la capacité de se relever et de sortir de ses propres limites caractérisent l’âme de l’Europe. Au siècle dernier, elle a témoigné à l’humanité qu’un nouveau départ était possible : après des années de conflits tragiques, qui ont abouti à la plus terrible guerre dont on se souvienne, est apparue dans l’histoire, par la grâce de Dieu, une nouveauté sans précédent. Les cendres des décombres n’ont pas pu éteindre l’espérance et la recherche de l’autre, qui brûlaient dans le cœur des Pères fondateurs du projet européen. Ils ont jeté les fondations d’un rempart de paix, d’un édifice construit par des États qui ne s’étaient pas unis de force, mais par un choix libre du bien commun, en renonçant pour toujours à s’affronter. L’Europe, après tant de divisions, s’est finalement retrouvée elle-même et a commencé à édifier sa maison.

Cette « famille de peuples » [1], admirablement agrandie entre temps, dernièrement semble moins sentir comme siens les murs de la maison commune, érigés parfois en s’éloignant du judicieux projet conçu par les Pères. Cette atmosphère de nouveauté, cet ardent désir de construire l’unité paraissent de plus en plus éteints : nous, les enfants de ce rêve, nous sommes tentés de céder à nos égoïsmes, en ayant en vue notre propre intérêt et en pensant construire des enclos particuliers. Cependant, je suis convaincu que la résignation et la fatigue ne font pas partie de l’âme de l’Europe et qu’également « les difficultés peuvent devenir des promotrices puissantes d’unité » [2].

Au Parlement européen, je me suis permis de parler d’une Europe grand-mère. Je disais aux Eurodéputés qu’en bien des endroits grandissait l’impression générale d’une Europe fatiguée et vieillie, stérile et sans vitalité, où les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive ; une Europe en déclin qui semble avoir perdu sa capacité génératrice et créative. Une Europe tentée de vouloir assurer et dominer des espaces plutôt que de créer des processus d’inclusion et de transformation : une Europe qui est en train de ‘‘se retrancher’’ au lieu de privilégier des actions qui promeuvent de nouveaux dynamismes dans la société ; des dynamismes capables d’impliquer et de mettre en mouvement tous les acteurs sociaux (groupes et personnes) dans la recherche de solutions nouvelles aux problèmes actuels, qui portent du fruit dans d’importants événements historiques ; une Europe qui, loin de protéger les espaces, devienne une mère génératrice de processus (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 223).

Que t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? Que t’est-il arrivé, Europe terre de poètes, de philosophes, d’artistes, de musiciens, d’hommes de lettres ? Que t’est-il arrivé, Europe mère de peuples et de nations, mère de grands hommes et de grandes femmes qui ont su défendre et donner leur vie pour la dignité de leurs frères ?

L’écrivain Elie Wiesel, survivant des camps d’extermination nazis, disait qu’il est capital aujourd’hui de réaliser une ‘‘transfusion de mémoire’’. Il est nécessaire de ‘‘faire mémoire’’, de prendre un peu de distance par rapport au présent pour écouter la voix de nos ancêtres. Non seulement la mémoire nous permettra de ne pas commettre les mêmes erreurs du passé (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 108), mais aussi elle nous donnera accès à ces acquis qui ont aidé nos peuples à traverser, avec un esprit positif, les carrefours historiques qu’ils trouvaient marchant. La transfusion de la mémoire nous libère de cette tendance actuelle, souvent plus attrayante, de fabriquer en hâte sur les sables mouvants des résultats immédiats qui pourraient produire un gain « politique facile, rapide et éphémère, mais qui ne construisent pas la plénitude humaine » (ibid., n. 224).

À cette fin, cela nous fera du bien d’évoquer les Pères fondateurs de l’Europe. Ils ont su chercher des routes alternatives, innovatrices dans un contexte marqué par les blessures de la guerre. Ils ont eu l’audace non seulement de rêver l’idée d’Europe, mais ils ont osé transformer radicalement les modèles qui ne provoquaient que violence et destruction. Ils ont osé chercher des solutions multilatérales aux problèmes qui peu à peu devenaient communs.

