Missionnaires d'Afrique - Pères Blancs

UNE GALERIE DE PORTRAITS

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NOS ANCÊTRES DANS LA MISSION

MONSEIGNEUR

JOSEPH DUPONT

1850 - 1930

Premier Evêque au Nyassa

ZAMBIE

Par le Père Joseph Vanrenterghem
Missionnaire d'Afrique
Bry-sur-Marne
Février 2005

Voir aussi sur Voix d'Afrique les 2 articles sur Mgr Dupont (dont le retour des cendres de Mgr Dupont à Chilubula) Texte et autres photos

In Englih
Centenary foundation of Santa Maria Chilubi Island (1903-2003)
Bishop Dupont Motomoto. Written by B.A. Poisson, M. A fr.


SOMMAIRE

I - Les événements et gestes fondateurs
II - Joseph Dupont (1860-1930)
III - Vers le Nyassa
IV - Fondation au Nyassa
V - Mgr Joseph Dupont Evêque
VI - Retour en Europe
VII - La retraite à Thibar (Tunisie
VIII - Questions et problèmes aujourd'hui
--- Sources

I - Les événements et gestes fondateurs


Dans ce premier chapitre, nous nous inspirons largement, (et nous le citons abondamment) d'un document du P. Louis Oger, texte polycopié rédigé à Paris en 1995 et intitulé : " Une ombre dans les missions : La sorcellerie, lieu méconnu de la rencontre du Christ dans la foi "

Le P. Oger, d'abord missionnaire dans diverses paroisses, a été longtemps responsable du Centre d'étude de langue et de culture Bemba, à Ilondola. Il avait été, auparavant, supérieur régional des pères blancs de Zambie. Sa réflexion pastorale sur la sorcellerie a été menée à l'occasion du Centenaire de l'Église catholique en Zambie.


Les Pères Blancs sont arrivés dans le Nord de la Zambie actuelle en 1891. Ils fondent un premier poste à Mambwe, puis pénètrent à l'intérieur et ouvrent, plus au sud, Kayambi (1895) et Chilubula (1898). C'est le temps où les pays européens cherchent à étendre leurs zones d'influence en Afrique. Anglais, Allemands et Belges parcourent la région. Dans le territoire circulent des représentants de ces divers pays, accompagnés de soldats, explorateurs, aventuriers et commerçants.

Les missionnaires protestants sont déjà présents. François Caillard, de la Mission évangélique de Paris, s'est installé dans le sud dès 1878 et la London Missionary Society a fondé une mission, dans le Nord, à Mpulugu en 1885

" Les esclavagistes étaient encore dans les parages et, avec la complicité des chefs coutumiers, ils monopolisaient le commerce à l'intérieur du pays. L'esclavage domestique était de coutume, souvent lié à ce que nous appelons la sorcellerie. Moyen de se débarrasser des "mauvais caractères"… et ces derniers devenaient souvent une monnaie d'échange avec les esclavagistes ".

Dès leur arrivée, les missionnaires Pères Blancs invitèrent les gens à la prière. Ils se présentaient comme des 'hommes de Dieu et, très vite, ils commencèrent des instructions religieuses avec les premiers groupes de priants.

Qui étaient ces priants ?

- des esclaves rachetés (" nos enfants ") disaient les Pères.
- des " suivants " qui quittaient l'autorité d'un chef local pour se mettre sous celle des Pères
- des personnes accusées de sorcellerie qui se réfugiaient à la mission pour échapper à l'épreuve du poison
- enfin un petit groupe de femmes et d'enfants donnés aux Pères par les chefs en signe de bonne volonté.

Des " villages chrétiens " se formèrent ainsi, qui échappaient au pouvoir des chefs traditionnels. Le " Père Supérieur " en était le chef. On insistait sur la prière, l'instruction, et une vie contrôlée par les Pères, où les pratiques " païennes " n'avaient plus de place.

Quatre années de catéchuménat étaient nécessaires pour se préparer au baptême, comme dans les autres missions des Pères Blancs. Il s'agissait d'une vraie démarche de conversion " individuelle ". Des gens " libres " des environs s'adjoignirent au groupe, surtout parmi la main-d'œuvre employée aux constructions. Les villages s'installaient sur le terrain, sur la " propriété " des pères. Les enfants d'une petite école apostolique étaient envoyés dans les villages pour apprendre aux autres les nouvelles prières.

La Mission

" Nous avons affaire ici à un peuple dominateur, accoutumé à faire la loi à tous ceux qui l'approchent ", écrit un des premiers missionnaires. Les Pères jugèrent bon de commencer leur travail par le soin des malades, ce qui occupait la plus grande partie de leurs journées. Le Père Dupont était infirmier, et, aux yeux des gens, médecin. Aux soins médicaux ordinaires, il ajouta l'usage, que certains disent intensif et intempestif, du rituel des bénédictions et exorcismes.

En 1897, Dupont réalisa l'ambiguïté de la méthode de l'orphelinat et du rachat d'esclaves. Ce dernier était d'ailleurs quasiment terminé, et la contrée ouverte à l'action directe des missionnaires. Dupont commença à recruter des jeunes gens de bonne volonté pour l'école. En 1901, celle-ci devint un centre de formation de catéchistes adultes, 150 élèves, tous libres, certains fils de chefs.

Louis Oger note trois traits distinctifs du missionnaire tel qu'il apparaissait alors aux gens : étranger (donc respecté) - ministre d'un culte nouveau - médecin-guérisseur. Prestige qui faisait voir le Père supérieur comme un chef puissant.

L'événement d'août 1895, geste fondateur

C'était deux semaines seulement après l'arrivée du P. Joseph Dupont à Mayambi. Le P. Louis Oger raconte :

" Le 11 août 1895, avec un autre missionnaire, le Père Dupont alla visiter le chef Makasa. Celui-ci était entouré d'un grand nombre d'hommes. Quelqu'un était accusé de pratiques de sorcellerie et demandait à subir l'épreuve du poison. Le chef Makasa, qui seul décidait d'une telle épreuve, répliqua qu'il n'avait aucune intention d'empoisonner ses sujets. Le Père Dupont saisit l'occasion pour dénoncer la sorcellerie sous toutes ses formes, comme une croyance vaine. Il mit tout sorcier présent au défi de lui crever un œil, comme ils s'en étaient vantés, leur promettant une belle récompense. Rien n'arriva, et tout le monde de rire aux dépens des sorciers, écrivit-il dans le journal. Le chef lui-même en resta bouche bée, louant le Dieu des Blancs… Ce rire pouvait en dire long. Les gens étaient convaincus de l'existence d'ensorceleurs, et tirèrent de l'incident la seule conclusion qu'ils pouvaient alors tirer : le prêtre est plus fort qu'eux.

La preuve en est que le soir du même jour, à cinq heures, dit le diaire, le chef et deux chefs subalternes vinrent demander au Père un remède pour les mettre à l'abri des maléfices des sorciers. Le Père les fit agenouiller, lut le Prologue de saint Jean sur eux, en latin bien sûr, et les aspergea d'eau bénite. Le diaire décrit ainsi la scène : 'Ils se tiennent avec le plus grand respect et s'inclinent profondément pour recevoir l'eau bénite. Puis ils se relèvent joyeux et fortifiés : ils n'ont plus peur des sorciers '. Chacun reçut une médaille de la sainte Vierge.

Un an plus tard, le 10 juillet 1896, alors que le Père Dupont était en tournée, un homme lui cria que lui et ses prêtres étaient des " sorciers redoutables ". Lenshina Mulenga, la fondatrice de l'église Lumpa dans les années 1953, n'inventa rien lorsqu'elle et ses adhérents dirent et chantèrent que les prêtres catholiques étaient des " ensorceleurs ". Elle ajoutait que toutes les missions catholiques étaient des refuges d'ensorceleurs que les missionnaires protégeaient ".

Le P. Oger commente : " Nos pionniers voyaient la sorcellerie partout, ne faisant aucune distinction entre les pratiques cultuelles, les séances de guérisons, les danses et rites funéraires ou d'anniversaires, le Mercredi des Cendres, la bénédiction des semences, etc.

