Témoignages

À Bry, Xavier Boinot, 60 ans de serment

Professeur, provincial
conseiller d’un cardinal,
...missionnaire des pauvres


Xavier Boinot


Dès le départ, ma vie a rencontré l’échec : l’arrêt pour maladie au début de la 2e année, mais c’était pour une vraie grâce : le sanatorium du clergé à Thorenc où j’ai trouvé un climat spirituel inoubliable et de grandes amitiés.

Lorsque je peux revenir, prêtre, après des années heureuses au Séminaire Universitaire d’Angers, c’est le noviciat à Tournus avec le Père Cuche, un homme assez rude, mais que l’âge a adouci. Maintenant il vit tellement ce qu’il enseigne qu’il ne peut parler de l’Eucharistie ou de la Vierge Marie sans pleurer !

Ma première mission, c’est St Laurent d’Olt et c’est là que je prononce mon serment au moment où la partie dynamique du séminaire (professeurs et étudiants) est partie fonder Bonnelles. Hélas ! Pour nous qui restions, ce n’était pas la grande joie, dans une maison qui était déjà condamnée !

Ainsi va la vie qui va me ramener à Kerlois (1947) où je trouve une toute autre ambiance. Je suis plus à l’aise avec les jeunes de 20 ans qu’avec les enfants. Mais je dois reconnaître que je ne suis nullement préparé à cet enseignement, pas plus qu’à l’accompagnement spirituel. Ce n’est donc pas une réussite. Heureux ceux qui viendront par la suite et qui auront reçu une préparation adéquate à Rome ou ailleurs !

Je ne pouvais continuer à former des jeunes, sans même avoir mis les pieds en Afrique. En 1952, je suis donc envoyé à Ouagadougou. Sur le moment, j’étais heureux de rester à la Cathédrale, chargé de l’Aumônerie des scolaires.

Collège moderne, Cours normal, Centre d’apprentissage. C’est plus tard que je m’aperçois qu’il aurait fallu aller d’abord en brousse pour apprendre à connaître l’âme du jeune qui a grandi en milieu animiste ou musulman, ainsi que les problèmes qu’il rencontrera s’il est baptisé. C’est encore le problème de la préparation.

En 58, je devais rentrer en congé après six ans de présence, mais surprise! Je suis nommé supérieur de Kerlois et je n’ai qu’un mois de liberté avant de prendre mes fonctions. Cette fois je ne pars pas dans l’inconnu, je connais bien la maison et j’y trouve une bonne équipe de professeurs compétents. Débarrassé de l’enseignement de la philo, j’ai bien aimé ces sept années, non parce que j’étais responsable, mais parce que nous faisions une équipe soudée avec des jeunes professeurs: M. Lepage, J. Vanrenterghem et des moins jeunes comme C. Devriendt. J’ai aimé Kerlois comme j’aime aussi la Bretagne…

De surprise en surprise, en juin 1965, malgré toutes mes objections, je suis nommé Provincial par le Père Volker venu à Paris pour les obsèques de Mgr Durrieu. S’il avait fallu faire face seul aux problèmes (bientôt ce sera mai 68…) qu’aurais-je pu faire ? La Providence m’a donné une équipe fraternelle sur laquelle j’ai pu me reposer. Ce fut d’abord le Père Saclier, l’homme de tous les dévouements, qui fut bientôt aidé par Jean Longin. Notre entente à trois était parfaite. Et pour les problèmes économiques, nous étions sûrs de la collaboration et de la compétence de François de Gaulle.

En 72, je retrouve l’Afrique. La première expérience faite 20 ans avant, avec les erreurs d’un débutant, me permet de servir avec plus de maturité. Déjà j’avais été à la cathédrale de Ouagadougou, je m’y retrouve encore mais, seul Père Blanc, dans l’équipe sacerdotale. J’ai la chance d’avoir un curé de grande valeur : Joanny Nana, qui me fait confiance. Je suis très à l’aise avec lui. Il me fait confiance aussi.

Cardinal Paul Zoungrana, Tableau A. Ceppi)La grande chance que j‘eus alors, ce fut de devenir un collaborateur habituel du cardinal Zoungrana. Jusqu’alors, je ne l’avais rencontré qu’en passant, mais nos relations se sont vite intensifiées. Il cherchait un prêtre qui le déchargerait en assumant les tâches qu’il pourrait confier. Il attendait fidélité aux instructions reçues, rapidité et discrétion. Cela pouvait être le courrier à faire, homélies et discours à rédiger dont il donnait les idées maîtresses. Il fallait aussi l’accompagner dans ses voyages, Rome surtout. Le cardinal avait une telle délicatesse pour demander et ensuite pour remercier que c’était un plaisir de travailler pour lui.

