Témoignages

Philippe Lebatard, 50 ans de serment et de prêtrise

“Père blanc en Tunisie”

Né à Rouen en 1930 dans une famille chrétienne pratiquante, j’ai eu un frère et trois sœurs ; ma mère nous a quittés en 1939. Elle avait 33 ans, Elle laissait mon père seul avec ses enfants dont la dernière avait 2 ans. Une tante s’est sacrifiée pour nous et nous a consacré toute sa vie avec abnégation et dévouement. Avec mon père, elle avait fort à faire avec cette bande à laquelle s’ajoutaient quelques autres assez souvent.


En Tunisie, Philippe travaillera dans une ONG durant 3I ans et jusqu’en juin 2005. Avec cette ONG, il réalisera des projets de développement dans des zones particulièrement délaissées.

J’ai fait toutes mes études, du jardin d’enfants à la philosophie, chez les Frères des Écoles chrétiennes, au pensionnat Jean-Baptiste de la Salle, à Rouen : années agréables dans une ambiance familiale avec les Frères ; conférence St-Vincent de Paul, scoutisme.

Très jeune, je pensais devenir missionnaire ; cet appel devint de plus en plus fort vers 14 ans, et après la philosophie, au retour de vacances d’été au Maroc, j’ai frappé à la porte de plusieurs congrégations ou sociétés missionnaires (O.M.I., Spiritains, Pères Blancs) ; je suis allé faire une retraite à la grande Trappe de Soligny et j’ai décidé de rentrer chez les Pères Blancs : demande officielle et entrée le 1er septembre 1949 à Kerlois, en Bretagne. Deux années de philosophie avec les Pères Demassiet et Paul Grillou comme supérieurs et les Pères Devriendt et Boinot comme professeurs : grands congés, Hennebont, Auray, île de Groix, le Tchad.


Chapelle de Philippe en Tunisie

Années assez dures dans le froid des hivers. J’ai eu comme co-chambriste René André, décédé à Bry-sur-Marne en janvier dernier. En septembre 1951, embarquement à Marseille pour Alger et une année de noviciat à Maison-Carrée avec Pierre Grillou : temps d’épreuve et de discernement.

1952–1957, scolasticat de Thibar, puis de Carthage, avec entre deux, service militaire et rappels (Gabès, Hussein-Dey, Fès, Feriana…). 27 avril 1957, ordination sacerdotale à Carthage présidée par Mgr Mercier, évêque de Laghouat ; nous sommes 24 scolastiques, dont Raymond Gallard.

Septembre 1957, nomination aux études à Rome, Droit Canonique : deux années malgré tout sympathiques avec de nombreuses activités (aumônerie, scoutisme, paroisse). Mais je n’ai raté aucune heure de Droit Canonique !!!!!!!!

1959, nomination en Tunisie pour étudier l’arabe à l’I.P.E.A, à La Manouba : travail intensif pour essayer d’apprendre l’arabe avec quelques résultats grâce aux Pères Borrmans, Muller, Dagorn et Letellier.

1961, Centre de formation professionnelle de Thibar avec Richard Grenier et le Frère Paul Boullet (Frère Odon).

1962, Lycée agricole de Thibar avec Pierre Bonnet : surveillant général, préfet des études, professeur (français, philosophie, arabe, formation humaine), moniteur de sport…

1969-1970, Lycée d’El Menzah comme sous-directeur du lycée scientifique agricole, annexe de Thibar. Ces années avec les jeunes à Thibar ont été très riches ; vivant continuellement avec eux, des liens profonds et sont tissés au fil des années, à travers la formation humaine, le sport et les activités socioculturelles (clubs, théâtre, ciné-club, tournois sportifs, natation).

1970-1974, Centre de formation professionnelle de Thibar comme directeur, après le Père Richard Grenier (électricité-bâtiment, mécanique-auto, maçonnerie, (préapprentissage). Janvier I974, ordre de fermeture du Centre par les autorités du ministère des Affaires sociales : refus d’accepter des jeunes sans concours, mais présentés par une personnalité.