En 1897, arrive une invasion de sauterelles. Le Père Dupont fait l'exorcisme prévu en de tels cas, et note : " en moins d'un quart d'heure, nos champs sont évacués… La protection du ciel est d'ailleurs manifeste depuis plusieurs mois, car les sauterelles ont fait le tour de la station sans y entrer. Les semences que les gens et leur chef sont venus faire bénir ont été aussi épargnées. Les gens sont ébahis ".


Des ambiguïtés persistantes
Le " mythe Dupont "


" Le Père Dupont, dit Louis Oger, par des actes symboliques et la lecture solennelle de l'évangile, voulait mettre en évidence le pouvoir de la foi dans le Christ. Mais les gens ne connaissaient pas encore le Christ, et ne purent saisir ainsi la nature de ce pouvoir. Ils le virent dans la personne de Dupont, et dans ses actions, gestes et paroles… Telle fut la vision des gens : les pères avaient un pouvoir supérieur. C'est pourquoi ils pouvaient recevoir les ensorceleurs ou jeteurs de sorts chez eux, vivre en paix avec eux, et même en faire des hommes de Dieu, catéchistes ou autres. Le moyen de communier à ce pouvoir était d'embrasser leur religion, apprendre le catéchisme par cœur, se soumettre aux nouveaux interdits et aux nouveaux rites et gestes ".

En 1990, un livre de A.D. CHIMWANSE avait pour titre : " Est-ce que le Christianisme est un havre d'ensorceleurs ? ".

Une autre ambiguïté devait faire entrer Dupont lui-même dans la légende. En 1898, il est appelé au chevet du plus puissant des chefs Bemba. Celui-ci, avant de mourir, confie à l'évêque sa contrée et ses gens :

" Mgr Dupont était pour le Bemba le type de l'homme qui possède le pouvoir. Il était fort, de belle allure, entrepreneur.. bon tireur… Il disait ne pas s'asseoir deux fois à la même place. Les gens le surnommèrent Bwana Motomoto (Seigneur le Feu). Et Il était généreux, comme se doit d'être un bon chef… "

C'est ainsi qu'il entra dans la légende : évêque-roi. Et l'archevêque de Kasama est toujours considéré comme le successeur de cet évêque-roi, dit L. Oger.

Deux problèmes nous sont posés :

- qu'en est-il de cette " sorcellerie " omniprésente ?

- le chef (roi) fit de Dupont son " successeur " : qu'en est-il exactement ? Dupont lui-même ne s'est-il pas fait illusion sur cette donation qui faisait de lui un roi des Bemba ?


II - Joseph DUPONT (1860 - 1930)

Les années de formation

Gesté : gros bourg de la Vendée angevine. C'est là qu'est né Joseph Dupont, le 23 juillet 1860, d'une famille paysanne. Enfant espiègle, sinon difficile. ll confie son désir d'être prêtre, mais les autres sont sceptiques : "Toi, quand tu seras prêtre, moi, je serai bien évêque ! ".

Cependant, avec son curé, il se met au latin. À 14 ans, il entre en 7e au collège de Beaupréau. Ce ne fut pas un brillant élève. À 2O ans il est mobilisé. Revenu dans son collège, il passe son bac.

En octobre de la même année, il entre au Grand Séminaire d'Angers. Ce n'est pas un intellectuel. Ce qui l'intéresse, c'est la préparation au travail apostolique ; il dira aux jeunes pères qu'il accueille en Afrique : " J'espère que vos études sont terminées ; car, s'il vous reste encore quelque chose à apprendre, il vaudrait mieux reprendre tout de suite la direction de l'Europe ".

Par deux fois, il demande à son Évêque, Mgr Fréppel, de pouvoir rejoindre les Pères Blancs du Cardinal Lavigerie. Aucune réponse. Il va directement trouver l'évêque. Ce dernier s'oppose au désir du séminariste (Il faut dire qu'entre Mgr Fréppel et Mgr Lavigerie, le moins qu'on puisse dire est qu'il n'y avait pas convergence d'idées, tant au point de vue théologique que politique).

Une troisième lettre à l'évêque lui obtient finalement l'autorisation de partir. En novembre 1878 il demande à être admis chez les Pères Blancs. Il est ordonné prêtre dans son diocèse, à Noël de cette même année.

En janvier 1879, après avoir vaincu la résistance, sinon l'opposition de sa famille, Il s'embarque pour Alger, avec un autre jeune ordonné, l'abbé Pouplard, Sitôt arrivé : messe à N. D. d'Afrique ; accueil chaleureux de Mgr Lavigerie qui les reçoit à sa table. Le 11 février, à la fin d'une retraite, ils reçoivent l'habit à Maison Carrée. Leur noviciat commence.


Mgr Dupont (Jeune Père Blanc)

Le P. Dupont fut d'abord envoyé à Paris pour quelques compléments d'études auprès de la Société de Géographie. Mais au lieu de prendre aussitôt la route de l'Afrique centrale, il est nommé en octobre 1880, professeur au collège St Louis de Carthage. Il doit enseigner les sciences ; mais le bateau qui transportait ses bagages coule, avec toutes ses notes. En 1885 il passe à N. D. d'Afrique où il enseigne, jusqu'à sa nomination pour une mission toute nouvelle à créer, celle du Bas Congo. Les pères comptent s'y rendre par l'ouest du continent, par voie maritime.

- L'Afrique centrale par l'ouest.

Avec deux confrères, le Père Dupont embarque au Havre le 22 juin 1885. Ils touchent Lisbonne, où les met en " quarantaine " dans un lazaret. 21 jours de traversée les mèneront à Banana, à l'embouchure du Congo.

Commence alors une longue série de déboires. Après une remontée difficile du fleuve jusqu'à Boma ils arrivent à Vivi alors que le bateau remontant vers Stanley pool vient de partir. Pas d'autre bateau prévu, et on leur dit qu'il sera très difficile de recruter des porteurs pour former une caravane. Et de plus les bagages n'arrivent pas.

Des trois pères, l'un redescend le fleuve à la recherche des bagages et un autre fait un violent accès de malaria dont heureusement il réchappe. Dupont pour sa part cherche, sans succès, à former une caravane. Il rassemble 37 porteurs, mais beaucoup feront défection. après de nombreux allers et retours, et de longs jours d'attente, Dupont finit par arriver seul à Brazzaville, le 27 juillet, après 4 mois d'étapes morcelées.

On organise alors un nouveau départ mais Dupont lui - même souffre d'une crise de malaria. Malgré tout il écrit :

" Après quelques jours passés avec eux, j'étais enchanté de mes compagnons de voyage, et ils paraissaient eux-mêmes m'être très attachés. Les journées étaient agréables, les kilomètres s 'avalaient en chantant, et le gibier nous fournissait un plantureux menu. Le dimanche, n'ayant pas le bonheur de célébrer la messe, je me consolais en donnant à pleine voix, au milieu de mes porteurs ébahis, le Credo et le Magnificat, puis nous poursuivions l'étape " (Pineau p. 33).

La caravane poursuit sa route, mais les porteurs s'égarent, la famine règne dans la région traversée. Le 17 février 1886, les trois pères se retrouvent à Brazzaville. On accepte enfin de prendre deux pères, sans bagages, sur un petit vapeur jusqu'à Kwamouth, au confluent du Congo et du Kasai. On y arrive le 13 octobre 1886, neuf mois après le départ du Havre. L'équipe se retrouve bientôt au complet, plante la tente, puis, courant avril, entreprend la construction du poste. La joie sera, hélas, de courte durée.


Retour à la case départ

Le Cardinal Lavigerie avait vu très grand, se faisant confier un immense territoire. En 1881, un accord avec les Pères du Saint Esprit avait réglé certains problèmes de délimitation. Bientôt, cependant, il y eut un conflit de " territoires ", qu'on demanda à Rome de trancher. Une nouvelle délimitation fit que l'endroit où fondaient justement le père Dupont et ses compagnons cessa d'être confié aux Pères Blancs.