Robert Schuman, dans ce que beaucoup reconnaissent comme l’acte de naissance de la première communauté européenne, a dit : « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait »[3]. À présent justement, dans notre monde divisé et blessé, il faut retourner à cette solidarité de fait, à la même générosité concrète qui a suivi le deuxième conflit mondial, parce que, – continuait Schuman – « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent »[4]. Les projets des Pères fondateurs, hérauts de la paix et prophètes de l’avenir, ne sont pas dépassés : ils inspirent, aujourd’hui plus que jamais, à construire des ponts et à abattre des murs. Ils semblent exprimer une invitation angoissée à ne pas se contenter de retouches cosmétiques ou de compromis bancals pour corriger quelques traités, mais à poser courageusement de nouvelles bases, fortement enracinées ; comme l’affirmait Alcide De Gasperi, « tous également animés par le souci du bien commun de nos patries européennes, de notre Patrie l’Europe », recommencer, sans peur un « travail constructif qui exige tous nos efforts d’une coopération patiente et longue »[5].

Cette transfusion de la mémoire nous permet de nous inspirer du passé pour affronter avec courage le complexe cadre multipolaire actuel, en acceptant avec détermination le défi d’‘‘actualiser’’ l’idée de l’Europe. Une Europe capable de donner naissance à un nouvel humanisme fondé sur trois capacités : la capacité d’intégrer, la capacité de dialoguer et la capacité de générer.

Capacité d’intégrer

Erich Przywara, dans sa magnifique œuvre L’idée de l’Europe, nous invite à penser la ville comme un lieu de cohabitation entre diverses instances et divers niveaux. Il connaissait cette tendance réductionniste qui habite chaque tentative de penser et de rêver le tissu social. La beauté enracinée dans beaucoup de nos villes est due au fait qu’elles ont réussi à conserver dans le temps les différences d’époques, de nations, de styles, de visions. Il suffit de regarder l’inestimable patrimoine culturel de Rome pour confirmer encore une fois que la richesse et la valeur d’un peuple s’enracine justement dans le fait de savoir articuler tous ces niveaux dans une saine cohabitation. Les réductionnismes et toutes les tentatives d’uniformisation, loin de générer des valeurs, condamnent nos peuples à une cruelle pauvreté : celle de l’exclusion. Et loin d’apporter grandeur, richesse et beauté, l’exclusion provoque la lâcheté, l’étroitesse et la brutalité. Loin de donner de la noblesse à l’esprit, ils lui apportent la mesquinerie.

Les racines de nos peuples, les racines de l’Europe se sont consolidées au cours de son histoire du fait qu’elle a appris à intégrer dans une synthèse toujours neuve les cultures les plus diverses et sans lien apparent entre elles. L’identité européenne est, et a toujours été, une identité dynamique et multiculturelle.

L’activité politique sait qu’elle a entre les mains cette tâche fondamentale et urgente. Nous savons que « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci », par conséquent, on devra toujours travailler pour « élargir le regard pour reconnaître un bien plus grand qui sera bénéfique à tous » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 235). Nous sommes invités à promouvoir une intégration qui trouve dans la solidarité la manière de faire les choses, la manière de construire l’histoire. Une solidarité qui ne peut jamais se confondre avec l’aumône, mais comme la création d’opportunités pour que tous les habitants de nos villes – et de tant d’autres villes – puissent mener leur vie avec dignité. Le temps nous enseigne que la seule insertion géographique des personnes ne suffit pas, mais que le défi est celui d’une forte intégration culturelle.

Ainsi, la communauté des peuples européens pourra vaincre la tentation de se replier sur des paradigmes unilatéraux et de s’aventurer dans des ‘‘colonisations idéologiques’’ ; elle redécouvrira plutôt la grandeur de l’âme européenne, née de la rencontre de civilisations et de peuples, plus vaste que les frontières actuelles de l’Union et appelée à devenir un modèle de nouvelles synthèses et de dialogue. Le visage de l’Europe ne se distingue pas, en effet, par l’opposition aux autres, mais par le fait de porter imprimés les traits de diverses cultures et la beauté de vaincre les fermetures. Sans cette capacité d’intégration, les paroles prononcées par Konrad Adenauer dans le passé résonneront aujourd’hui comme une prophétie de l’avenir : « L’avenir de l’Occident n’est pas tant menacé par la tension politique que par le danger de la massification, de l’uniformité de pensée et de sentiment ; bref, par tout le système de vie, de la fuite de responsabilité, avec l’unique préoccupation de son propre moi »[6].

