NOTICES BIOGRAPHIQUES
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Père Vincent DOUTREUWE
..." Être prêtre pour Jésus et pour les hommes ! " Voilà le sens qu'il a voulu donner à toute sa vie en choisissant de rentrer chez les missionnaires d'Afrique, Pères blancs. Et un de ses confrères, qui l'a bien connu au Mali, témoignait dans son homélie, le jour de ses obsèques : " Je peux dire qu'il a vraiment vécu cet idéal durant toute sa vie missionnaire ".
Vincent est né à Ermont, en Seine et Oise (actuellement Val d'Oise) le 25 avril 1927. Ses parents, René et Thérèse ont eu quatre enfants : 1 garçon, 2 filles et le dernier, Vincent. Son père René a eu beaucoup de déboires. Après la guerre de 1914, il fonda une petite entreprise avec un associé, véritable escroc, si bien qu'au moment de la faillite, c'est lui qui a du rembourser la dette jusqu'au début de la deuxième guerre mondiale. Entre temps, ils sont allés habiter aux Aubrais, près d'Orléans, et c'est là que Vincent fréquenta le collège Saint Euverte lequel n'était pas du tout porté sur les Lettres, mais très ouvert d'idée avec les juifs et les protestants.
Après le premier bac, que Vincent d'ailleurs n'a pas eu, toute la classe est renvoyée : c'était en 1945, Il n'est plus question de continuer les études. Mais quelle orientation prendre ? Les Eaux et Forêts ? La prêtrise ? La vie monastique ? En vue de faire un discernement, il part à Fontgombault, au séminaire de vocations tardives. C'est là qu'il entend l'appel du Seigneur qui sera le fondement de sa vie : " Être prêtre pour Jésus et pour les hommes ", ce qu'il réalisera dans la société des missionnaires d'Afrique.
Il entre alors à Kerlois en octobre 1947 pour la philosophie, puis à Maison-Carrée pour le noviciat en 1949. Il poursuit sa théologie à Thibar, avec son service militaire dans l'artillerie en Tunisie. Il revient à Thibar où il fait son serment le 27 juin 1954 et termine à Carthage avec l'ordination sacerdotale, le 10 avril 1955. Pendant toutes ces années, sa faiblesse intellectuelle l'a fait douter de lui-même, mais sa volonté énergique et son dévouement total et généreux, considérés comme sa caractéristique personnelle, l'ont emporté sur ces lacunes.
Il reçoit sa nomination pour Guéné-Goré, dans
le diocèse de Kayes, où il arrive en novembre1955. Après
son congé en 1960, il est envoyé à Kakoulou où
il a eu de la peine à s'y faire. Il est alors nommé à
Kassama en 1963, où finalement il trouve un épanouissement qu'il
n'avait pas eu auparavant.
Aussi, en 1969, il est nommé Supérieur de Kassama, une responsabilité
qu'il a eu de la peine à accepter car disait-il " je suis doué
pour être second, pour épauler et soutenir le responsable, mais
pas pour être le premier ". En fait, sa belle expérience
et son bon jugement lui ont permis de faire face à ses obligations
de curé et de supérieur.
A Kassama, il s'est fortement engagé dans son travail au dispensaire.
Il était d'ailleurs doué pour les soins et avait beaucoup de
patience, les gens l'aimaient bien. Comme il avait beaucoup de cur et
était très sensible, il ressentait très fort la souffrance
des malades, et il était très attentif au soin des lépreux
à qui il rendait régulièrement visite, même lorsqu'il
partait en tournée. La formation des catéchumènes lui
tenait vraiment à cur. En effet, s'il a été nommé
au Soudan, aujourd'hui le Mali, c'était bien pour prêcher le
Christ et s'occuper des nouveaux chrétiens, mais très vite il
s'aperçoit que ce n'est peut-être pas ce que Dieu lui demande.
En relisant cette période de sa vie, il écrit : " Je découvre
qu'il y a de bons musulmans pieux et soumis à Dieu. Pourquoi, nous
chrétiens, avons-nous des clichés si péjoratifs sur l'islam
? (
) Oui, il y a une belle approche de la grandeur de Dieu qui m'a fait
changer ma prière personnelle et avoir une même approche pour
tous les hommes, chrétiens, musulmans et adeptes des religions traditionnelles
". Pour être fidèle au fondement de sa vie " être
prêtre pour Jésus-Christ et pour les hommes ", il a su souvent
changer son regard et voir tout ce qui se passait autour de lui avec le regard
de Dieu.
Aux yeux de ses confrères, il avait un tempérament fort qu'il
avait parfois de la peine à maîtriser. De plus sa timidité
ne facilitait pas la communication en communauté. Mais, pour ceux qui
ont vécu avec lui, il est resté un "chic type", surnaturel,
et un très gros travailleur, et même " un dur " : il
pouvait partir en tournée, en plein midi, après avoir travaillé
la matinée au dispensaire, sans prendre le temps de manger, au risque
d'abîmer sa santé
Enfin, que de services n'a-t-il pas rendu
dans les différentes communautés où il a vécu,
grâce à son grand savoir-faire pratique !