La nouvelle lui parvint le 6 mars 1887. La lettre disait : " Nos limites viennent d'être fixées, vous êtes en dehors ; vous allez donc partir et, remontant le fleuve, rejoindre vos confrères du Tanganyika ".

Une lettre suivante ajoutait :

" Vous n'aurez peut-être pas les moyens de faire ce grand voyage. Le plus simple sera d'attendre sur place de nouveaux ordres et continuer à travailler, quitte à remettre plus tard la direction à ceux qui vous succéderont ".

Enfin une dernière lettre apportait la décision du Conseil de la Société, décision prise à l'instigation du Cardinal Lavigerie, le 20 décembre 1886 :

" Réflexion faite, il a été décidé définitivement que vous irez au Tanganyika, mais en revenant à Marseille par Boma " (Pineau, p. 36)

Le père Dupont fut atterré par cette décision. Il était seul à la mission. Le 17 mars il remettait le poste au Père Augouard, Supérieur des Spiritains, et commençait à redescendre le Congo. Il écrit au Cardinal Lavigerie :

" Cette mission nous a coûté bien des sacrifices, mais le plus dur a été celui de la quitter. Nous aimions tant nos noirs sauvages ! Qui nous aimaient bien aussi, car j'en ai vu pleurer à mon départ. La Providence n'a épargné que nos santés, sans doute pour que nous puissions supporter ailleurs d'autres fatigues ". (Pineau p. 37)

À son arrivée en France, le P. Dupont se voit nommé professeur, puis, peu après, supérieur, à l'École apostolique de Saint Laurent d'Olt, dans l'Aveyron. Il ne se sent pas fait pour l'enseignement, mais il y restera quatre ans.

Dans une lettre à ses supérieurs, à Alger, il écrit, en 1891 : " Je ne peux me plaindre d'être malheureux ce serait plutôt le contraire ; je craindrais que la tranquillité, si antipathique à mes aspirations, ne me soit funeste. Si donc un jour, il vous manquait un ânier pour quelque caravane, je vous serais reconnaissant de penser à moi " (Pineau p. 39)

Son souhait est exaucé et en début d'année 1891 il est désigné comme chef de la dixième caravane vers l'Afrique équatoriale.

III - Vers le NYASSA


Le 12 juin, Le Père Dupont s'embarque à Marseille, en même temps qu'un groupe de Pères Blancs belges partant pour le Haut-Congo. Ils débarquent à Zanzibar le 30 juin. Parvenus à Bagamoyo, sur la côte, au sud de l'actuelle Dar es Salam, il leur faudra un mois pour rassembler une centaine de porteurs, non sans l'aide du gouverneur allemand de Zanzibar.


Xè caravane vers l'Afrique équatoriale.
Debout : Mr Andreas Mwangwe, Fr François, P.Engels, P. De Beerst, Fr Stanislas.
Assis: P. Marques, P. Dupont, P. Roelens.

Le 27 juillet, la caravane s'engage sur la piste vers l'intérieur. C'est alors un long cortège d'épreuves qui commence : la malaria, la désertion de certains porteurs et la mort d'épuisement pour d'autres. En chemin, des caravanes d'esclaves se joignent à eux, pour profiter de leur protection et de leurs franchises, compagnie bien encombrante de gens qui, bientôt, seront leurs adversaires. On manque d'eau sur certains territoires désertiques : on se précipite et on se bouscule pour boire dans les rares trous d'eau… Dans certaines régions le choléra s'est abattu sur les troupeaux et on traverse de véritables ossuaires… La caravane précédente de 7 000 porteurs (celle du gouverneur) a laissé beaucoup de cadavres au bord du chemin. À tout cela s'ajoute le souci des bagages, qui n'ont pas suivi comme il était prévu : on manque un peu de tout.

Le 5 novembre, après avoir parcouru 800 km, la caravane atteint enfin Kipalapala, un poste de pères Blancs proche de Tabora, lieu de disjonction des caravanes et Procure pour les Missions du Nyanza et du Tanganyika. Pour l'équipe du P. Dupont, c'est le temps de faire étape, avant de repartir vers le Sud. Étape qui dure 5 semaines, le temps de se refaire une santé, d'attendre les bagages, et de recruter d'autres porteurs.

On se remet en route le 21 janvier 1892. 24 jours de marche rapide, et la caravane atteint Karema, sur le lac Tanganyika. Ce voyage est plus facile, à travers un territoire plus peuplé et plus giboyeux. Le 14 février, accueil très chaleureux de Mgr Lechaptois, vicaire apostolique à Karema. Malgré les souffrances endurées Dupont souligne les bons côtés de ces longs mois de voyage :

" Grâces soient rendues au Bon Maître ! Malgré la fatigue et les ennuis de la route, la gaieté la plus entraînante, la charité fraternelle la plus franche n'ont cessé d'animer notre caravane, et de faire vraiment de nous un seul cœur et une seule âme. Cette vie de communauté a toujours été notre force et notre vraie consolation, et n'a pas manqué de provoquer chez nos hommes un véritable étonnement " (Pineau, 45).

Durant 3 ans et demi, le P. Dupont travaillera à Karema, au Tanganyika, avant de s'engager plus avant vers le Sud, vers son pays Bemba.


Au Tanganyika

Les pères étaient à Karema depuis sept ans déjà. Le poste comptait plus d'un millier de catéchumènes. Les moyens de subsistance consistaient en un nombreux troupeau, de vastes champs, et même une scierie et une briqueterie. On va entreprendre la construction d'une église et de la maison des pères.. Le P. Dupont, en l'absence de Mgr Lechaptois, est partout actif, efficace.

Le P. Guilllemé, de passage à Karema, écrit :

" Je viens de passer cinq jours bien agréables dans cette mission dirigée par le Père Dupont, dont l'activité sans égale lui a fait donner le beau nom de MOTO-MOTO (le feu, au superlatif !). Physicien émérite, s'il n'a pas découvert le mouvement perpétuel, il le pratique… Les jours passent vite en compagnie de ce charmant conteur, seules les jambes auraient droit de se plaindre en arpentant les grandes plantations et cultures dont il a doté la mission " (Pineau p. 48-9)


La méthode de Dupont : gagner d'abord les bonnes grâces des chefs, s'attirer la confiance des vieux des villages et ensuite gagner la masse des gens. Sa prestance en impose, sa bonté gagne les cœurs. Autre chose lui attire la sympathie des chefs et de la population : alors que les razzias d'esclaves continuaient dans la région, la mission protégeait les populations voisines. Le poste devenait aussi un point de contact des chefs locaux avec l'administration coloniale, et un lieu de rencontre pour débattre de questions importantes, comme la désignation d'un nouveau chef. Suivait d'ailleurs une véritable cérémonie de " couronnement " prières, médailles, manteau… tout y était. Venaient alors le repas de fête et les danses.

Mais le Père Dupont a épuisé ses forces. Un fort accès de malaria déclencha une crise d'hématurie. On lui donna le sacrement des malades. Déjà on avait pris toutes les dispositions pour les funérailles mais finalement le malade se rétablit. Peu après, il écrit, non sans humour :

" Je viens de lire tout au long le détail de mes funérailles, comment il fallait m'habiller, où je serais exposé, qui devait me garder ; on allait même jusqu'à mobiliser tous les chefs. C'est charmant. Enfin, tout le protocole est réglé pour la prochaine fois, qui ne sera peut-être pas éloignée… Inutile d'ajouter que je suis content de vivre ou de mourir, et j'espère bien laisser, quelque jour, mes pauvres os dormir sur le bord des grands lacs, jusqu'au jugement dernier " (Pineau, p. 55).


À peine remis, Dupont se voit confier l'administration du vicariat en l'absence de l'évêque. Ce dernier lui a donné mission de fonder une nouvelle station dans l'Ufipa. L'annonce de la Bonne nouvelle se poursuit. Dans la mentalité de cette époque, cela voulait dire aussi pour Dupont, comme l'exprime le P. Pineau : "Dans ces têtes habituées à n'entendre que le mensonge, les Vérités chrétiennes entrent bien péniblement, mais le catéchisme se fait régulièrement ; les fils du roi et de plusieurs ministres l'apprennent avec une réelle bonne volonté." (P. 55).