Capacité de dialogue

S’il y a un mot que nous devrions répéter sans jamais nous lasser, c’est celui-ci : dialogue. Nous sommes invités à promouvoir une culture du dialogue en cherchant par tous les moyens à ouvrir des instances afin qu’il soit possible et que cela nous permette de reconstruire le tissu social. La culture du dialogue implique un apprentissage authentique, une ascèse qui nous aide à reconnaître l’autre comme un interlocuteur valable ; qui nous permette de regarder l’étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à écouter, considéré et apprécié. Il est urgent pour nous aujourd’hui d’impliquer tous les acteurs sociaux dans la promotion d’« une culture qui privilégie le dialogue comme forme de rencontre », en promouvant « la recherche de consensus et d’accords, mais sans la séparer de la préoccupation d’une société juste, capable de mémoire, et sans exclusions » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 239). La paix sera durable dans la mesure où nous armons nos enfants des armes du dialogue, dans la mesure où nous leur enseignons le bon combat de la rencontre et de la négociation. Ainsi, nous pourrons leur laisser en héritage une culture qui sait définir des stratégies non pas de mort mais de vie, non pas d’exclusion mais d’intégration.

Cette culture du dialogue, qui devrait être insérée dans tous les cursus scolaires comme axe transversal des disciplines, aidera à inculquer aux jeunes générations une manière de résoudre les conflits différente de celle à laquelle nous nous habituons. Aujourd’hui, il est urgent de pouvoir réaliser des ‘‘coalitions’’ non plus uniquement militaires ou économiques mais culturelles, éducatives, philosophiques, religieuses. Des coalitions qui mettent en évidence que, derrière beaucoup de conflits, le pouvoir de groupes économiques est souvent en jeu. Des coalitions capables de défendre le peuple de l’utilisation qu’on fait de lui à des fins impropres. Armons nos gens de la culture du dialogue et de la rencontre.

Capacité de générer

Le dialogue, et tout qu’il comporte, nous rappelle que personne ne peut se contenter d’être spectateur ni simple observateur. Tous, du plus petit au plus grand, sont des acteurs de la construction d’une société intégrée et réconciliée. Cette culture est possible si nous participons tous à son élaboration et à sa construction. La situation actuelle n’admet pas de simples observateurs des luttes d’autrui. Au contraire, c’est un appel fort à la responsabilité personnelle et sociale.

En ce sens, nos jeunes ont un rôle prépondérant. Ils ne constituent pas l’avenir de nos peuples, mais ils sont le présent ; ils sont ceux qui, déjà par leurs rêves, par leur vie, sont en train de forger l’esprit européen. Nous ne pouvons pas penser l’avenir sans leur offrir une réelle participation comme agents de changement et de transformation. Nous ne pouvons pas imaginer l’Europe sans les rendre participants et protagonistes de ce rêve.

Ces derniers temps, j’ai réfléchi à cet aspect et je me suis demandé : comment pouvons-nous faire participer nos jeunes à cette construction lorsque nous les privons de travail ; de travaux dignes qui leur permettent de se développer grâce à leurs mains, grâce à leur intelligence et à leur énergie ? Comment voulons-nous leur reconnaître la valeur de protagonistes, lorsque les taux de chômage et de sous-emploi de millions de jeunes européens sont en augmentation ? Comment éviter de perdre nos jeunes, qui finissent par aller ailleurs à la recherche d’idéaux et de sens d’appartenance parce qu’ici, sur leur terre, nous ne savons pas leur offrir des opportunités et des valeurs ?

« La juste distribution des fruits de la terre et du travail humain n’est pas de la pure philanthropie. C’est un devoir moral »[7]. Si nous voulons penser nos sociétés d’une manière différente, nous avons besoin de créer des postes d’un travail digne et bien rémunéré, surtout pour nos jeunes.