Juin 1974, recyclage en France à la rue Friant : sociologie des religions à l’Institut catholique de Paris (ISTR) ; tournée en Champagne pour l’exposition annuelle des Pères Blancs.
Septembre 1974, retour en Tunisie. Des amis tunisiens proposent aux Pères Blancs que je travaille à plein-temps comme équipier dans une O.N.G. tunisienne (S.O.E.T. qui deviendra ASDEAR (Association pour le développement et l’animation rurale). Je serai donc dans cette ONG 31 ans, jusqu’en juin 2005. Cette ONG réalise des projets de développement dans des zones éloignées et délaissées : tout ce qui concerne le développement rural et qui correspond aux besoins des populations concernées, avec leur participation (Kasserine-Sbeïtla ; Chorbane-Souassi ; Rohia, 12 ans ; Tameghza, 14 ans).


Durant ces années, je suis seul, et ma paroisse, toute une région, ne comporte aucun chrétien, tous mes « paroissiens » sont musulmans. En accord avec les autorités régionales et locales, de nombreux projets sont réalisés avec la participation des familles : auto-construction, puits, bassins, périmè-tres irrigués, cultures maraîchères et arboriculture, animation des écoles primaires, réhabilitation des nomades, éclairage solaire, hygiène et santé, amélioration de l’habitat, toilettes, antennes familiales, petits métiers, artisanat, élevage (ovins, caprins, dromadaires), apiculture, bibliothèques scolaires. Les financements sont divers : Gouvernorat, Délégation, ICCO (Pays-Bas), ASDI (Suède), Secours Catholique, CCFD, Manos Unidas (Espagne), U.S.A., Ambassades (Canada, Japon, Allemagne, Suisse, France), Communauté de Pinkafeld pour les cas sociaux.

Le fait d’être en permanence au milieu des familles permet une profonde connaissance réciproque et vous ouvre toutes les portes. Bien sûr, il faut du temps, et quand on arrive dans une région, il est nécessaire d’abord de regarder, de se taire, pour comprendre ; ensuite il faut aider les familles à exprimer leurs besoins et à découvrir ce qui leur convient, puis rédiger le projet et quantifier la participation des bénéficiaires. Années de grâces et de joies. Bien sûr, la solitude n’est pas toujours facile à vivre, mais on n’est jamais seul en fait : il y a tous ceux avec lesquels on est uni par la pensée et surtout la prière, l’affection et l’amitié (les familles, les amis, les confrères, même éloignés). Je pense spécialement à la Communauté de Pinkafeld (Autriche) qui m’a pris en charge, spirituellement surtout et quelquefois financièrement, pour des projets concernant des cas sociaux ; et il y a aussi ceux au milieu desquels on vit, qui sont un soutien et une aide.

Juin à septembre 2005, paroisse de Sousse pour le suivi des projets à Tameghza. Septembre, octobre, novembre 2005, IBLA, à Tunis.

20 novembre 2005, retour définitif en France en raison de problèmes de santé. Temps sabbatique et le 2 février 2006, nomination à la rue Roger-Verlomme, à Paris, pour une avant-dernière ou dernière étape ; c’est une nouvelle piste qu’il faut découvrir; temps du service et de l’écoute, car il faut s’adapter à une autre façon de vivre, à de nouvelles préoccupations, à une vie de communauté. Même si, depuis quelques mois, je suis en France, je me sens comme un émigré, sauf que j’ai la peau blanche, mais le cœur bronzé.

Après plus de 25 ans de vie solitaire, la Communauté m’aide à me réinsérer : merci de me supporter et de me faciliter ce passage assez difficile. « Avec la grâce de Dieu, tout est possible, » nous dit Saint-Paul. Je suis malgré tout dans la paix et l’espérance.

Philippe Lebatard