Témoignages

Père Félix Géraud, 50 ans de serment et en congé

Félix Géraud prêchantUn aventurier en Ouganda

Félix Géraud a 79 ans et raconte, avec son accent pétillant d’aveyronnais, sa vie de missionnaire, très mouvementée. Félix est à Béziers pour fêter, cette année, 50 ans de serment.

Mon premier contact avec la langue parlée à Mbarara, le runyankole, eut lieu 31 rue Friant. J’y rencontrai le père Raphaël Ordonneau qui retournait dans l’Ouganda avec Mgr Ogez. Il me donna une leçon, qui dura toute une matinée, et me laissa quelques prières et salutations avant de quitter Paris. Une fois rendu à Mbarara ce fut lui qui nous donna des leçons de runyankole pendant trois mois. « Cela suffisait, disait-il, pour affronter le public toujours très indulgent et compréhensif à notre égard ».

Assécher un marais
En 1966, je suis nommé curé de la paroisse de Nyarushange. Le territoire de la paroisse était coupé en deux par un immense marécage de 70 hectares. Ce marécage, non seulement coupait géographiquement la paroisse, mais était aussi la cause de frictions entre paroissiens, qui ne voulaient pas s’obliger à traverser ces cours d’eau pour venir prier le dimanche.


Travail titanesque, avec l’aide du SOS,
Félix fait drainer 70 ha de marais

Avec l’aide du Secours Catholique, nous avons drainé le marécage : nos paroissiens pouvaient maintenant se partager 70 hectares de jardins ! Plus tard une route et un pont ont permis aux voitures de passer d’un côté à l’autre de la paroisse. Je me souviens qu’après la première récolte de sorgho, les nouveaux jardiniers nous manifestèrent leur gratitude en offrant à la paroisse de Nyarushange 60 sacs de sorgho.

Après la réunification du territoire paroissial, on se mit à construire l’église principale. Elle fut achevée en 1983. Cette année-là, déclarée “Jubilé de la Rédemption” par le Pape Jean Paul II, la paroisse organisa, avec la collaboration de la Légion de Marie, la régularisation des mariages coutumiers. On a uni ainsi par le sacrement du mariage près de 500 couples et les messes des mariages étaient suivies de festivités : parades, banquets, danses.

L’historien
Je suis resté 23 ans dans la paroisse de Nyarushange. Par le plus grand des hasards, je découvris dans la bibliothèque de notre maison de Pau un petit opuscule du père Ouffays qui décrivait l’arrivée des premiers missionnaires dans le nord du Rwanda. Les frontières n’avaient encore été délimitées sur le terrain. En fait, ce rapport décrivait le territoire sud du diocèse de Kabale. Le père Ouffays donnait les noms des lieux et des personnes que les missionnaires avaient visitées au cours de leurs passages.

Après la lecture du petit livre du père Ouffays, j’entrepris d’écrire les débuts du diocèse de Kabale. Plus tard, grâce aux notes en français laissées par les Pères Gorgu, Nicolet et Seité, j’ai eu l’idée de les traduire en anglais, afin que ces informations ne soient pas perdues pour les générations suivantes. J’y ajoutai d’autres détails sur les cultes païens en vogue avant l’arrivée des chrétiens, l’organisation orale des clans, les grands personnages avant l’arrivée du protectorat britannique et quelques informations sur le fondateur du diocèse, le catéchiste Muganda Johana Kitagaana.


L’église de Mbarara est presque achevée

Reloger les expulsés
Après la conférence de Rio sur le changement climatique, un ministre ougandais crut bon d’expulser des réserves de chasse les gens sans terre qui s’y étaient installés depuis plusieurs années. Des dizaines de familles se trouvèrent privées de leurs propriétés du jour au lendemain et obligées de retourner dans leur village d’origine, où ils n’avaient plus rien. Avec l’aide du père Dumesny nous avons trouvé les moyens nécessaires pour reclasser 24 familles, en leur procurant des jardins et un emplacement pour leur maison. Les gens plus fortunés avaient confié leurs revendications à des avocats qui eurent gain de cause au bout de dix ans, mais les familles que nous avons aidées étaient trop pauvres pour se payer des avocats et attendre dix ans.

Quand un chef de police
fuit les ordres

Deux fois, en l’espace de sept ans, l’Ouganda a subi les contraintes et les souffrances dues aux conflits. 1977, Amin Dada soupçonnait des complots autour de lui. Il avait ordonné de tuer secrètement tous les fonctionnaires de la tribu Acholi, dans l’éducation, la police et l’administration. J’étais allé voir un de mes paroissiens chef de la police dans la ville de Kabale. Quand il me vit, sans rien dire, il entra dans ma voiture et m’ordonna de partir et de l’emmener loin de là le plus rapidement possible : il ne voulait pas exécuter l’ordre de tuer les agents de police sous ses ordres. On s’échappa. Il est possible que quelques policiers furent épargnés grâce à sa disparition.

Course-poursuite en voiture
Plus tard, les activistes du parti au pouvoir avaient décidé de m’arrêter, mais on m’en avertit. On sortait du district et mes amis avaient remarqué qu’on portait des arbres pour barrer la route à ma voiture… Coup d’accélérateur et je disparais avant que le barrage routier soit en place. Voyant que je prenais le large, les miliciens du parti prirent en toute hâte une Land-Rover pour me rattraper. Ce fut la course sur une dizaine de km et, soudain, leur Land s’arrête net au milieu du chemin : panne d’essence ; fin de la course-poursuite. Je suis resté une année entière sans retourner au centre administratif et j’avais fait construire un sous-terrain, issue de secours, pour disparaître au cas où…

Retrouvailles
Quelques années plus tard, un conflit éclata entre l’armée de l’Ouganda, qui soutenait le président Obote au pouvoir par un simulacre d’élection, et l’actuel président Museveni alors dans le maquis. Dans le nord du pays, dans la paroisse de Rwengiri, où je suis resté 10 ans, on avait mis en place une sorte d’orphelinat. Une veuve nous avait demandé de garder deux de ses filles, car, disait-elle, elle n’arrivait pas à élever tous ses enfants. Puis, un jour, lorsque notre territoire fut sous le contrôle de l’armée de Museveni, on vit venir un convoi militaire de plusieurs véhicules ; ils s’arrêtèrent devant l’église. Un officier supérieur en descendit et vint nous saluer : « Je voudrais revoir mes enfants - Qui sont vos enfants ? » Et il désigna les deux fillettes que la veuve nous avait confiées. On les fait venir. Le père n’avait pas revu ses enfants depuis cinq ans et ses filles le croyaient mort. Moment de grande émotion. Leur père les prit avec lui et ils allèrent rejoindre le reste de la famille en pleurant de joie.

Après 38 ans de ministère dans les paroisses de montagne, je réside depuis 12 ans en ville, à Mbarara. La paroisse de la ville doit compter au moins 30 000 catholiques .J’assiste le curé pour les confessions, les tournées et le service dominical, et je prépare une future paroisse en ville ; notre église est presque terminée.
J’assure aussi une part de l’aumônerie au monastère des clarisses et j’anime chaque semaine un groupe de la confrérie du Rosaire. « Pourvou que ça doure », comme disait la mère de Napoléon.

Félix Géraud

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