Cela demande la recherche de nouveaux modèles économiques plus inclusifs et équitables, non orientés vers le service d’un petit nombre, mais au bénéfice des gens et de la société. Et cela nous demande le passage d’une économie liquide à une économie sociale. Je pense par exemple à l’économie sociale de marché, encouragée par mes Prédécesseurs (cf. Jean-Paul II, Discours à l’Ambassadeur de la République Fédérale d’Allemagne, 8 novembre 1990). Passer d’une économie, qui vise au revenu et au profit sur la base de la spéculation et du prêt à intérêt, à une économie sociale qui investit dans les personnes en créant des postes de travail et de la qualification.

Nous devons passer d’une économie liquide, qui tend à favoriser la corruption comme moyen pour obtenir des profits, à une économie sociale qui garantit l’accès à la terre, au toit grâce au travail comme milieu où les personnes et les communautés peuvent mettre en jeu « plusieurs dimensions de la vie […] : la créativité, la projection vers l’avenir, le développement des capacités, la mise en pratique de valeurs, la communication avec les autres, une attitude d’adoration. C’est pourquoi, dans la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des entreprises et d’une rationalité économique discutable, il est nécessaire que ‘‘l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail…pour tous ”[8]» (Enc. Laudato si’, n. 127).

Si nous voulons envisager un avenir qui soit digne, si nous voulons un avenir de paix pour nos sociétés, nous pourrons l’atteindre uniquement en misant sur la vraie inclusion : « celle qui donne le travail digne, libre, créatif, participatif et solidaire ».[9] Ce passage (d’une économie liquide à une économie sociale) non seulement donnera de nouvelles perspectives et opportunités concrètes d’intégration et d’inclusion, mais aussi nous ouvrira de nouveau la capacité de rêver de cet humanisme dont l’Europe a été le berceau et la source.

L’Église peut et doit contribuer à la renaissance d’une Europe affaiblie, mais encore dotée d’énergie et de potentialités. Son devoir coïncide avec sa mission : l’annonce de l’Évangile, qui aujourd’hui plus que jamais se traduit surtout par le fait d’aller à la rencontre des blessures de l’homme, en portant la présence forte et simple de Jésus, sa miséricorde consolante et encourageante. Dieu désire habiter parmi les hommes, mais il ne peut le faire qu’à travers des hommes et des femmes qui, comme les grands évangélisateurs du continent, soient touchés par lui et vivent l’Évangile, sans chercher autre chose. Seule une Église riche de témoins pourra redonner l’eau pure de l’Évangile aux racines de l’Europe. En cela, le chemin des chrétiens vers la pleine unité est un grand signe des temps, mais aussi l’exigence pressante de répondre à l’appel du Seigneur « pour que tous soient un » (Jn 17, 21).

Avec l’esprit et avec le cœur, avec espérance et sans vaine nostalgie, comme un fils qui retrouve dans la mère Europe ses racines de vie et de foi, je rêve d’un nouvel humanisme européen, d’« un chemin constant d’humanisation », requérant « la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine »[10]. Je rêve d’une Europe jeune, capable d’être encore mère : une mère qui ait de la vie, parce qu’elle respecte la vie et offre l’espérance de vie. Je rêve d’une Europe qui prend soin de l’enfant, qui secourt comme un frère le pauvre et celui qui arrive en recherche d’accueil parce qu’il n’a plus rien et demande un refuge. Je rêve d’une Europe qui écoute et valorise les personnes malades et âgées, pour qu’elles ne soient pas réduites à des objets de rejet improductifs. Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. Je rêve d’une Europe où les jeunes respirent l’air pur de l’honnêteté, aiment la beauté de la culture et d’une vie simple, non polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème du fait du manque d’un travail suffisamment stable. Je rêve d’une Europe des familles, avec des politiques vraiment effectives, centrées sur les visages plus que sur les chiffres, sur les naissances d’enfants plus que sur l’augmentation des biens. Je rêve d’une Europe qui promeut et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous. Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie. Merci.

[1] Discours au Parlement européen, Strasbourg, 25 novembre 2014.

[2] Ibid.

[3] Déclaration du 9 mai 1950, Salon de l’Horloge, Quai d’Orsay, Paris.

[4] Ibid.

