Missionnaires d'Afrique
France

 


Photo 2009 en Tunisie

Paul Marioge,
Tunisie, 50 ans de serment

La vie missionnaire
est faite de beaucoup de surprises


 

Cinquante ans d’engagement officiel chez les Pères Blancs… C’est vrai ! Mais pour moi cela fait 58 ans que j’y suis, c’est-à-dire depuis le jour où j’ai franchi la porte de notre maison de philosophie à Hennebont en Bretagne, car j’ai de suite compris que c’était là que le Seigneur m’envoyait. Mais comme il faut se fixer des normes valables pour tout le monde, gardons celle-là.

Je suis issu d’une famille méridionale bonne chrétienne de Montpellier. Mon père a travaillé à la banque, puis a été propriétaire récoltant vigneron. La vie était assez austère, d’autant que dans ma jeunesse c’était le temps de la guerre et de la difficile reconstruction du pays. J’ai fait mes études chez les jésuites, car mon père avait beaucoup d’attaches avec eux ; un de mes cousins est d’ailleurs entré chez eux. J’ai poursuivi jusqu’à l’École Sainte Geneviève de Versailles, toujours chez les jésuites, et c’est là que j’ai décidé d’entrer chez les Pères Blancs. J’ai préféré les Pères Blancs aux jésuites, parce qu’ainsi j’étais sûr de partir en mission et même, peut-être, en mission auprès des musulmans, car j’en avais le désir depuis la plus petite enfance. Les Pères Blancs ayant une formation de style ignatien, cela me consolait de ne pas être rentré chez les fils de St Ignace.

J’ai ensuite suivi le cursus normal de l’époque, c’est-à-dire, Noviciat à Maison-Carrée, près d’Alger, théologie en Tunisie, à Thibar et Carthage, entrecoupée d’un service militaire en Algérie et en Tunisie, terminé par l’ordination sacerdotale dans ma paroisse en 1961.

Un long temps dans l’enseignement
J’ai d’abord été destiné à enseigner dans nos Petits Sséminaires. Pour cela on me fit faire des études universitaires. J’étais content parce que je savais que si j’allais un jour en mission musulmane cela me servirait. Mais quand j’ai eu fini mes études, nos petits séminaires avaient fermé.

J’aurais pu être envoyé enseigner dans un de nos petits séminaires d’Afrique Noire, mais on me nomma en Algérie et, après une formation en arabe dialectal, j’étais nommé à notre collège de Constatine. Là, j’y ai passé des années difficiles, mais qui se sont transformées en années de joie lorsque 28 ans après, j’ai compris que nous y avions fait un travail extraordinaire. En effet, notre collège marchait difficilement : manque d’argent, nombre insuffisant de Pères Blancs pour en assurer l’ossature, difficultés pour le recrutement des professeurs qui étaient des coopérants français ou belges avec des libanais pour l’enseignement de l’arabe, difficultés pour le recrutement des élèves, car en tant qu’enseignement privé on nous donnait beaucoup de ceux qui étaient rejetés du système officiel… Nous avons été nationalisés en 1976, nous étions amers, il semblait que nous avions travaillé pour rien. Mais après 28 ans de silence imposé par le socialisme d’état puis par le terrorisme, voilà que les anciens élèves voulaient se réunir, ce qui fut fait en 2004. Et là, surprise ! Ils voulaient se réunir pour revivre la formation morale et la formation à la liberté que, presque à notre insu, nous leur avions donnée. Et depuis lors nous nous réunissons chaque année pour revivre cet esprit du collège et les aider à le transmettre à leurs enfants et petits-enfants. Ce succès a posteriori nous montre qu’il ne faut jamais désespérer du travail que l’on fait consciencieusement et dont on ne voit pas les fruits sur le moment. C’est ça la mission en terre d’islam.


À Constantine, 1er mai 2007, réunion avec les anciens élèves du collège du Mansourh.

Après ces 10 années, j’ai été envoyé à la formation des jeunes Pères Blancs en France. C’était l’époque où les vocations se faisaient de plus en plus rares en Europe et en Amérique et où le recrutement en Afrique commençait timidement. Là encore nous avions l’impression de travailler dans le vide pour un idéal missionnaire en voie d’extinction. J’ai dû fermer des foyers d’étudiants à Strasbourg, en ouvrir un autre à Toulouse qui ne pouvait pas durer trop longtemps, car notre idéal était de rependre notre formation en Afrique, comme aux débuts de la société.

Après 8 années, en 1984, je repartais pour l’Algérie . Je ai commençé par passer 4 ans à Batna dans une petite paroisse qui, elle aussi, ne pouvait pas durer trop longtemps, car il nous fallait chaque année fermer des postes, vu la diminution de nos effectifs. Je m’occupais des quelques chrétiens, permettant à mes confrères de s’implanter plus facilement dans le milieu algérien. En particulier, je jouais un peu le rôle d’assistant social du consulat de France pour venir en aide à toutes les femmes françaises mariées à des algériens et vivant dans une grande misère dans les petits villages du bled.


Fête de l’inauguration des orgues en 2003; jardins de la nonciature d’Alger.
On y reconnaît Étienne Desmarescaux prenant des photos.