Etait-ce une marque de confiance du cardinal que je sois nommé aumônier de la prison (MACO) ? « C’est parce que je ne suis pas africain, que je suis nommé, me dit-il, afin d’éviter des problèmes à nos confrères africains. »

Expérience intéressante, j’y trouve des officiers et des fonctionnaires victimes de la révolution. L’un ou l’autre se retrouvera plus tard parmi les bergers des groupes du Renouveau Charismatique ! Pour la 1re fois, je me trouve en dialogue avec des musulmans de haut niveau. L’un lit des livres qui l’amène à me demander des éclaircissements sur le christianisme.

Un autre, grand sportif, est heureux de trouver une occupation en lançant, avec mon aide, le sport dans la grande cour de la MACO. Ainsi la prison est humanisée, on verra même une rencontre de foot-ball entre l’équipe de la MACO et celle du ministère de la justice, sous la présidence de Thomas Sankara.


Le Président Thomas Sankara

Le Président du Faso, Thomas Sankara, me considérait comme un ami. Il proclamait qu’il voulait faire disparaître la mendicité, la prostitution, le chômage. Il sera assassiné en 87.

Il me restait une dernière expérience à faire en Afrique. Au début de 90, le cardinal souhaitait que les fonctions qui étaient les miennes, soient confiées à un africain, ce qui était bien normal. C’est alors que le Régional me convoque pour me dire qu’il m’est demandé de partir au Niger : le Père Général a promis à l’évêque de Niamey de prendre en charge la mission de Zinder, un territoire immense qui fait 840 km de Maradi à l’ouest jusqu’à Nguigmi à l’Est, à la frontière du Tchad. Je n’avais aucune envie de me lancer dans cette aventure d’autant plus que nous ne serions que deux, je serais avec Johan Miltenburg comme supérieur, un homme fort en langue et fort original. Mais puisqu’on me le demandait, c’était oui.

Territoire immense, et communauté chrétienne très restreinte, 300 chrétiens sur place, et quelques dizaines éparpillés sur notre territoire. Tout n’était pas facile pour la pastorale, les Rédemptoristes avaient des idées très larges un peu étonnantes pour nous. Nous avons cherché notre route en faisant connaissance avec nos chrétiens, pratiquement tous des gens du Sud (béninois et togolais) venus chercher fortune au Niger. Hélas, les plus connus vivaient de l’exploitation de bars douteux ! Nous passions beaucoup de temps avec le petit groupe des jeunes chrétiens, mais cela ne pouvait être le tout de la Mission de l’Église dans un pays musulman à 95 %.

Un aspect très sympathique de la vie à Zinder, c’est les rapports très simples et fraternels avec la communauté des Soeurs de l’Assomption qui résident comme nous dans l’enceinte de la Mission. Nous nous retrouvons le matin pour les Laudes etl’Eucharistie à l’église avec une poignée de chrétiens, le soir à la chapelle des Soeurs pour l’adoration et les Vêpres précédées de l’adoration. Chaque dimanche nous prenions notre repas dans une communauté ou dans l’autre…

Après le départ du Rédemptoriste qui nous laissait la charge de la mission, ce sont les Soeurs qui nous ont mis au courant de tous les aspects de la Mission. Le travail le plus remarquable était celui de Soeur Dolorès près des lépreux, refoulés à la périphérie de la ville, méprisés de la population, mais pris en charge et se sentant aimés par la mission. Soeur Dolorès s’est dépensée à longueur d’année pour mettre sur pied un petit village avec des cases convenables en dur et avec l’eau à proximité au point même de faire envie aux pauvres gens des environs

C’était aussi une Soeur, habituée du palais du Sultan dont elle soignait les femmes, qui nous a introduits chez lui après avoir parcouru humblement, les pieds nus, les couloirs du palais pour arriver jusqu’à lui.

Une communauté à deux, ce n’est pas la règle, mais elle laisse un bon souvenir quand on a un partenaire aussi attentif et prévenant que fut Johan…

Xavier Boinot, Bry