[5] Discours à la Conférence Parlementaire Européenne, Paris, 21 avril 1954.

[6] Discours à l’Assemblée des artisans allemands, Düsseldorf, 27 avril 1952.

[7] Discours aux mouvements populaires en Bolivie, Santa Cruz de la Sierra, 9 juillet 2015.

[8] Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 32 : AAS 101 (2009), p. 666.

[9] Discours aux mouvements populaires en Bolivie, Santa Cruz de la Sierra, 9 juillet 2015.

[10] Discours au Conseil d’Europe, Strasbourg, 25 novembre 2014.




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Pope: Europe Needs Capacity to Integrate, Dialogue, Generate

Upon receiving Charlemagne Prize, Pontiff speaks of his dream for Europe


Le pape François reçoit le Prix Charlemagne des mains de Marcel Philipp et Jürgen Linden, L'Osservatore Romano


“A Europe capable of giving birth to a new humanism based on three capacities: the capacity to integrate, the capacity for dialogue and the capacity to generate” is what Pope Francis says he is hoping for. He made this remark today upon receiving the Charlemagne Prize, awarded by the foundation of the same name to those who distinguish themselves throughout the year for their work in favour of integration and union in Europe.

On 23 December 2015, in Aachen, Germany, it was announced by the executive committee that in 2016 the prize would be awarded to Pope Francis for the message of peace and understanding promoted during his papacy. On this occasion the jury affirmed, “In these times, in which many European citizens are seeking guidance, the Holy Father gives a message of love and encouragement.”

The ceremony, which was attended by major European figures such as King Felipe VI of Spain; the Grand-duke of Luxembourg, Henri of Orange-Nassau; the German chancellor Angela Merkel; the Italian prime minister Matteo Renzi; and the president of Lithuania, Dalia Grybauskaite, began with the “laudatio” pronounced by Martin Schulz, president of the European Parliament; Donald Tusk, president of the European Council and Jean-Claude Juncker, president of the European Commission.

In the Sala Ducale the choir of the Cathedral of Aachen performed four pieces: at the beginning of the event, before and after the Pope’s address, and at the end. Speeches were also made by the mayor of Aachen, Marcel Philipp and the president of the Charlemagne Foundation, Jürgen Linden, who read the reasons for the jury’s decision. The ceremony was attended by more than five hundred people, including previous prizewinners Andrea Riccardi, president of the Sant’Egidio Community, and Mario Draghi, president of the European Central Bank.

In his address, the Pope emphasises that European identity is and has always been dynamic and multicultural, and he encourages the “arming” of the young with the culture of dialogue and encounter to create “coalitions”, not only military and economic, but also cultural, educational, philosophical and religious.

He also evoked Europe’s founding fathers, who “were prepared to pursue alternative and innovative paths in a world scarred by war. Not only did they boldly conceive the idea of Europe, but they dared to change radically the models that had led only to violence and destruction”, daring to to seek multilateral solutions to increasingly shared problems.

He also reaffirmed that the Church can and must support the rebirth of a Europe that is weary but also still rich in energies and possibilities, as “her task is one with her mission: the proclamation of the Gospel, which today more than ever finds expression in going forth to bind the wounds of humanity with the powerful yet simple presence of Jesus, and His mercy that consoles and encourages”.

***

Distinguished Ladies and Gentlemen,
I offer you a cordial welcome and I thank you for your presence. I am particularly grateful to Messrs Marcel Philipp, Jürgen Linden, Martin Schulz, Jean-Claude Juncker and Donald Tusk for their kind words. I would like to reiterate my intention to offer this prestigious award for Europe. For ours is not so much a celebration as a moment to express our shared hope for a new and courageous step forward for this beloved continent.

Creativity, genius and a capacity for rebirth and renewal are part of the soul of Europe. In the last century, Europe bore witness to humanity that a new beginning was indeed possible. After years of tragic conflicts, culminating in the most horrific war ever known, there emerged, by God’s grace, something completely new in human history. The ashes of the ruins could not extinguish the ardent hope and the quest of solidarity that inspired the founders of the European project. They laid the foundations for a bastion of peace, an edifice made up of states united not by force but by free commitment to the common good and a definitive end to confrontation. Europe, so long divided, finally found its true self and began to build its house.

