Mgr Claude Rault, évêque du Sahara algérien
Depuis
une vingtaine dannées, Claude Rault donne des retraites
sur Evangile de Jean. Il y trouve une forte motivation dans lengagement
dune vie partagée avec les Musulmans et dans un esprit
inspiré dans lEvangile et de lexemple de Jésus.
Un livre, Jésus, lHomme de la rencontre, reprend la retraite
de huit jours donnée aux moines d'une abbaye canadienne en 2010.
Pour donner une idée du contenu, nous reproduisons ici le début
du chapitre d'introduction. Imprimé au Canada, le livre peut
maintenant se trouver en Europe. Remercions ici notre confrère
pour le témoignage qu'il nous partage et l'aide qu'il nous apporte.
Jésus, l
Homme de la Rencontre
Nous voici
partis pour un long parcours, dans lÉvangile de Jean, que
jai appelé Jésus, lHomme de la rencontre.
Le premier but de la lecture que nous allons entreprendre est de nous
rapprocher du Rabbi, Jésus, le Fils de lhomme
comme il se définit lui-même. Ce titre quil se donne,
je le prends dabord tel quil nous vient, même si son
sens est complexe et masque sa véritable identité plutôt
quelle ne la dévoile. Cette rencontre avec Jésus
nous invite à nous arrêter un peu, à lécart,
dans notre
monde agité et bousculé, où il y a tellement à
faire ! Cela exige du temps et une certaine gratuité, de la disponibilité
qui se moque au besoin de la montre ou de la pendule, même sil
faut parfois les regarder ! Mais nous verrons avec quel souci cet évangile
note lheure des grands événements de
la vie du Maître, heure dont le sens est plus important que le
nombre de ses minutes !
Jésus, lhomme de la rencontre. Dans la rencontre, il importe
dêtre soi, et de laisser à lautre la possibilité
dêtre lui-même. La rencontre est gratuite, elle fait
souvent naître dabord la curiosité, puis lintérêt,
et enfin lamitié. Ceci est vrai dans notre relation à
Dieu. Rencontrer Dieu cest
dabord être en vérité avec soi et avec lui,
cest le laisser être Dieu en nous, lui permettre dentrer,
et cest un risque, car il peut être encombrant. Mais jamais
Il ne simposera. Jésus se montre un maître de la
relation, et avec Dieu son Père et avec les autres. Venu de Dieu,
il nous apprend à rencontrer Dieu. Venu se glisser dans notre
humanité, il nous apprend à rencontrer les autres.
Pourquoi avoir choisi lÉvangile de Jean et pas un autre
? Précisément, parce que cet écrit est un tissu
de rencontres. Ma petite expérience de vie dhomme et de
chrétien dans un monde marqué par lIslam ma
appris le sens des rencontres et de la relation, ma appris à
rencontrer lautre autrement que par le seul biais de la religion.
Cest dabord à travers la rencontre que nous sommes
appelés à révéler Jésus et son message.
Jy reviendrai, nous ne trouvons dans le quatrième évangile
quune seule fois le verbe
évangéliser. Cest peut-être aussi
pour cela que lévangile de Jean ma tellement investi.
Cela surprend à une époque où dans lÉglise
on parle tant dévangélisation et de nouvelle
évangélisation. Les communautés auxquelles
sadresse lauteur du quatrième évangile (je
lappellerai « Jean » puisque la Tradition le lui attribue)
étaient dans une radicale incapacité dévangéliser,
de proclamer par leur
bouche la Bonne Nouvelle de Jésus. Ils se trouvaient dans un
environnement hostile à cette tentative. Tout se concentrait
alors dans la vie et le témoignage des disciples. Pas déchappatoire
! Impossible pour eux de la proclamer sur les terrasses ou les places
publiques. Leur vie était leur évangile, leur existence
même trahissait leur identité :« À ceci tous
vous reconnaîtront pour mes disciples : à lamour
que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Tout un programme,
nest-ce pas ? Et si nous recommencions par là ? Nous sommes
par trop soucieux defficacité, de rendement chiffré,
même dans cette Église que jaime et que je sers,
et je me prends la tête lorsque je dois envoyer à Rome
les statistiques sur le nombre de baptêmes, de confirmations,
de mariages ! Oui, nous sommes trop soucieux defficacité
et pas assez de cohérence avec le message que nous voulons porter
au monde.
Je nai gardé dans ce parcours évangélique
que les récits, laissant de côté les discours, qui
sont nombreux et ont été sans doute rédigés
plus tardivement, dans un autre contexte.
À titre de précision utile, lévangile de
Jean a subi plusieurs phases décriture et sest adapté
aux lieux, aux temps et aux circonstances. Sans doute a-t-il connu une
première ébauche dans les Églises palestiniennes,
puis dans la région dÉphèse. Cest là
que les discours ont été ajoutés. Ils sont plus
difficiles, plus ardus que les récits, et cest souvent
à cause de cela que cet évangile est moins fréquenté.
Cela nenlève rien dailleurs à leur valeur.
Des exégètes notent que les récits sont à
la base de cet écrit
constitué dabord à partir de la relation dévénements,
et ces événements sont surtout des rencontres interpersonnelles.
