Témoignages

Père Jacques Amyot d’Inville, en congé

Missionnaire après l’apartheid

Originaire du diocèse de Rennes, Jacques Amyot d’Inville a été ordonné prêtre à Louvigné-de-Bais. Il a passé toute sa vie apostolique en Afrique, d’abord en Zambie, puis en Afrique du Sud, où il vit depuis 18 ans. Regards sur un pays qui est sorti du régime de l’apartheid et sur les Églises qui ont accompagné ce processus.

Lorsqu’en 1994 le glas sonne pour le régime de l’apartheid, au niveau institutionnel au moins, le père Jacques Amyot d’Inville est dans le pays depuis six ans. « Je me suis porté volontaire pour vivre à Soweto. Nous étions quatre prêtres blancs à y vivre en toute illégalité ». À cette époque, il était possible d’y travailler, mais non d’y vivre. Le lieu de résidence et de coucher étant déterminé par la loi en fonction de la couleur de la peau : les Blancs, à Johannesbourg ; les Noirs, à Soweto ; les Indiens, à Lenasia… Avec les incongruités inhérentes à ce type de loi arbitraire : les Chinois, étant considérés comme des Blancs, devaient habiter Johannesbourg.

Dans ce pays grand comme deux fois la France, il y a aujourd’hui 43 millions d’habitants : 35 millions de Noirs pour 5 millions de Blancs, 1,5 million de Métis, et 1 million d’Indiens. Lorsque débute l’apartheid, en 1948, la minorité blanche tient les rênes du pays grâce à un certain nombre de lois considérées comme les « piliers de l’apartheid » : la Constitution, qui n’accorde le droit de vote qu’aux seuls Blancs ;. le Land Act (Loi sur la terre), qui accorde 87 % du territoire aux Blancs ; la création des Bantoustans pour les Noirs; le Population Registration Act, qui oblige tous les habitants à se faire enregistrer. Le père Amyot d’Inville y est aussi passé : « Lorsque je suis allé un jour me faire enregistrer, la jeune fonctionnaire m’a posé la question : “Qu’êtes-vous ?” (sous-entendu Blanc, Noir, Métis)… Je lui ai répondu : “Je suis daltonien ; écrivez ce que vous voulez”. C’était la mise en œuvre de l’apartheid ! Il a fait couler le sang et fait grandir la haine entre les communautés. « Le paysage des villes donnait à lui seul la couleur de leurs habitants : grands espaces pour les Blancs, petits pavillons pour les Indiens et les Métis, et “boites d’allumettes” pour les Noirs. Les lois étaient beaucoup plus dures pour les Noirs, les Indiens et les Métis. »

Les défis d’aujourd’hui
Heureusement, l’apartheid a pris fin en 1994. Lors de la première élection démocratique, celle qui a porté Nelson Mandela au pouvoir, le père Jacques a été choisi comme “Chief Peace Monitor”, ce qui l’a amené à surveiller le bon déroulement du scrutin dans 21 bureaux de vote, dans un Bantoustan et dans une partie de l’Afrique du Sud près du Mozambique. Mais la violence accumulée au cours de ces cinquante années de discrimination ne s’est pas arrêtée comme par enchantement. Le missionnaire français se souvient encore des « chants révolutionnaires chantés par des enfants de cinq ans ».

Une fois abrogées les lois basées sur la couleur de la peau, la Commission Vérité et Réconciliation s’est attelée à la tâche de réconciliation. Le père Jacques y a participé directement comme “statement taker”, c’est-à-dire qu’il a recueilli officiellement les récits des victimes des deux bords de sa région. « Un grand nombre de personnes ont le désir de jouer le jeu de la réconciliation. »

L’Afrique du Sud est confrontée à de grands défis: la pauvreté et le chômage (plus de 40 % ) ; le sida, qui prend des proportions plus qu’inquiétantes pour des raisons autant physiologiques que coutumières, même si l’Afrique du Sud est l’un des rares pays de l’hémisphère sud qui peut fabriquer des antirétroviraux ; la nécessité de redonner le sens de la culture scolaire aux Noirs qui, du fait de l’apartheid, n’ont pas été préparés à étudier, ce qui représente un handicap pour trouver du travail ; l’entente des différentes populations et cultures pour le bien commun, ce qui n’est pas rien, si l’on songe qu’il n’y a pas moins de onze langues officielles dans le pays ; la réduction de la violence ; la place de l’Afrique du Sud face aux autres pays de l’Afrique australe. « Un grand nombre de citoyens du Mozambique et du Zimbabwe entrent dans le pays à la recherche de l’eldorado. »


Une priorité de l’après-apartheid : redonner le sens de la culture scolaire aux Noirs

Et les Églises dans tout cela ?
Le paysage ecclésial est aussi divers que le paysage humain : Églises d’origine africaine, Églises catholique, luthérienne, méthodiste, anglicane, Église Réformée de Hollande et d’autres encore. Les premières regroupent 35 % de la population. « Composées uniquement de Noirs, elles se rangent sous la houlette d’un pasteur à la personnalité charismatique. Elles mettent l’accent sur l’esprit de famille, la prière de guérison, l’uniforme, la prière de nuit… La dernière, une Église de Blancs, a été la dernière à reconnaître que l’apartheid est un péché ». II y a aussi une minorité de musulmans (1 %) et quelques hindouistes issus des immigrants venus à la fin du XIXe siècle travailler dans les champs de canne à sucre.

La plupart de ces Églises qui ont lutté contre l’apartheid, en particulier lors des années finissantes de celui-ci, luttent aujourd’hui contre cette nouvelle source de marginalisation qu’est le sida. « Après le gouvernement, c’est l’Église catholique qui fait le plus pour la prévention, pour les malades et pour les orphelins qui ont perdu leurs parents à cause de cette maladie. » Le prêtre français appelle de ses vœux « un document prophétique pour soutenir la lutte contre ce fléau », qui ferait pendant à « Kairos » le document écrit par des hommes d’Église pour lutter contre l’apartheid. Pour cela,. l’Église peut compter sur ses forces vives, parmi lesquelles il faut ranger les jeunes prêtres, qui sont noirs pour la plupart, et l’évêque de Johannesbourg. « Il veut que les Africains du Sud deviennent des chrétiens totalement africains et totalement enracinés dans la foi en Jésus Christ, qu’ils soient donc des hommes et des femmes spirituels. C’est-à-dire différents de l’Occident qui, aux yeux de certains, ne l’est plus puisqu’il ne croit plus en Dieu ».

Propos recueillis par Édith Castel
Journaliste du diocèse de Rennes

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