This “family of peoples”,1 which has commendably expanded in the meantime, seems of late to feel less at home within the walls of the common home. At times, those walls themselves have been built in a way varying from the insightful plans left by the original builders. Their new and exciting desire to create unity seems to be fading; we, the heirs of their dream, are tempted to yield to our own selfish interests and to consider putting up fences here and there. Nonetheless, I am convinced that resignation and weariness do not belong to the soul of Europe, and that even “our problems can become powerful forces for unity”.2

In addressing the European Parliament, I used the image of Europe as a grandmother. I noted that there is a growing impression that Europe is weary, aging, no longer fertile and vital, that the great ideals that inspired Europe seem to have lost their appeal. There is an impression that Europe is declining, that it has lost its ability to be innovative and creative, and that it is more concerned with preserving and dominating spaces than with generating processes of inclusion and change. There is an impression that Europe is tending to become increasingly “entrenched”, rather than open to initiating new social processes capable of engaging all individuals and groups in the search for new and productive solutions to current problems. Europe, rather than protecting spaces, is called to be a mother who generates processes (cf. Apostolic Exhortation Evangelii Gaudium, 223).

What has happened to you, the Europe of humanism, the champion of human rights, democracy and freedom? What has happened to you, Europe, the home of poets, philosophers, artists, musicians, and men and women of letters? What has happened to you, Europe, the mother of peoples and nations, the mother of great men and women who upheld, and even sacrificed their lives for, the dignity of their brothers and sisters?

The writer Elie Wiesel, a survivor of the Nazi death camps, has said that what we need today is a “memory transfusion”. We need to “remember”, to take a step back from the present to listen to the voice of our forebears. Remembering will help us not to repeat our past mistakes (cf. Evangelii Gaudium, 108), but also to re-appropriate those experiences that enabled our peoples to surmount the crises of the past. A memory transfusion can free us from today’s temptation to build hastily on the shifting sands of immediate results, which may produce “quick and easy short-term political gains, but do not enhance human fulfilment” (ibid., 224).

To this end, we would do well to turn to the founding fathers of Europe. They were prepared to pursue alternative and innovative paths in a world scarred by war. Not only did they boldly conceive the idea of Europe, but they dared to change radically the models that had led only to violence and destruction. They dared to seek multilateral solutions to increasingly shared problems.

Robert Schuman, at the very birth of the first European community, stated that “Europe will not be made all at once, or according to a single plan. It will be built through concrete achievements which first create a de facto solidarity”.3 Today, in our own world, marked by so much conflict and suffering, there is a need to return to the same de facto solidarity and concrete generosity that followed the Second World War, because, as Schuman noted, “world peace cannot be safeguarded without making creative efforts proportionate to the dangers threatening it”.4 The founding fathers were heralds of peace and prophets of the future. Today more than ever, their vision inspires us to build bridges and tear down walls. That vision urges us not to be content with cosmetic retouches or convoluted compromises aimed at correcting this or that treaty, but courageously to lay new and solid foundations. As Alcide De Gasperi stated, “equally inspired by concern for the common good of our European homeland”, all are called to embark fearlessly on a “construction project that demands our full quota of patience and our ongoing cooperation”.5

Such a “memory transfusion” can enable us to draw inspiration from the past in order to confront with courage the complex multipolar framework of our own day and to take up with determination the challenge of “updating” the idea of Europe. A Europe capable of giving birth to a new humanism based on three capacities: the capacity to integrate, the capacity for dialogue and the capacity to generate.

The capacity to integrate
Erich Przywara, in his splendid work Idee Europa [The Idea of Europe], challenges us to think of the city as a place where various instances and levels coexist. He was familiar with the reductionist tendency inherent in every attempt to rethink the social fabric. Many of our cities are remarkably beautiful precisely because they have managed to preserve over time traces of different ages, nations, styles and visions. We need but look at the inestimable cultural patrimony of Rome to realize that the richness and worth of a people is grounded in its ability to combine all these levels in a healthy coexistence. Forms of reductionism and attempts at uniformity, far from generating value, condemn our peoples to a cruel poverty: the poverty of exclusion. Far from bestowing grandeur, riches and beauty, exclusion leads to vulgarity, narrowness, and cruelty. Far from bestowing nobility of spirit, it brings meanness.