Lauteur les relate et ils serviront de point de départ
à des discours, plus longs développements qui souvent
débordent largement le point de départ des récits.
Ces derniers sont plus faciles, plus vivants, plus parlants ils nous
mettent en présence de Jésus dans sa relation avec les
hommes et les femmes de son temps. Ils deviennent une sorte de «
pédagogie de la rencontre » tant
ils sont pétris dhumanité. Il devient facile de
sidentifier avec ces personnages bien typés tels que la
Samaritaine, Nicodème, Marthe et Marie, et tel ou tel des disciples.
Personne ne sort indemne de ces contacts avec le Galiléen !
Lévangile de Jean : un appel à lintériorité
Il y a plusieurs façons daborder lévangile,
comme dailleurs tout texte sacré. Cest dabord
un écrit, un texte. Il peut tout simplement être traité
comme tel, sans plus. Il mérite sa place dans la littérature
ancienne. Les récits peuvent être lus comme de belles histoires
édifiantes ou même merveilleuses, dont on peut dailleurs
contester la vérité historique au sens moderne jusque
dans les détails. Ils sont surtout chargés de symboles,
et sengager dans ce parcours devient une aventure intérieure,
et cest cela qui nous intéresse ici. Sans négliger
le support historique, ils mènent plus loin que lévénement
tel quil a pu se dérouler, ils conduisent à la recherche
du sens et à ce que cela peut entraîner dans notre vie
de foi, dans notre relation à Dieu et aux autres. Lauteur
le dit dans lune de ses conclusions : Jésus a accompli
en présence des disciples encore bien dautres signes qui
ne sont pas relatés dans ce livre. Ceux-là lont
été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ,
le Fils de Dieu, et quen croyant vous ayez la vie en son nom (Jn
20,30).
Et si cétait vrai ? Il ne sagit donc pas dune
simple curiosité littéraire, mais dune véritable
démarche intérieure, une marche à la suite de Jésus
qui peut à la fois changer notre vie, faire de nous des témoins,
peut-être silencieux mais vivants, de Celui qui nous précède.
Prendre Jésus comme Maître de vie est un
risque : celui de nous laisser transformer pour devenir un peu comme
Lui. Sommes-nous prêts à prendre ce risque ?
Origène (Commentaire sur Saint Jean, Sources chrétiennes
120, p. 71) écrivait à propos de cet évangile :
« Il faut donc oser dire que, de toutes les Écritures,
les évangiles sont les prémices et que, parmi les évangiles,
ces prémices sont celui de Jean, dont nul ne peut saisir le sens
sil ne sest renversé sur la poitrine de Jésus
et na reçu de Jésus Marie pour mère. Et,
pour être un autre Jean, il faut devenir tel que, tout comme Jean,
on sentende désigner par Jésus comme étant
Jésus lui-même. Car selon ceux qui ont delle une
opinion saine, Marie na pas dautre fils que Jésus
; quand donc Jésus dit à sa
mère : « Voici ton Fils », et non : « Voici,
cet homme est aussi ton Fils », cest comme sil lui
disait : « Voici Jésus que tu as enfanté ».
Origène (né en Égypte vers 185) fait partie des
premiers Pères de lÉglise, ces chrétiens
qui ont pris le relais des apôtres et des évangélistes
dans la transmission et linterprétation du message de Jésus.
Leur témoignage est important parce quil est de première
main. Ce que je retiendrai de ce passage, cest linsistance
sur la dimension intérieure de lévangile de Jean.
Pour entendre battre le coeur du Fils de lhomme, il faut se pencher
sur sa poitrine, comme lapôtre la fait au moment de
la Dernière Cène.
Lallusion à Marie est aussi très signifiante. Il
nous faut nous mettre à lécoute du coeur de Jésus
comme une mère enceinte laisse ses enfants poser leur oreille
sur son ventre pour leur faire entendre le petit coeur qui bat en elle.
Il en est ainsi de Dieu. Il nest pas visible, mais il est perceptible
dans lhumanité même de Jésus. Il faut se pencher
sur sa poitrine pour y entendre battre le coeur de Dieu.
Nous mettre à la suite du Maître
Mettons-nous en route ! Non pour une marche touristique même
si certains récits sont dune réelle beauté
mais pour un long parcours, jamais fini. Si Jésus se définit
aussi comme « le chemin », cela nous promet une sacrée
ballade ! Nous ne partons pas pour une course de vitesse, mais
pour une longue, longue randonnée. On ne part pas pour un marathon
comme on part pour piquer un cent mètres. Alors ici le facteur
temps est important. Mais avant le départ, laissons-nous interroger.
La première parole de Jésus dans lÉvangile
de Jean est une question « Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38)
Cest ainsi quil sadresse aux deux premiers disciples
qui lui ont emboîté le pas. Cette première petite
phrase tout à fait anodine est une question et non une réponse
à leur curiosité. LÉvangile nest ni
un livre de cuisine et de recettes ni une encyclopédie où
nous pourrions trouver réponse à toutes nos questions.
LÉvangile pose finalement plus de questions quil
nen résout !...
Edit ABBAYE N-D-du-LAC - Collection Voix Monastiques
-
31/10/ 2012, 178 p, 18,00 €