En 1974, ne connaissant rien du reste du Mali, et avec l'accord de ses confrères,
il est parti faire le tour du Mali en mobylette (Peugeot, 3 vitesses). Il
a ainsi visité tous les postes de mission du Mali (sauf 5, dont GAO,
qu'on lui a déconseillé à cause de l'état de la
route et aussi de la distance : 580 Kms). Il a ainsi parcouru 3500 kms en
45 jours ! C'est alors qu'il partit en congé où il a suivi une
session à l'Arbresles.
En 1975, après 20 ans dans le secteur de Kassama - Guéné-Goré,
l'évêque de Kayes, Mgr Etienne Courtois, le nomme à la
paroisse de Sagabari qui fait secteur avec Kita. Pendant trois ans, il a travaillé
au dispensaire, jusqu'à l'arrivée des Religieuses. Après
quoi il s'oriente plus vers la prise en charge du matériel de la paroisse
et va souvent à Kita pour les aider, particulièrement au moment
du pèlerinage national à Notre-Dame du Mali, où il a
la chance de trouver le Frère Victor Dery qui l'initie aux nombreux
problèmes d'électricité. Il résume cette période
ainsi : " Un pied à Kita, un pied à Sagabari, quelques
tournées en brousse ".
En 1988, il va suivre la Session-Retraite à Jérusalem. A son retour, il est nommé de nouveau à Kassama.
En 1990, il suit avec beaucoup d'attention le voyage du Pape Jean-Paul II
au Mali. A son retour à Kassama, il a une grosse dispute avec un catéchiste,
à la suite de quoi l'évêque lui fait dire qu'il ne veut
plus le voir dans son diocèse ! Cela a été très
dur pour lui. En réfléchissant sur cette dispute, il y voit
deux causes : " Il y a plus d'un an que j'ai abandonné la cigarette,
moi qui étais un grand fumeur, et la cigarette m'aidait à adoucir
mes réactions dans les conflits qui surgissaient, et maintenant il
n'y a plus de cigarettes. Mais plus profondément, c'est que j'étais
malheureux car j'étais seul : on ne travaillait pas en communauté,
mais chacun à sa façon faisait son travail dans son coin ".
A ce propos, ses confrères savaient bien que fumer était son
remède contre la nervosité, et que de fois ne l'ont-ils pas
vu allumer une nouvelle cigarette avec celle qu'il venait de terminer
En revenant d'un congé, il a épaté tout le monde parce
qu'il avait arrêté de fumer : encore un coup de volonté
! "
Peut-être était-ce une décision prise à
la suite de sa retraite à Jérusalem ?
La conséquence de tout cela fut un nouveau congé en France avec nomination à Lille pendant 2 ans après quoi, pacifié, il a pu retrouver le Mali, mais cette fois dans le diocèse de Bamako, au CEL de Faladyè. Là, il s'occupe du matériel du Centre de langues et de la paroisse, ce qui l'oblige à aller régulièrement à Bamako. Il aurait voulu plus de travail pastoral, mais il n'est pas à l'aise en bambara et s'adapter à une nouvelle langue quand on a 70 ans, ce n'est pas évident ! Il y restera jusqu'en 2004. Pendant son congé, il apprend qu'il doit rester définitivement en France. Il pourra cependant repartir fin juin au Mali jusqu'en septembre pour faire ses adieux.
En France, il est nommé comme économe à Toulouse, rue
Ringaud, et en 2007, il rejoint la Résidence de Billère où
il tâche de vivre les belles qualités de la sagesse malienne.
Il s'exerce à la patience, essaie de voir le beau côté
des choses, malgré son handicap visuel et il reste entièrement
disponible pour les services qu'on lui demande. A Billère, il répétait
souvent : " La vie est belle ! " Oui, il est heureux parce qu'il
a la joie de vivre dans une communauté de Pères Blancs.
Quelque temps avant son décès, les confrères voyaient
Vincent baisser régulièrement, mais avec sa volonté habituelle,
il tenait bon. La veille au soir, il était à la salle à
manger. Le lendemain matin, il n'était présent ni aux Laudes
ni au petit déjeuner. L'infirmière, partie dans sa chambre n'a
pu que constater son décès : c'était le 23 juillet 2019.
Discrètement, comme à son habitude, il était parti dans
la nuit.
A la messe des funérailles célébrée en la chapelle
de Billère, l'évangile choisi a été celui de Matthieu
(10, 7-13) où Jésus donne ses instructions aux 12 apôtres.
Vincent a entendu ces paroles et les a mises en pratique. Et aujourd'hui,
Jésus lui dit ce que l'évangile rapporte dans Mt 7, 24 : "
Homme prévoyant, toi qui as construit ta maison sur le roc ",
entre dans la joie de ton maître !
Pierre Landreau