À leur arrivée dans l'Ufipa, les Pères apprennent qu'on a monté contre eux et effrayé toute la population, les présentant comme chasseurs d'esclaves ou conquérants européens. Leur arrivée met fin à ces calomnies et remplit de joie les gens qui les reconnaissent. Le vicaire apostolique décrit comme suit la lutte contre les " superstitions païennes " :

" L'instruction religieuse porte déjà ses fruits ; en plus d'un endroit les catéchumènes rejettent ouvertement les fétiches et les pratiques superstitieuses. Les païens eux-mêmes, devenus hardis contre leurs propres divinités, ne craignent pas de mettre la hache à la racine de leurs arbres-fétiches. " (Pineau p. 57-8)

Mgr Lechaptois voulait fonder une mission en pays Bemba. Après une réunion de consultation, il annonça qu'il nommait le Père Dupont chef de la Mission du NYASSA. Ils partirent 4 jours plus tard vers le Pays Bemba. Commentaire du Diaire du 16 mai 1885 :

" Ce soir, à 9 heures, le cher Père Dupont a quitté Karema où il a exercé son zèle pendant trois ans et demi. Il y a construit une magnifique maison pour les Missionnaires, il laisse de superbes plantations, il s'est dévoué sans ménagement à faire pénétrer l'évangile parmi les Wabende, les Wafipa, et même dans les tribus les plus éloignées. Il a développé chez nos gens le sentiment religieux et l'habitude du travail. Le Bon Dieu qui connaît ses mérites peut seul récompenser ses grandes fatigues et ses courses incessantes. S'il a su se donner, il a su aussi se faire aimer, et gagner confiance et sympathie de tous les chefs qu'il a approchés.

Quant à nous, tout en regrettant pour Karema son énergique activité, son inlassable bonté, et son grand savoir-faire, nous sommes heureux de le voir à la tête de la difficile mission du Nyassa ; il est bien l'homme de la Providence pour triompher de tous les obstacles que suscitera cette pénétration des Bamemba et des riverains du Bangweolo ". (cité Pineau p. 58-9)


IV - Fondation au Nyassa


Un bref rappel d'histoire

Vers la fin de 1888, des rébellions avaient soulevé une bonne partie du centre africain sous l'influence des esclavagistes. Les Missions étaient en danger, la piste de Tabora était coupée. À ce moment-là, Lavigerie reçut du gouvernement portugais des propositions avantageuses pour l'établissement des Pères Blancs plus au sud, dans le territoire que les portugais considéraient comme leur appartenant. Le Portugal visait à établir une jonction directe entre l'Angola et le Mozambique. Lavigerie accepta et 5 missionnaires débarquèrent à Mozambique, puis Quilimane (point de départ de caravanes vers l'intérieur), le 21 août 1889.

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agrandir: 1889-1911 Vicariat apostolique du Nyassa

Mais les Anglais furent surpris et choqués de cette installation d'une Mission catholique portugaise dans leur zone d'influence (et de commerce). Le heurt fut inévitable, les Portugais cédèrent en 1890. Le Nyassaland devenait colonie britannique.

Les pères blancs arrivèrent à Mponda quinze jours avant l'ultimatum anglais. Ils furent accueillis très froidement, on s'en doute, et par le consul britannique et par les chefs locaux. Ils restèrent cependant 18 mois à Mponda. Le Père Mercui, présent dans cette équipe, regagna Maison Carrée pour expliquer la situation et demander des directives. Un courrier apporta la réponse en juin 1994 : monter plus au nord, vers le Tanganyika. Obéissants, les pères parcoururent 8OO km dans l'inconnu, jusqu'à Mambwe, petit pays mais lieu de passage et de communication. Mais la petite communauté fut démembrée. Mgr Lechaptois était nommé vicaire apostolique du Tanganyika. Le père van Oost venait compléter l'équipe. En l'espace de 4 ans, ses deux prédécesseurs étaient morts, ainsi que 15 autres pères et frères.


Fondation

Les premiers contacts avec divers chefs Bemba furent difficiles. Les pères, après avoir souvent reçu un accueil hostile, réussirent finalement à gagner la confiance d'un chef, Kitika, qui leur montra de la bienveillance. Les pères s'installèrent à Mambwe, sur la frontière du Tanganyika. Mais une rude épreuve frappe la mission : le 16 avril 1895, le P. van Oost mourait d'une violente hématurie. Quelques semaines plus tard, Mgr Lechaptois, informé, arrivait à Mambwe, amenant avec lui le Père Joseph Dupont, qu'il venait de nommer responsable de la mission du Nyassa.


J. Dupont : un portrait - Le P.Pineau trace un portrait du père Dupont à cette date. Retenons-en l'essentiel :

" Âgé de 45 ans, il était dans toute la force de son active maturité. Taille moyenne, épaules larges, robuste… Grand conteur plein de verve, à la parole facile et à la mimique expressive… Tempérament nerveux… Infatigable, bon nageur, très bon chasseur. Très doué manuellement, constructeur habile… Grande mémoire des noms et des visages… Facilité d'adaptation… Entrain et bonne humeur. Crânerie devant le danger, un bon entraîneur. Beaucoup de " dignité " et de prestance. Bref, un bel ensemble de qualités. Et, là-dessus, une inlassable charité.


Chez les Bemba

Mambwe - Mipini - Kayambi

Mambwe n'était pas un lieu de tout repos, loin de là ! Les attaques nocturnes et les escarmouches étaient fréquentes. À quel chef se vouer, où s'installer en sécurité ? La rivalité était constante entre Bamwembe et Babemba.


Chef Makasa Mwelwa

Les échanges de cadeaux étaient souvent ambigus, signes de bon accueil ou fin de non-recevoir ? Les pères se risquent jusqu'à Mipini où règne le souverain Makasa. Échange de cadeaux et de bonnes paroles. Mais Makasa ne veut pas accueillir les pères chez lui sans l'autorisation de son chef. Et l'opposition de ce dernier est d'abord totale. Le P. Dupont soigne les malades, selon son habitude. L'attitude de Makasa change. Toutefois, pour ne pas prolonger l'insécurité des habitants de Mipini, les missionnaires jugèrent préférable de s'installer ailleurs, mais assez près de Mipini, pour maintenir le contact avec Makasa. Ce dernier, enchanté de cette solution, concéda à Bwana Moto Moto (Dupont) un terrain sur une hauteur proche, au lieu-dit KAYAMBI ; Les Pères y arrivèrent le 23 juillet 1895, et fondèrent ainsi la mission de " Notre Dame des Anges ".

Dès le lendemain le Frère Antoine et le P. Dupont commencèrent les constructions et les cultures. La saison des pluies était proche. Les quatre missionnaires vécurent deux mois sous la tente, dans des conditions difficiles. Fin septembre, ils pouvaient s'installer dans leur maison provisoire. L'hostilité du Kitimoukoulou restait totale. Mais le vieux chef mourut le 20 mai 1896, et son successeur se montra beaucoup plus conciliant.


Comment les missionnaires voyaient-ils les Bemba ?


Bemba Power

Derrière un apparent désordre, il y a dans cette population une solide structure sociale et politique. Les chefs jouissent d'un pouvoir absolu. Les Pères parlent d'une politesse rare. Au point de vue religieux, les Bemba sont monothéistes, mais, selon le vocabulaire et la mentalité de l'époque, les Pères voient partout superstition et sorcellerie :

" On honore beaucoup moins le bon Lesa (Dieu) qu'on ne craint les esprits. Et là nous retrouvons les superstitions du paganisme, les incantations et la magie, et les sorciers, cette plaie des sociétés païennes " écrit J. Thérol (p. 64).