Recteur de la basilique ND d’Afrique
À la fin de ce mandat, ma surprise fut grande, encore une fois, quand on me nomma recteur de la Basilique Notre Dame d’Afrique qui domine magnifiquement la baie d’Alger. En effet je n’avais jamais eu de responsabilités pastorales proprement dites, j’étais surtout un enseignant, même si je ne refusais pas à l’une ou l’autre occasion de faire du ministère. Là il y avait la pastorale classique à faire auprès des quelques chrétiens qui osaient fréquenter l’église, mais surtout il y avait à sauver cette basilique qui menaçait de tomber en ruine et à accueillir la centaine de musulmans qui venaient chaque jour prier Marie en ce lieu de pèlerinage. Il faut savoir que Marie est reconnue par l’islam ; et l’islam populaire, qui est différent de l’islam des ulémas, n’hésite pas à fréquenter les lieux de pèlerinage chrétiens comme il fréquente ceux de leurs saints musulmans, leurs marabouts. On était en pleine période de terrorisme ; il fallait presque ce cacher pour venir prier à la Basilique. Les chrétiens étaient presque tous partis pour leurs pays, seuls les musulmans étaient là pour prier Marie.

Je me fis entrepreneur pour restaurer la Basilique, je trouvais l’argent et surtout les artisans capables de faire ces travaux d’art. Je fis faire des fresques, car la religion populaire aime les images. Je m’attirai des concerts de louange en faisant représenter sur les murs la vie de Saint Augustin. En effet à cette époque on remettait beaucoup en valeur ce grand homme du passé algérien. Je fis aussi restaurer un bel orgue de Mutin-Cavailé-Coll qui n’avait jamais vraiment marché depuis qu’on l’avait transporté là en 1930 venant de chez un anglais mélomane, Monsieur Wedel, qui l’avait dans sa résidence. J’ai passé ainsi 12 belles années à travailler pour le rayonnement de Marie dans ce pays. Car, parmi les occupations intéressantes, il y avait surtout la charge d’accueillir les pèlerins.

Quand on vient à Notre Dame d’Afrique, c’est bien souvent parce qu’on a une grande peine sur le cœur : je suis malade, mon enfant est malade, mon mari me bat, il veut “me divorcer”, les jeunes veulent réussir leurs examens, les amoureux éconduits viennent demander à Marie de les réunir pour l’éternité… Or quand on est dans cet état, on est prêt à entendre une parole de consolation et d’encouragement. Nous nous faisions conseillers psychologiques et même spirituels. C’est un travail très intéressant. On nous posait des tas de questions en toute liberté et j’avais pour principe de répondre à toutes ces questions, si bien sûr la personne parlait avec franchise et non avec une idée sournoise derrière la tête. Je répondais même aux questions sur la foi chrétienne, tout en respectant la foi de l’autre. J’ai accompagné l’un ou l’autre jusqu’à la foi chrétienne.

Pendant cette période, il fallait se méfier des terroristes. Au plus fort de la crise, quand l’armée a repris le pouvoir pour nous sauver, il y avait chaque jour 10 ou 20 morts à Alger. Nos journées étaient ponctuées par les coups des armes à feu. Dix-neuf victimes (évêques, pères et sœurs) y ont perdu la vie. Tout le monde pensait que là-haut sur la colline, bien en vue de tout Alger, je serais le premier à y passer. Mais, moi, je n’avais pas peur, car je savais que la Sainte Vierge a une affection particulière pour les musulmans et qu’elle voulait que sa Basilique reste ouverte. Or, si on touchait à ma personne, notre père évêque, le Père Teissier, ferait certainement fermer définitivement la Basilique. De fait, je n’ai jamais été inquiété, même pas racketté, comme tous les commerçants tout autour de nous. Mais c’est mon confrère, le Père Charles Deckers, qui a payé pour moi. Il est allé trouver la mort le 27 décembre 1994 à Tizi-Ouzou, arrivant là-bas au poste juste 10 minutes avant les terroristes. Si vous allez à la cathédrale d’Anvers, vous y verrez son portrait toujours exposé, car il y est pratiquement considéré comme un saint. Quant à moi, je considère que je suis resté pour poursuivre le travail qu’il n’a pas pu achever.

Directeur de Billère
En 2001 il était temps de passer la main à plus compétent que moi pour entreprendre de vrais grands travaux de restauration de la Basilique. Je passai la main à mon confrère Bernard Lefèbvre qui a magnifiquement œuvré pour trouver les fonds et les spécialistes des monuments historiques pour faire ce travail qui est en voie d’achèvement. Après deux années passées à boucher des trous de ci de la (session biblique et retraite à Jérusalem, 8 mois à la direction de la maison diocésaine d’Alger…), je prenais le poste qui m’était destiné comme directeur de notre maison de retraite pour vieux Pères Blancs à Pau-Billère. C’était une autre occupation, car il n’est pas évident de pouvoir se mettre à la page de la législation très complexe de ce genre d’établissement. J’y faisais de mon mieux sentant que je serais l’un des derniers directeurs religieux de ces maisons dont la direction est maintenant confiée à des laïcs compétents. J’avais quand même sous ma responsabilité 50 confrères ce qui en faisait la maison la plus importante de la Société.

Au bout de trois ans, à nouveau à ma grande surprise, je fus renvoyé au Maghreb où il semble que j’aie encore du travail à y faire. Je m’y tiens disponible pour pouvoir être utile dans les dernières années d’activité que le Seigneur me garde encore et qui ne peuvent pas être très nombreuses.

En somme la vie missionnaire est faite de beaucoup de surprises. On ne voit pas sur le moment les fruits que notre travail va produire. Il faut travailler, surtout en mission musulmane, en ayant l’air d’être un serviteur inutile, mais si on a la chance, comme moi, de profiter du recul de l’âge, un jour tout s’éclaire et on est surpris de voir que ce qui nous semblait sans importance a produit un fruit inestimable. Le Seigneur fait souvent attendre sa consolation, mais quand elle arrive elle nous remplit de beaucoup de joie.

Paul Marioge