The roots of our peoples, the roots of Europe, were consolidated down the centuries by the constant need to integrate in new syntheses the most varied and discrete cultures. The identity of Europe is, and always has been, a dynamic and multicultural identity.

Political activity cannot fail to see the urgency of this fundamental task. We know that “the whole is greater than the part, but it is also greater than the sum of the parts”, and this requires that we work to “broaden our horizons and see the greater good which will benefit us all” (Evangelii Gaudium, 235). We are asked to promote an integration that finds in solidarity a way of acting, a means of making history. Solidarity should never be confused with charitable assistance, but understood as a means of creating opportunities for all the inhabitants of our cities – and of so many other cities – to live with dignity. Time is teaching us that it is not enough simply to settle individuals geographically: the challenge is that of a profound cultural integration.

The community of European peoples will thus be able to overcome the temptation of falling back on unilateral paradigms and opting for forms of “ideological colonization”. Instead, it will rediscover the breadth of the European soul, born of the encounter of civilizations and peoples. The soul of Europe is in fact greater than the present borders of the Union and is called to become a model of new syntheses and of dialogue. The true face of Europe is seen not in confrontation, but in the richness of its various cultures and the beauty of its commitment to openness. Without this capacity for integration, the words once spoken by Konrad Adenauer will prove prophetic: “the future of the West is not threatened as much by political tensions as by the danger of conformism, uniformity of thoughts and feelings: in a word, by the whole system of life, by flight from responsibility, with concern only for oneself.”6

The capacity for dialogue
If there is one word that we should never tire of repeating, it is this: dialogue. We are called to promote a culture of dialogue by every possible means and thus to rebuild the fabric of society. The culture of dialogue entails a true apprenticeship and a discipline that enables us to view others as valid dialogue partners, to respect the foreigner, the immigrant and people from different cultures as worthy of being listened to. Today we urgently need to engage all the members of society in building “a culture which privileges dialogue as a form of encounter” and in creating “a means for building consensus and agreement while seeking the goal of a just, responsive and inclusive society” (Evangelii Gaudium, 239). Peace will be lasting in the measure that we arm our children with the weapons of dialogue, that we teach them to fight the good fight of encounter and negotiation. In this way, we will bequeath to them a culture capable of devising strategies of life, not death, and of inclusion, not exclusion.

This culture of dialogue should be an integral part of the education imparted in our schools, cutting across disciplinary lines and helping to give young people the tools needed to settle conflicts differently than we are accustomed to do. Today we urgently need to build “coalitions” that are not only military and economic, but cultural, educational, philosophical and religious. Coalitions that can make clear that, behind many conflicts, there is often in play the power of economic groups. Coalitions capable of defending people from being exploited for improper ends. Let us arm our people with the culture of dialogue and encounter.

The capacity to generate
Dialogue, with all that it entails, reminds us that no one can remain a mere onlooker or bystander. Everyone, from the smallest to the greatest, has an active role to play in the creation of an integrated and reconciled society. This culture of dialogue can come about only if all of us take part in planning and building it. The present situation does not permit anyone to stand by and watch other people’s struggles. On the contrary, it is a forceful summons to personal and social responsibility.

In this sense, our young people have a critical role. They are not the future of our peoples; they are the present. Even now, with their dreams and their lives they are forging the spirit of Europe. We cannot look to the future without offering them the real possibility to be catalysts of change and transformation. We cannot envision Europe without letting them be participants and protagonists in this dream.

Lately I have given much thought to this. I ask myself: How we can involve our young people in this building project if we fail to offer them employment, dignified labour that lets them grow and develop through their handiwork, their intelligence and their abilities? How can we tell them that they are protagonists, when the levels of employment and underemployment of millions of young Europeans are continually rising? How can we avoid losing our young people, who end up going elsewhere in search of their dreams and a sense of belonging, because here, in their own countries, we don’t know how to offer them opportunities and values?