On traitait volontiers les Bemba de " brigands " ; Certes, leurs traditions retenaient beaucoup d'exploits sanguinaires et ce peuple de guerriers se livrait fréquemment au pillage de l'une ou l'autre peuplade voisine. Dupont écrit, dès son premier contact avec les Bemba :

" Nous avons trouvé une race d'hommes d'une force et d'une régularité de traits peu commune chez les nègres. Leur air intelligent et noble, leurs manières polies et même distinguées, leur calme énergie, les mettent beaucoup au-dessus de tous ceux que j'ai vus depuis Zanzibar jusqu'ici. Ils se sont montrés fort affables avec nous et mon vif désir est de l'établir au plus vite chez ces chers Babemba ". (Pineau p. 94)

Et il voyait déjà en eux de bons et solides chrétiens. Le P. Louis Oger ajoute " ils trouvèrent une population fière qui n'avait plié le genou devant personne ".

Premiers travaux apostoliques

Le soin des malades : les pères guérisseurs - Et la tente devint dispensaire, entouré de cases pour les malades " hospitalisés ". Les pères passaient le plus clair de leurs journées dans leur dispensaire - hôpital. Ils se firent une solide réputation de guérisseurs. Ce travail devait gagner la confiance des Babemba et les pères y gagnèrent une réputation de " sorciers-guérisseurs ", bénéfiques et très puissants.

Puissants protecteurs contre les sauterelles - Le diaire du poste raconte :

" Pour la troisième fois, nous recevons la visite des sauterelles ; deux fois elles sont venues à la limite de nos cultures, mais ont rebroussé chemin. Aujourd'hui elles planent au-dessus pendant deux heures. Le P. Dupont fait alors des exorcismes et en moins d'un quart d'heure nos champs sont évacués. Nos nègres en sont ébahis et ne manquent pas de constater que notre Dieu est puissant. D'ailleurs, depuis plusieurs mois, la protection du ciel est visible ; les sauterelles ont fait tout le tour de la station sans y entrer, et les semences que les sauvages et leurs chefs avaient fait bénir sont épargnées ". (cité par Pineau P. 19)

L'année 1995 fut une année de famine dans la région. Les pères purent secourir beaucoup de gens.

Accueil et visites - Allées et venues continuelles pour visiter les gens car les missionnaires n'attendent pas qu'on vienne les voir. Ils rendent eux-mêmes beaucoup de visites dans les villages. Le souci de Mgr Dupont était d'être proche des gens et de leurs soucis quotidiens. Mgr Dupont dira un jour aux Sœurs Blanches :

" Pour être missionnaire, il faut savoir perdre son temps. Vous recevrez de nombreuses et interminables visites, il faudra faire bonne figure à tout le monde ; sans quoi, vous seriez bientôt seules et sans influence. Dans ces conversations, ne craignez pas d'aborder les questions religieuses, elles sont toujours bien reçues par les Babemba. Ces conversations et réceptions furent pour nous le point de départ de la Mission ". (Pineau p. 109)

L'évangélisation par les Jeunes - Dupont prit contact avec les villages et recruta des jeunes gens pour l'école, qui devint une sorte de pensionnat comptant jusqu'à 150 internes. L'école était dirigée par le P. Guillé. Les études restaient assez rudimentaires, Mgr Dupont ne voulait pas de jeunes "déracinés ou pédants " ; il fut longtemps réticent avant d'ouvrir une véritable école de catéchistes où la formation devait être plus poussée.

Des hommes de Dieu - La prière occupait une grande place dans la vie des missionnaires. La population locale s'y joignait régulièrement. Ces assemblées de prière devinrent une caractéristique des missions des Pères Blancs dans la région.

Les premiers baptêmes - Les pères respectaient la consigne formelle des quatre ans de catéchuménat. Au début, ils ne baptisèrent que les adultes en danger de mort qui le demandaient.

Les acteurs - Quatre pères et un frère, qui mourra d'une hématurie quelques semaines après son arrivée à Kayambi. En septembre 1896 arriva un renfort de 4 missionnaires. Hélas, peu de temps plus tard mourait le P. Guillé. Le P. Goestouwwers qui le remplaça à l'école mourut 5 mois plus tard, à l'âge de 30 ans.

V - Mgr Dupont Évêque

Mgr Lechaptois restait l'évêque (on disait alors " vicaire apostolique " dans les " territoires de mission "). Rome décida de donner son autonomie à la " mission du Nyassa " en nommant le Père Dupont administrateur du " provicariat " du Nyassa. C'était en janvier 1896. L'année suivante la Mission du Nyassa était érigée en Vicariat Apostolique. Le 16 février, le P. Dupont était nommé évêque titulaire de Thibar : Thibar est le nom d'un ancien évêché de l'Afrique du Nord chrétienne, en Tunisie actuelle. C'était la coutume de désigner un évêque non titulaire du nom d'un de ces anciens évêchés. Les Pères Blancs avaient leur scolasticat (maison de formation) à Thibar. C'est là que Mgr Dupont passera, en retraite, les vingt dernières années de sa vie.


Quelles sont les réactions de Mgr Dupont devant cette nouvelle responsabilité ? Il écrit à un ami : " L'âne ne se préoccupe guère de la richesse des harnais, il ne voit que son fardeau ". Ses lettres, en ces jours-là, disent ses sentiments d'humilité et d'obéissance, et surtout son espérance pour l 'avenir de la mission.

Mgr Dupont choisit pour devise " accendatur ", verbe latin signifiant " qu'il soit embrasé ! ". Il veut parler dans ce souhait du pays Bemba. C'était comme la traduction du surnom qu'on lui donnait : " Bwana Moto Moto : Seigneur le Feu ". Mgr Lechaptois vint à Kayambi ordonner le nouvel évêque, le 15 août 1896, dans l'église en briques recouverte encore d'un toit de paille.

Mgr Dupont n'avait pas une santé bien brillante. Trois hématuries, le foie délabré, des crises de rhumatismes assez fréquentes et douloureuses. À 47 ans, il se voyait déjà comme "un vieux bonhomme". Il faut s'en souvenir lorsqu'il raconte, par exemple, les péripéties de ses déplacements et tractations avec les chefs pour fixer l'implantation de la station.


La mort du roi et la " donation " de son royaume à Mgr Dupont

Le mercredi 12 octobre, l'évêque va rendre visite au roi Mwamba. Il le trouve très malade. Mwamba fait approcher son hôte et lui dit, selon ce que rapporte Mgr Dupont :

" Si vous me guérissez, je vous donne la moitié de mon royaume. Si je dois mourir, vous serez le maître du pays et vous protégerez mon peuple contre ceux qui voudraient le massacrer ". (Pineau p 154)

Les conseillers du roi ont alors proposé de faire venir l'évêque pour les protéger. " Oui, répond le roi, Bwana Moto Moto est le seul homme qui m'ait regardé en face et qui n'ait pas eu peur de moi ; faites-le venir ! " (Pineau p. 155)

Il faut ici tenir compte du contexte culturel de l'affaire. L'opinion commune est que la mort n'est pas, si l'on peut dire, naturelle. Quelqu'un en est jugé responsable. Qui ? Globalement le peuple, et plus précisément les membres de la famille royale. Vengeances et règlements de compte risquent de se multiplier. On parle volontiers de pillages des biens du roi, et de véritables massacres. Le " prétexte " invoqué, c'est qu'il faut donner la paix au roi défunt. En tout cas, beaucoup craignent le pire, et voudraient, grâce à l'influence et au grand prestige de l'évêque, éviter les débordements.

Mgr Dupont propose au roi d'aller s'établir à une journée de la capitale. Le roi s'y refuse : " Mon peuple n'aura pas le temps de vous rejoindre, il sera tué en route ". On convient alors de se fixer à MIROUNGOU, distant seulement de 3 km. Le roi meurt le 24 octobre. Les pillages commencent. Beaucoup d'hommes se précipitent vers Mgr Dupont pour qu'il les protège. Les gens apeurés se regroupent autour de l'évêque. Celui-ci note :

" Je finis par prendre mon rôle au sérieux. Je suis déjà assez au courant de ma situation pour expédier une foule d'affaires à la satisfaction de mes sujets. Ma capitale, née d'hier, est aujourd'hui une des plus grandes agglomérations du Centre Africain ; elle couvre environ trente hectares, et les gens sont encore entassés les uns sur les autres ". (Pineau 164)

Huit mille personnes, précise le Père Boisselier. Après avoir consulté une assemblée de chefs locaux, Dupont écrit le 26 octobre au Gouverneur britannique pour l'informer de la situation, le rassurant sur sa loyauté. Il informe également Mgr Livinhac, supérieur général des Pères Blancs à Alger, de la situation insolite où les circonstances l'ont placé.

