L’Eglise en Europe peut apprendre beaucoup de l’Eglise africaine


Entretien avec le président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe

ROME, Vendredi 30 octobre 2009 (ZENIT.org) - Parmi les participants au synode des évêques pour l'Afrique, clôturé dimanche dernier par Benoît XVI, se trouvait également le cardinal Péter Erdö, archevêque d'Esztergom-Budapest, qui a participé aux travaux de l'assemblée en qualité de président du Conseil des Conférences épiscopales d'Europe (CCEE).

Une occasion privilégiée, reconnaît le cardinal Erdö dans cet entretien à ZENIT, dont nous publions la première partie, où il retrace la situation de l'Eglise en Afrique et explique ce que l'Europe peut apprendre de ce continent.

ZENIT - Le synode pour l'Afrique qui est passé presque inaperçu dans les médias internationaux est terminé. Comment résumeriez-vous les résultats de ces trois semaines de travaux?

Card. Erdö - Les résultats sont en partie déjà dans le message final qui constitue un résumé des travaux, des interventions et des préoccupations du synode. Ils figurent aussi certainement dans les propositions que le synode a transmises au Saint-Père dans l'espoir que d'ici quelques années nous aurons une exhortation apostolique post-synodale. Les résultats sont et seront bien sûr destinés à l'Afrique mais aussi à l'Eglise universelle.

Ce n'est pas un hasard si tous les continents, tous les catholiques de chaque continent, étaient représentés au synode car les problèmes traités ici ont toujours une portée universelle ou si on veut une portée mondiale. Pour citer un exemple, le système économique financier ou le marché des matières premières crée un lien entre le monde riche et l'Afrique, le monde riche et l'Asie et ainsi de suite. Mais le phénomène de l'émigration est un autre domaine qui, d'une part, touche les pays africains d'où partent tant d'intellectuels, beaucoup de pauvres et de personnes persécutées - tout cela comme conséquence des effets brutaux de la politique internationale et de l'économie mondiale - et qui, de l'autre, soulève une question d'ordre humanitaire pour les immigrés qui se rendent dans les pays occidentaux.

Naturellement il existe aussi un aspect interecclésial de tout cela, comme l'indique le thème du synode. L'Eglise considère en effet que le propre de sa mission est de promouvoir la réconciliation, la justice et la paix et pas seulement en Afrique. Car désormais, la justice dans une région ne saurait être séparée du juste comportement de tant d'autres pays.

Et puis il y a l'aspect pastoral qui entre lui aussi en jeu dans les éléments de connexion entre le Synode et le monde, car dans les pays où il y a des immigrés provenant d'Afrique, dont beaucoup de catholiques, il est clair qu'il faut des prêtres en mesure de les accompagner.

Et puis il y a naturellement aussi la question des vocations, des projets pastoraux et culturels. Donc, parmi les résultats du synode, nous trouvons aussi de claires indications sur certaines tâches qui demandent des efforts spéciaux de la part des Eglises du monde riche, du monde occidental, pas seulement de l'Eglise en Afrique.

L'on peut dire aussi que l'aspect pastoral appartient aux éléments qui lient le synode au monde, parce que dans les pays ou se trouvent des immigrés provenant de l'Afrique, parmi lesquels de nombreux catholiques, la présence de prêtres en mesure de les accompagner pastoralement est aussi juste et nécessaire. Naturellement est également liée à tout cela, la question des vocations, tout comme celle des projets culturels et pastoraux. Ainsi, parmi les résultats du synode nous trouvons aussi des indications claires de certains devoirs qui demandent un effort particulier de la part de l'Eglise et du monde riche, du monde occidental, pas seulement de l'Eglise en Afrique.

ZENIT - Quinze ans après le premier synode spécial pour l'Afrique comment a changé la situation sur le continent?

Card. Erdo - Tout d'abord, au niveau de la sécurité, de la démocratie, de l'économie, la situation ne s'est pas améliorée, bien au contraire. En plusieurs endroits elle a même empiré. Beaucoup ont pris acte de la dégradation de l'instruction publique, de la santé, dans plusieurs régions du continent. Certains pays vivent parfois sous la menace d'une profonde corruption, d'une violence non seulement politique mais de nature économique, qui vient parfois de l'extérieur, rendant très difficile, voire impossible, la vie des pauvres gens.

Cela dit, il y a des développements positifs. Certains pays africains ont réussi à résoudre le problème de la faim, qui est un pas en avant très significatif ; d'autres, hélas, ne savent pas encore comment sortir de ce problème. Pour ce qui est du nombre des diocèses, des évêques, des prêtres et des communautés religieuses, l'Eglise africaine, ces 15 dernières années, a considérablement grandi. C'est un signe de la grâce divine.

Nous pouvons dire aussi que l'Eglise africaine est une Eglise missionnaire, une Eglise pleine d'énergie et naturellement, il existe dans cette jeune Eglise, des problèmes pastoraux de longue date et dont l'histoire de l'Eglise des autres continents aussi n'est pas exempte, notamment en ce qui concerne la sorcellerie, le problème des superstitions, la question de la transmission claire de la foi, mais aussi les traditions populaires, tribales qui, d'un certain côté, méritent considération, doivent être reconnues aussi au sein de la vie ecclésiale, parce qu'elles fournissent des modèles, qui peuvent être acceptés à la lumière de l'Evangile et acquérir plus de sens, comme par exemple les cérémonies de réconciliation entre les divers groupes.

Mais,d'un autre côté, il existe des pratiques et des traditions qui doivent être surmontées ou éclairées par la foi. Il y a des aspects des situations sociales de la femme dans le cadre de la polygamie ou des traditions tribales qui ne sont pas soutenables ni dans une perspective chrétienne ni au plan de la dignité humaine qui doit être la même pour tous. Là aussi, la situation varie beaucoup selon les pays du continent.