The just distribution of the fruits of the earth and human labour is not mere philanthropy. It is a moral obligation.7 If we want to rethink our society, we need to create dignified and well-paying jobs, especially for our young people.

To do so requires coming up with new, more inclusive and equitable economic models, aimed not at serving the few, but at benefiting ordinary people and society as a whole. This calls for moving from a liquid economy to a social economy; I think for example of the social market economy encouraged by my predecessors (cf. JOHN PAUL II, Address to the Ambassador of the Federal Republic of Germany, 8 November 1990). It would involve passing from an economy directed at revenue, profiting from speculation and lending at interest, to a social economy that invests in persons by creating jobs and providing training.

We need to move from a liquid economy prepared to use corruption as a means of obtaining profits to a social economy that guarantees access to land and lodging through labour. Labour is in fact the setting in which individuals and communities bring into play “many aspects of life: creativity, planning for the future, developing talents, living out values, relating to others, giving glory to God. It follows that, in the reality of today’s global society, it is essential that we ‘continue to prioritize the role of access to steady employment for everyone, no matter the limited interests of business and dubious economic reasoning’8” (Encyclical Laudato Si’, 127).

If we want a dignified future, a future of peace for our societies, we will only be able to achieve it by working for genuine inclusion, “an inclusion which provides worthy, free, creative, participatory and solidary work”.9 This passage (from a liquid economy to a social economy) will not only offer new prospects and concrete opportunities for integration and inclusion, but will makes us once more capable of envisaging that humanism of which Europe has been the cradle and wellspring.

To the rebirth of a Europe weary, yet still rich in energies and possibilities, the Church can and must play her part. Her task is one with her mission: the proclamation of the Gospel, which today more than ever finds expression in going forth to bind the wounds of humanity with the powerful yet simple presence of Jesus, and his mercy that consoles and encourages. God desires to dwell in our midst, but he can only do so through men and women who, like the great evangelizers of this continent, have been touched by him and live for the Gospel, seeking nothing else. Only a Church rich in witnesses will be able to bring back the pure water of the Gospel to the roots of Europe. In this enterprise, the path of Christians towards full unity is a great sign of the times and a response to the Lord’s prayer “that they may all be one” (Jn 17:21).

With mind and heart, with hope and without vain nostalgia, like a son who rediscovers in Mother Europe his roots of life and faith, I dream of a new European humanism, one that involves “a constant work of humanization” and calls for “memory, courage, [and] a sound and humane utopian vision”.10 I dream of a Europe that is young, still capable of being a mother: a mother who has life because she respects life and offers hope for life. I dream of a Europe that cares for children, that offers fraternal help to the poor and those newcomers seeking acceptance because they have lost everything and need shelter. I dream of a Europe that is attentive to and concerned for the infirm and the elderly, lest they be simply set aside as useless. I dream of a Europe where being a migrant is not a crime but a summons to greater commitment on behalf of the dignity of every human being. I dream of a Europe where young people breathe the pure air of honesty, where they love the beauty of a culture and a simple life undefiled by the insatiable needs of consumerism, where getting married and having children is a responsibility and a great joy, not a problem due to the lack of stable employment. I dream of a Europe of families, with truly effective policies concentrated on faces rather than numbers, on birth rates more than rates of consumption. I dream of a Europe that promotes and protects the rights of everyone, without neglecting its duties towards all. I dream of a Europe of which it will not be said that its commitment to human rights was its last utopia.

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[1] Address to the European Parliament, Strasbourg, 25 November 2014.

2 Ibid.

3 Declaration of 9 May 1950, Salon de l’Horloge, Quai d’Orsay, Paris

4 Ibid.

5 Address to the European Parliamentary Conference, Paris, 21 April 1954.

6 Address to the Assembly of German Artesans, Düsseldorf, 27 April 1952.

7 Address to Popular Movements in Bolivia, Santa Cruz de la Sierra, 9 July 2015.

8 BENEDICT XVI, Encyclical Letter Caritas in Veritate (29 June 2009), 32: AAS 101 (2009), 666.

9 Address to Popular Movements in Bolivia, Santa Cruz de la Sierra, 9 July 2015.

10 Address to the Council of Europe, Strasbourg, 25 November 2014.
[00735-EN.01] [Original text: Italian]