Mfoupa, qui était l'héritier présomptif, s'est livré à des pillages. L'assemblée des chefs l'oblige à réparer les dommages. Peu de temps après, le conseil décide la reprise des cultures, signe que la paix et la sécurité sont revenues.

Restent les sérieux problèmes de santé du nouveau " roi ". À Kayambi, en 1898, il écrivait déjà : " Je suis constamment malade, fort anémié, je suis même contraint d'emprunter la plume charitable d'un confrère pour vous adresser ces lignes " ; (Lettre d'août 1898 citée Pineau p. 152 note).

Fièvre et rhumatismes le font toujours beaucoup souffrir. Lui-même note :

" Je souffre atrocement dans les jambes, un de mes pieds est enflé, mais comment pourrais-je me soigner, ma tente est assiégée du matin au soir. " (Pineau 169)

Le même Père Pineau, biographe, note fièrement :

" Ainsi donc, en quelques semaines, la situation de la Mission était complètement retournée ! Les missionnaires, désemparés sur le Kyambeshi, repoussés de tous côtés, sont maintenant désirés et appelés par tous… L'évêque, que ni Mwamba ni Kitimoukoulou n'avaient voulu recevoir, est devenu roi légitime de l'Itouna, et c'est avec enthousiasme que le peuple se serre autour de lui, et que les chefs le reconnaissent. (p. 171).


Chilubula: le matin après la mort du roi Mwamba


Mgr Dupont ROI ?

Il est fréquent en Afrique, qu'un personnage proche de la mort, confie les siens ou ses " sujets " à un ami, un homme de confiance. Celui-ci devient-il chef de famille au sens fort ? Il ne semble pas. Que Mgr Dupont ait joué ce rôle de protecteur, de père et même de roi, c'est évident. Il dit lui-même : " Je finis par prendre mon rôle au sérieux ".

Bien plus tard, en 1926, le vieux Kaliimanshila répétait :

" C'est devant tout le monde que Mwemba a parlé et toutes les oreilles ont entendu ses paroles :'Bwana, si je meurs, mes enfants, mes femmes, mes biens, je te les lègue ; mes gens, tu les gouverneras ; mon royaume est à toi ". (cité par Pineau p. 181)


Et le Père Pineau signale :

" Le 15 janvier 1899, Mgr Dupont rédige un acte dans lequel les gens de la maison du roi attestent, en le signant de leurs pouces, que Mwamba l'a nommé son successeur, avant l'arrivée de tout européen. C'est cette attestation vraiment authentique de sa royauté que Mgr avait léguée comme souvenir au Petit Séminaire de Beaupréau. Cette pièce a malheureusement disparu en 1906, lors de l'expulsion du Séminaire ". (Pineau P. 181)

Il est arrivé fréquemment à un missionnaire en Afrique qu'on dise de lui " c'est mon père ". tout le monde comprend. Mgr Dupont fut " roi " comme ses sujets Bemba furent des " brigands " ! Mais on sait que Mfoupa fut le réel successeur désigné du roi défunt.

Mirungou

Le poste de mission fut établi à quelque 20 km de Mirungu. Peu de temps après, visite du successeur officiel de Mwamba, qui avait tenu conseil et programmé la mort de quelques dignitaires pour apaiser les mânes du roi défunt. Mais il fallait l'accord de Bwana Shikofou, l'évêque. Ce dernier s'opposa fermement à ce qu'une goutte de sang fût ainsi versée. En souvenir de cette protection, la nouvelle station fut appelée Chilouboula (on disait alors Kilouboula) ce qui veut dire : " La délivrance ". Aussitôt commença la construction de l'habitation des missionnaires, et d'une vaste église.


Première église de Chilubula,
Si la qualité laisse à désirer, c'est que cette photo date de plus d'un siècle. C'est un document d'archives,
comme les autres photos des qui datent du XIX° s.

Assez vite les pouvoirs de Mgr Dupont furent précisés avec exactitude par l'administrateur Britannique. Mgr Dupont dut cependant batailler pour obtenir l'ouverture d'une nouvelle station au sud, dans le Nzenga, ce que lui permettait l'arrivée d'un groupe de nouveaux pères blancs.


VI - Retour en Europe


Le 4 août 1898, Mgr Dupont écrivait à Mgr Livinhac : " Je me sens bien fatigué, et si vous n'y voyez aucun empêchement je compte prendre en janvier le chemin de l'Europe ". Il était plus explicite dans une lettre du 23 septembre :

" Ma pauvre loque est tout en morceaux et ne vaut pas deux yards. Pourquoi ne m'enverriez-vous pas le Père Guillemé. La langue qu'il parle diffère peu du Kibemba. C'est un vieux missionnaire qui sait prendre les gens et qui fera de l'Oubemba ce qu'il voudra. Moi, j'ai trop souffert, et mes 50 ans commencent à me peser bien lourdement sur l'échine. Je n'ai plus l'entrain et la gaieté qu'il faudrait ici ". (Pineau p. 194).

Le Père Guillemé fut nommé administrateur du Vicariat en août 1899. Ce dernier comptait alors 8 pères et 4 frères, et trois postes de mission : Kayambi, Kilouboula et Kilonga. Le 15 octobre, l'évêque put bénir la nouvelle église de Kilouboula. Le lendemain il partait pour l'Europe. Il débarqua d'abord à Alger le 22 février 1900 suivant. Il marchait avec des béquilles. Il participa au Chapitre général des Pères Blancs, puis regagna son Anjou natal.

À l'automne, consultation médicale à Paris : " Je véhicule, paraît-il, des maladies inconnues en Europe. Une consultation aura lieu aujourd'hui. À trois, ils vont se mettre sur ma pauvre carcasse ! À quoi réussiront-ils, à me guérir ou à me tuer " ? (Pineau p. 200)

Il devait rester quatre ans en Europe, multipliant les soins et les cures, sans guère de succès. Il rêvait d'un retour, mais finissait par se décourager. Il s'employa à demander et obtenir de nouveaux missionnaires pour le Nyassa. Des Pères Montfortains purent se maintenir dans le sud et, en 1903 fut érigée une préfecture apostolique autonome.

Il obtint également la venue d'une communauté de quatre Sœurs Blanches. Il ne put, malgré son désir, être le guide de leur caravane. Il finit par offrir sa démission, mais celle-ci fut refusée. Il commença aussitôt à préparer son départ pour le Nyassa.. Il s'embarqua à Marseille le 30 avril 1904, pour débarquer à Chindé (embouchure du Zambèze) le 4 juin, et parvenir à Blantyre où l'attendait le P. Guillemé. Son voyage est bien ralenti par des ennuis de santé…

Il fut accueilli triomphalement à Chilouboula. Mais la réalité le déçut assez vite. Il avait rêvé de foules de chrétiens. Or la moisson état peu abondante, le travail des missionnaires très dispersé. Les postes du sud connaissaient alors un plus grand succès.

Mgr réalisa qu'il fallait à tout prix des catéchistes bien formés. Ses réticences de jadis étaient dissipées. Il confia l'école de catéchistes au Père Guillemé. Il choisit de former des catéchistes-itinérants plutôt que des catéchistes-instituteurs, établis à demeure près de leur école. Fin 1905, 342 catéchistes avaient été ainsi formés. Ce type de formation devait entraîner quelques difficultés quand l'administration exigea une formation plus poussée des enseignants.