Une valeur traditionnelle que l'on doit absolument prendre en compte et qui constitue le cœur de la théologie africaine est la famille. La famille africaine et la famille comme modèle aussi de la théologie de l'Eglise, modèle de l'ecclésiologie : l'Eglise-famille de Dieu était, au premier synode, un thème central, et il est réapparu durant ce synode. C'est pourquoi il est important que des théologies importées d'autres régions du monde ne détruisent pas la famille, que l'on n'introduise pas dans la législation des changements qui vont contre la famille.

ZENIT - Du point de vue du CCEE dans quels domaines peut-il y avoir collaboration entre les deux continents?

Card. Erdo - Il existe depuis de longues années une collaboration institutionnelle avec le SCEAM (Symposium des Conférences épiscopales d'Afrique et de Madagascar). Nous avons une commission mixte qui organise le travail en commun, où les conférences qui se répètent presque chaque année, constituent le temps fort. Dernièrement, on a développé une alternance au niveau du lieu de ces rencontres : une fois en Afrique et une fois en Europe. Par exemple nous avons traité les thèmes de l'esclavage, de l'émigration - qui sont des problèmes liés -, et des prêtres fidei donum, que l'on envoie d'un diocèse à l'autre pour travailler dans le domaine pastoral.

Beaucoup de prêtres africains vivent en Europe mais ils n'ont pas tous un contrat ou une situation qui serait le fruit d'un arrangement entre les deux diocèses, garantissant au prêtre sur place, d'un côté une insertion, et une intégration dans la vie du diocèse où il se trouve, et de l'autre une sécurité juridique, une assistance sanitaire etc. Bien sûr, il est vrai que l'on trouve beaucoup de prêtres qui ont fui leur patrie pour des raisons politiques, mais il y en a aussi qui restent en Europe pour continuer leurs études ou pour un suivi médical. Il est donc nécessaire que les évêques tiennent compte des situations de tous ces prêtres et qu'ils les suivent.

Et puis il est important aussi, par exemple, que les novices, ou bien ceux qui se préparent à la vocation religieuse ne quittent pas trop vite leur patrie avant d'avoir fini leur formation, car durant leur formation dans un autre milieu culturel beaucoup perdent cette vocation ou découvrent qu'ils ne l'ont pas, ou encore, selon l'ordre religieux, ne sont pas adaptés à ce type de vie. Ils sont alors renvoyés de l'institut religieux et se retrouvent dans une société très froide, peu ou pas accueillante. Mais dans le même temps, ils ne rentrent pas chez eux. De telles situations sont donc vraiment à éviter. Nos frères africains proposent que la première partie de la formation ait lieu obligatoirement en Afrique.

Il existe aussi des collaborations dans le domaine de la science, de la théologie et de l'éducation. En Afrique sont nés de nombreux centres de recherche et de formation et de nombreuses universités catholiques. Dans ce domaine aussi nous enregistrons un développement très positif.

ZENIT - Quelle est l'importance de ce synode pour l'Afrique pour les évêques européens?

Card. Erdo - Tout d'abord, nous voyons bien que ce synode nous concerne aussi. Il nous aide à comprendre la fonction du monde occidental dans la vie humaine. Il nous fait mieux voir notre responsabilité et notre faiblesse. Notre responsabilité vis-à-vis des politiques, vis-à-vis de ceux qui prennent des décisions dans le domaine de la vie économique afin que nous puissions procéder de manière responsable également à l'étranger en ce qui concerne, par exemple, les biens naturels, à commencer par les forêts, jusqu'aux matières premières qui sont extraites et exportées d'Afrique.

Le développement de l'agriculture aussi est un grand défi car en Afrique il y a beaucoup de pauvres et beaucoup de personnes qui ont faim, qui vivent pratiquement au-dessous du seuil de survie. Il faut donc plus de responsabilité et plus de réalisme. Avoir un comportement idéologique ne suffit pas, de notre part aussi.

Certes nous ne devons pas imposer notre aide mais nous devons toujours procéder en communion avec l'Eglise locale et sans faire abstraction d'elle ou créer des projets qui n'ont rien à voir avec la vie des chrétiens de cette Eglise.

ZENIT - Qu'est ce que l'Eglise africaine peut apporter à l'Eglise en Europe?

Card. Erdo - Beaucoup. Elle peut lui apprendre à avoir une grande élasticité et énergie, une intensité dans sa vie religieuse, et aussi parfois dans la liturgie. Elle peut lui apporter cette grande capacité à travailler dans des circonstances difficiles. Elle peut aussi lui apprendre l'humilité et la fidélité de tous ceux qui sont persécutés pour la foi chrétienne ; elle peut lui apporter une vision chrétienne éclairée par la foi car, justement en cas de conflits ethniques, nationaux, raciaux, il y a ces témoins de l'Evangile qui ont le courage de dire aux soldats qui tuent : vous êtes vous aussi des chrétiens. Et les soldats répondent : oui, nous sommes chrétiens mais avant d'être chrétiens nous appartenons à une ethnie. Et il y a des chrétiens qui disent : ceci n'est pas juste. Nous devons réfléchir aussi sur nos sentiments en Europe, là où parfois les appartenances humaines paraissent occuper chez beaucoup de chrétiens la première place. Donc, oui à l'identité culturelle mais non à l'idolâtrie de la race et de la nation car nous restons quoiqu'il en soit des frères et sœurs, fils du même Dieu. Ce sentiment familial s'exprime aussi très bien dans la théologie africaine.

Propos recueillis par Viktoria Somogyi