VII - La retraite à Thibar (Tunisie)

Après ses quatre années en France, Mgr Dupont avait préparé son retour sans trop d'illusions. Il écrivait à un ami :

" Il faut en prendre son parti. Je suis comme ces vieux habits dont l'étoffe est brûlée par l'usage ; ça ne se raccommode plus, on les renouvelle. Soyez donc assuré que je ne vis pas dans le luxe des illusions ; mais un vieux serviteur se doit d'être fidèle jusqu'au bout, et de mourir auprès de ceux qu'il a essayé de servir de son mieux. C'est là ma force, comme aussi ma consolation ". (Pineau p. 251)


Une fois sur place il ne put s'empêcher de reprendre son rythme de jadis, ses déplacements et ses travaux. Mais très vite les crises recommencèrent. Il frôla plusieurs fois la mort. Pourtant dès qu'il y a un mieux, le voilà reparti…


En avril 1905, il écrit à Mgr Livinhac :

" Je ne suis plus guère qu'une ruine. Depuis mon retour, j'ai passé sur mon lit les deux tiers du temps. Cette lettre est la première que j'écris de ma main depuis longtemps. En ce moment il y a un mieux, mais l'expérience m'a appris que ces accalmies sont bien transitoires.

Je m'attendais bien à cela en revenant ici, aussi je suis content d'une situation que j'ai acceptée et que j'accepte encore de grand cœur ! Une chose cependant me peine : je ne suis jamais à la Règle avec la Communauté, et c'est un bien mauvais exemple. Je redoute parfois le scandale qui pourrait en résulter.

Tout travail intellectuel m'est impossible, et j'ai tellement perdu la mémoire que depuis cinq mois que je suis ici (à Chilouboula) je n'ai pu apprendre à connaître les familiers de la maison. Cela me gêne beaucoup dans les relations avec les indigènes. Enfin, Deo gratias ! ". (Pineau p. 252)


Les critiques se multipliaient. On le disait diminué, inapte à continuer de remplir sa fonction. Il le savait, Il en souffrait, et parfois réagissait mal ; ce qu'il regrettait ensuite : " Je m'excuse, j'étais contrarié, et j'ai pensé tout haut, c'est de ma part, je l'avoue, une faute sérieuse. (ibid 254). Il part pour une tournée très fatigante dans les missions du sud ; Voyage épuisant, qui le laisse à demi mort.

La conclusion s'imposait. Il la tire dans une lettre à ses supérieurs, en avril 1904 :

" Le Vicariat du Nyassa gagnerait à passer en de meilleures mains. 'Non recuso laborem ; (Je ne refuse pas le travail -- formule qu'on prête à l'évêque saint Martin de Tours) mais je crois qu'un changement serait avantageux pour cette mission. Ne vous inquiétez pas de moi, je n'irai pas grossir le nombre des invalides au Sanatorium. Je peux aussi bien mourir ici qu'ailleurs, et en attendant l'heure de la Providence, je tâcherai de ne gêner personne.

Si vous le jugez bon, vous pouvez prendre ces lignes comme une démission et faire les démarches en conséquence. Ce sera un grand service que vous aurez rendu au Vicaire apostolique et au Nyassa ". Cité par Pineau, p. 255)


Mgr Dupont nomme le Père Guillemé Vicaire Général. Il envisage la division du Vicariat en deux, le Bangweolo au Nord, le Nyassa au sud. Il pourrait garder le Nord, qu'il connaît mieux, et dont il parle la langue. Il ajoute qu'il est prêt à aller de bon cœur là où on l'enverra. Mais en février il apprend qu'on en a décidé autrement : une nouvelle Préfecture du Bangweolo est érigée au Nord, tandis que le vicariat du Nyassa, au sud, garderait son actuel titulaire. Il en fut navré et blessé. Il écrit au Père Girault, son ami, alors membre du Conseil Général des Pères blancs à Maison Carrée, une lettre qu'il faut citer intégralement :

" Je reçois la lettre que vous m'écrivez au nom de notre Vénéré Supérieur Général.
Vous m'imposez, sans vous en douter, le plus grand sacrifice que j'ai eu à faire dans ma vie. Dans le Nord, tout le monde me connaît, je sais la langue, mon influence est grande dans tout le pays. Je suis attaché à ces missions par toutes les fibres de mon cœur

Dans le sud, je ne connais pas les gens, je ne parle pas la langue, et je n'ai aucune influence. Ces quatre missions, si intéressantes qu'elles soient, écrasées par les Protestants comme dans un étau, sont sans possibilités d'extension et elles ne conservent leurs positions que par une lutte quotidienne et acharnée. Ce sont des procès incessants auprès des autorités civiles. Il faut là un Vicaire apostolique qui parle anglais et qui ait la main très ferme. Deux choses qui me font absolument défaut.

Le chagrin de quitter mes Babemba, uni à d'autres souffrances que la Providence a permis ces derniers temps, contribuera plus que toute autre chose à ruiner le reste de mes forces. […] Assurément, je dirige déjà ces missions de l'Angoniland, mais de loin.. Quand je serai sur place, à poste fixe, je serai par force jeté dans une mêlée où je ne puis tenir ma place.

Ne croyez pas que j'hésite à obéir, mais j'ai cru de mon devoir de vous présenter ces observations, que d'ailleurs j'avais déjà faites. Je ne suis pas l'homme qu'il faut pour faire des Missions de l'Anginiland un Vicariat, tandis que dans le Nord j'ai une autorité si reconnue et si étendue, que je puis encore rendre quelques services.

Après avoir écrit ces lignes, pour acquit de conscience, je me remets entre les mains de notre Vénéré Supérieur Général et de son Conseil ; je ferai de mon mieux ce qui me sera ordonné. J'espère que le Bon Dieu me fera la grâce d'une prompte et complète obéissance ; c'est ce que je lui demande tous les jours et ce que je vous prie de demander pour moi… Agréez, mon révérend Père et cher Confrère, la respectueuse expression de ma fraternelle et toujours bien cordiale amitié.. (Pineau p. 257-8)

Mgr Livinhac proposa alors à Mgr Dupont de donner sa démission. Sans tarder, ce dernier envoyait à Rome sa demande officielle de démission, le 18 octobre 1910 :

" Je ne sais pas, écrit-il, l'amour d'une mère pour ses enfants, mais je connais celui d'un cœur d'évêque pour ses noirs Brigands, et je crois pouvoir dire qu'il n'en est pas de plus fort " (Pineau p. 258)

Fin février, la démission était acceptée. Fin avril, on apprenait la nomination de Mgr Guillemé comme Vicaire Apostolique du Nyassa. Et le 5 septembre 1911 Mgr Dupont reprenait pour toujours le chemin de l'Europe. Il avait alors 61 ans. Fin 1911 il débarque à Marseille. Il pensait en avoir encore pour quelques années paisibles, se préparant à la mort. Il en aura encore pour vingt ans ; sa santé se rétablit, pour l'essentiel. Il choisit comme lieu de retraite Binson, dans la Marne (France), où se trouvait alors le Séminaire de Philosophie des Pères Blancs. Il aimait ce milieu de jeunes.

Ila aidait les évêques des environs pour les confirmations ; il se fit ensuite vicaire du curé de Gesté, sa paroisse natale, durant la guerre de 1914. Mais très vite, il souhaita se retrouver en famille, dans une communauté de Pères Blancs. Et ce fut Thibar, le lieu où jadis s'élevait la ville de son titre épiscopal. Le scolasticat des Pères Blancs et le domaine agricole voisin se trouvaient là, à 120 km de Tunis. Il y mena la vie d'une paisible retraite, d'une régularité exemplaire.


Que dire de ces vingt années de retraite ? Mgr Dupont eut l'occasion d'aller faire les ordinations des Jeunes Pères Blancs, à Carthage, et d'aller à Maison Carrée (Alger) pour l'ordination épiscopale de Mgr Sauvant, nommé évêque à Bamako. Mais, pour l'essentiel, note le Père Pineau : " A Thibar, Mgr Dupont vivait de ses souvenirs, il priait, et il souffrait en silence pour ces chers Babemba ". (p. 266)


Il se sent comblé d'apprendre le baptême de ses anciens " brigands " comme il dit. Il embellit d'ailleurs volontiers l'image de ces chers Babemba. Il reste fidèle à son image du " missionnaire de base " ; il rappelle volontiers ce qu'il disait :

" Ne m'envoyez pas de ces missionnaires qui savent tout faire et tout juger, ce sont des démolisseurs. Les vrais ouvriers qu'il nous faut ici, ce ne sont point ceux qui veulent être 'attelés ' tout seuls, pour faire 'leur œuvre', mais de vrais Pères Blancs, qui aiment à se perdre dans l'anonymat de l'apostolat, pour faire uniquement l'œuvre de Dieu" (Pineau 276).


Fidélité exemplaire aux " exercices de piété ", comme on disait alors ; désinté-ressement total ; travail dans son petit jardin. Il passait des journées paisibles, aimable avec tous. En juillet 1928, il put célébrer ses cinquante ans d'ordination. Le 15 mars 1930, il travailla dans son jardin, mais le soir, il prit froid. On ne le vit pas à l'oraison le lendemain matin. Il put se lever, accueillir son confesseur, recevoir la communion en viatique. Il y eut un mieux, mais de courte durée. Vers 16 heures il s'affaissa tout doucement dans son fauteuil. Le médecin présent n'eut qu'à constater son décès.

VIII - Questions et problèmes d'aujourd'hui :

sorcellerie - inculturation - rencontre du Christ dans la foi

1) Clarifier termes et notions

Sorcellerie, sorciers, magie, magiciens, superstitions… Le vocabulaire des contemporains, et celui des diaires de postes ou des rapports divers mêlaient un peu tout. On voyait globalement dans la sorcellerie un ensemble de pratiques plutôt maléfiques. On peut cependant distinguer : la sorcellerie maléfique et la sorcellerie bénéfique.

Du côté de la sorcellerie maléfique, en anglais on distingue :

sorcery qui veut dire : tout ce qui relève d'un savoir-faire pour le mal. Le sorcerer possède la maîtrise d'actes magiques nuisibles impliquant la connaissance acquise de substances pour préparer des charmes ou des formules à prononcer (le witch).

et Witchcraft qui veut dire : tout ce qui renvoie à une nature foncièrement mauvaise, mais agissant le plus souvent à l'insu du sujet. Celui qui la pratique est possédé d'une capacité de faire le mal involontairement.

On peut dire que le sorcier est quelqu'un qui trouble l'ordre social. Il n'y a donc jamais " le sorcier du village " comme un personnage officiellement reconnu. On peut parler d'un ensorceleur, ou jeteur de mauvais sorts. Quelqu'un sera soupçonné ou accusé d'être sorcier ou surtout sorcière, surtout s'il sort un peu de la norme (une vieille, un handicapé…)

Du côté de la sorcellerie bénéfique, on parlera plutôt de désensorceleur. Quelqu'un sera réputé ou reconnu désensorceleur (witch doctor). Mais pour être un nganga, c'est-à-dire un désensorceleur efficace et digne de confiance, capable de lutter victorieusement contre les attaques du mauvais sort, il faut être un peu sorcier soi-même, et plus fort que les autres. C'est pourquoi les guérisseurs et les antisorciers sont craints.

Louis Oger note :

" Tout Nganga est pour la santé et le bien-être du groupe et est, de ce fait, respecté. Mais il est aussi craint. Qui sait s'il ne ' faussera pas le jeu', n'abusera pas de ses pouvoirs pour devenir ensorceleur ? (p. 38)

Et il arrive qu'il exploite la peur des gens. Abus et injustices sont assez fréquents.. Malgré cela, on fera appel au " nettoyeur de village ", quand la situation l'exige ; il répond à un besoin social essentiel.

Tout ce domaine de la " sorcellerie ", au sens englobant du mot (bénéfique ou maléfique), concerne ainsi les tensions sociales et leur réduction, la maladie et la guérison ou la mort. Et donc des secteurs essentiels de la vie.


2) La peur

Oger note encore :

" En 1970, lors d'un séminaire sur les coutumes dans notre paroisse, la question fut posée ; pour quelle raison êtes-vous devenus chrétiens ? La réponse unanime de l'assemblée fut : la peur ". (p. 38)

Qui pourra libérer de cette peur ? Dupont et les missionnaires witch doctors (désensorceleurs) ? Rappelons-nous ce que disait Louis Oger :

" Le Père Dupont, par des actes symboliques et la lecture solennelle de l'évangile, voulait mettre en évidence le pouvoir de la foi dans le Christ. Mais les gens ne connaissaient pas encore le Christ, et ne purent saisir ainsi la nature de ce pouvoir. Ils le virent dans la personne de Dupont, et dans ses actions, gestes et paroles… Telle fut la vision des gens : les pères avaient un pouvoir supérieur. C'est pourquoi ils pouvaient recevoir les ensorceleurs ou jeteurs de sorts chez eux, vivre en paix avec eux, et même en faire des hommes de Dieu, catéchistes ou autres. Le moyen de communier à ce pouvoir était d'embrasser leur religion, apprendre le catéchisme par cœur, se soumettre aux nouveaux interdits et aux nouveaux rites et gestes ". (supra ch.1)


Les missionnaires vus comme des désensorceleurs ? On peut dire qu'ils ont joué le jeu, sans pouvoir démêler cet écheveau de tout ce qu'ils considéraient comme sorcellerie. Le Christ qu'ils annonçaient était vu comme un super-guérisseur, et les missionnaires comme ses représentants, fondés de pouvoir. Ils soignaient et guérissaient les malades ; ils se montraient plus forts que les " sorciers ". Leur action touchait ainsi au cœur des préoccupations essentielles des gens, au cœur de leur culture.

Cent ans plus tard, Mgr Milongo touchait le même problème essentiel. N'était-il pas un très puissant nganga ?

3) Un problème pastoral toujours actuel

Le P. Oger cite une lettre de Mgr Mpundu, évêque de Mbala/Mpika :

" Je n'ai aucun doute que la sorcellerie (ou la croyance en la sorcellerie), ainsi que la possession par les esprits, sont de symptômes de souffrance et d'esclavage, chez nos gens, dont le Christ veut les délivrer. Pourquoi donc, jusqu'à aujourd'hui, la Parole de Dieu n'a-t-elle pas été très efficace contre ce phénomène. Je pense que la raison est dans la manière de transmettre cette Parole pour qu'elle s'attaque aux causes profondes. " (Oger, p. 9)


Et lui-même commente :

" N'y a-t-il pas là un appel à une deuxième évangélisation, en profondeur, de la mentalité bemba elle-même ?… Monseigneur n'a-t-il pas indiqué le lieu privilégié où les chrétiens doivent s'inculturer le Christianisme, et le champ privilégié de notre action ? ". (ibid)

" L'affaire Milongo fur une interpellation de l'Église en Zambie, et un défi, qui n'a pas encore été relevé. Interpellation et défi comme fut le mouvement Lenshina, l'initiative Emilyo, et comme le sont actuellement les nombreuses sectes et groupuscules religieux qui s'organisent en petites Églises locales et récupèrent 'religieusement le rôle du Nganga et du nettoyeur de village " (P. 21)

Le P. Oger rappelle quelques pistes que nous ne pouvons développer ici : Au départ accepter la vision que les gens ont de nous - s'en servir - l'assumer pour la dépasser :

" Le but est de démystifier le sorcier, qui n'a de pouvoir magique que si le groupe y croit ; dé-diaboliser la chasse aux sorciers, dans laquelle on ne voit le mal que dans les autres ; aider paroisses et communautés à reconnaître le mal, à le nommer et à se prendre en mains " (p. 67)


L'objectif est clair, la démarche difficile. Un exemple d'inculturation. Le P. Louis Oger a mené une réflexion approfondie et très éclairante en ce domaine. Le titre complet de son travail est le suivant :

Une ombre dans les missions
LA SORCELLERIE, lieu méconnu de la rencontre du Christ dans la foi.
Réflexions pour une deuxième évangélisation en milieu Bemba, Zambie.

Voir aussi sur Voix d'Afrique les 2 articles sur Mgr Dupont (dont le retour des cendres de Mgr Dupont à Chilubula) Texte et autres photos

In Englih
Centenary foundation of Santa Maria Chilubi Island (1903-2003)
Bishop Dupont Motomoto written by B.A. Poisson, M. Afr.